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livreQuatre premiers romans gays à ne surtout pas rater

Par Cy Lecerf-Maulpoix le 28/10/2022
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Les premiers romans occupent souvent une place singulière au sein de la bousculade qu’est la rentrée littéraire. Cette année dans le têtu· de l'automne, quatre récits qui font la part belle aux tumultes du désir ou à des personnages queers singuliers.

> Mourir avant que d'apparaître, de Rémi David (Gallimard)

“Quand on lit la dédicace « à Abdallah » en ouverture du poème Le Funambule ou de la pièce Les Nègres, de Jean Genet, peu de gens savent à qui renvoie ce prénom, qui était cet homme, d’où il venait et ce qu’il a vécu avec l’écrivain. J’ai voulu lui rendre une sorte d’hommage”, explique Rémi David, qui, dans Mourir avant que d’apparaître, publié par Gallimard dans la collection blanche, rend ainsi centrale la figure d’Abdallah Bentaga, jeune artiste de cirque encouragé par l’auteur de Notre-Dame des fleurs – avec qui il entretenait une relation particulière – à devenir funambule.

Sans jamais céder à une interprétation moraliste, le récit se concentre sur l’histoire intime et les relations amicales et affectives du jeune homme, bouleversé durablement par sa rencontre avec un Genet aussi attirant qu’insaisissable, aspirant sous son influence à une élévation sublime qui finira par lui coûter la vie. En partie fictionnel, basé sur des entretiens et des recherches dans les archives personnelles de Jean Genet, le récit est porté par une écriture claire et lumineuse, à la mesure du désir de l’auteur de faire réapparaître Abdallah après sa mort. À celui qui fut tragiquement jeté dans une fosse commune après son suicide, Rémi David dresse un tombeau littéraire sensible et captivant.

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> L'inclinaison, de Corentin Durand (Gallimard)

“Je ne connaissais d’érotique acceptable que celle du guerrier”, avertit Corentin Durand, tout juste 25 ans, dans L’Inclinaison, publié aussi dans la collection blanche chez Gallimard. Son roman suit un jeune dealer déclassé, presque paralysé par un désir auquel il se refuse à donner place. Après avoir commis une agression homophobe, il fuit Paris pour l’Espagne, puis sillonne les marges d’un monde en déliquescence, obsédé par l’un de ses anciens collègues, disparu.

En jeune orfèvre d’une langue particulièrement ciselée, attentif à son rythme sinueux, Corentin Durand offre une ampleur inédite à un sujet injustement délaissé par la littérature gay, la haine de soi lorsque l’on refuse qui l’on est. Désenchantant le présent et les relations du narrateur, cette haine de soi est intimement liée à certaines figures homosexuelles appartenant à un passé qui le hante. Celle de Jacques Costan, un vieil écrivain dont les œuvres semblent aimées et détestées à la fois, mais aussi celles, disparues, d’un couple, Philippe et André, tous deux morts du sida et ayant laissé dans l’histoire familiale une blessure traumatique.

“Je n’ai pas su écrire le roman homosexuel qui enchante le présent. Je n’ai pas su parce que ce roman-là partirait au fond de trop bonnes intentions pour être à hauteur d’homme, et aussi parce qu’il volerait, je crois, au secours de la victoire d’un ordre moral”, explique Corentin Durand. À rebours, donc, de récits positifs d’une émancipation gay ; une errance magnétique et mélancolique dont la beauté et l’érotisme se dévoilent en clair-obscur.

> Ils vont tuer vos fils, de Guillaume Perilhou (Édition de l'Observatoire)

Le thème de la violence traverse également le poignant Ils vont tuer vos fils (L’Observatoire) de Guillaume Perilhou (ancien journaliste littéraire pour têtu·), déjà en lice pour deux prix avant même sa sortie. Il s’agit cette fois de celle qui s’abat sur Guillaume, un jeune adolescent breton à l’énergie incandescente, et sur son avatar féminin, Raffaella, lorsque l’aide sociale à l’enfance décide de le placer en foyer. Inspiré par l’histoire d’un jeune Italien retiré à l’autorité parentale de sa mère pour avoir souhaité devenir une femme, Guillaume Perilhou centre en partie son récit sur l’expérience des violences familiales, mais également sur l’homophobie : “L’homophobie, c’est quelque chose que j’ai connu toute ma vie. Cette histoire m’a semblé une bonne porte d’entrée.”

À la suite de crises d’angoisse, le personnage de Guillaume est envoyé à l’hôpital psychiatrique, où traitements médicamenteux et électrochocs se succèdent – le titre du livre est d’ailleurs inspiré d’une chanson de Lou Reed, “Kill your Sons”, dans laquelle le chanteur raconte son expérience des “thérapies de conversion” des années 1950. L’espoir de la liberté chevillé au corps et au cœur, le jeune narrateur s’éprend alors d’un autre patient miné par ses propres démons. Dans un style vif et efficace, proche de l’oralité, le texte de Guillaume Perilhou épouse avec sensibilité la candeur farouche d’un jeune homme à l’aube de sa vie, et les troubles intérieurs qui le font vaciller face à un monde incapable de lui octroyer la dignité auquel il a pourtant droit.

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> Fantaisies guérillères, de Guillaume Lebrun (Christian Bourgois)

On ne peut que saluer la parution chez Christian Bourgois de Fantaisies guérillères, déjà en lice pour de nombreux prix. Cette fantaisie-science-­fiction-médiévale-flamboyante de Guillaume Lebrun surprend par son sujet autant qu’il ravit par son audace et sa créativité langagière. Franglais, ancien français, réécriture de paroles de Céline Dion et de Mylène Farmer s’entrecroisent pour une lecture jubilatoire, instillant une veine rabelaisienne à cette satire épique, joyeusement queer.

Situant son récit à l’époque de Charles VI, ou plus précisément à celle de Yolande d’Aragon, trop souvent oubliée par l’histoire, il met en scène les tentatives de celle-ci pour sauver le royaume de France de la menace “englishe” et de la guerre civile. À la suite de visions fantastiques, elle crée dans le plus grand secret une école de femmes “guérillères” (le fantôme de Monique Wittig n’est jamais loin). Là-bas, 15 jeunes filles du nom de Jehanne sont entraînées à l’art du combat sous la houlette de chevaliers (de la jaquette). Jusqu’à ce que l’une d’entre elles, particulièrement éprise de Yolande, se distingue des autres et soit amenée à un destin grandiose, en tout cas raconté comme tel.

Au-delà de son originalité, cet ouvrage nous rappelle que le Moyen Âge fut aussi une période de femmes influentes et stratèges, de figures “queers” – comme Jeanne d’Arc, trop souvent confisquée par des visions réactionnaires et ultranationalistes. “Il était hors de question que je fasse autre chose qu’un livre queer. Il était évident que Jeanne serait lesbienne, que les femmes seraient puissantes, et que les soldats seraient tous pédés, conclut Guillaume Lebrun. Ce sont des marginaux sublimes.”

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Crédit photo : Riccardo Milani/Hans Lucas via AFP