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mondeIran : "On ne sait pas combien de temps encore on va pouvoir se battre"

Par Elna Hartman le 09/01/2023
Iran, la révolution féministe

Depuis septembre 2022, la jeunesse iranienne se mobilise pour la liberté des femmes à ne pas porter le voile islamique, et au-delà renverser le régime dictatorial des mollahs. Dans ses rangs, des membres de la communauté LGBT, pour certains arrêtés et en attente de leur exécution.

Autour d’elles, la nuit tombe. Des silhouettes apparaissent et commencent à crier “Zan Zendegi Azadi” (femme, vie, liberté) avant d’enchaîner par des slogans plus politiques. “On n'avait pas beaucoup de temps parce qu’on savait qu’ils allaient arriver, décrit S*, 25 ans. Alors on s’est prises par la main et on s’est embrassées. Comme ça, dans la rue. On a beaucoup pleuré après.” Depuis, elle se fait discrète. “Beaucoup de mes amies ont été arrêtées, certaines ont disparu. Descendre dans la rue est devenu de plus en plus dangereux, surtout avec les mises à mort.”

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Au commencement, les premières manifestations avaient pour objectif de protester contre l'arrestation et la mort de Mahsa Amini, jeune femme de 22 ans arrêtée par la police des mœurs pour un voile “mal porté”. Au cri de “Zan Zendegi Azadi”, les Iraniennes ont alors lancé en septembre une révolution féministe pour dénoncer le manque de liberté. Mouvement qui, depuis lors, continue de défier la République islamique.

La République islamique réprime dans le sang

Au fil des semaines et d’une répression sanglante (au moins 500 morts), les slogans sont devenus plus politiques. Les manifestantes ont été rejointes par de jeunes Iraniens puis par une partie du secteur pétrolier, par les bazars qui ont un poids économique très fort en Iran, mais aussi par toute une tranche de la population qui n’arrive plus à se nourrir en raison de la corruption du régime et des sanctions américaines. “On a même organisé une journée de grève nationale où personne n’est allé travailler, raconte F*, 45 ans, non sans fierté. On a battu la France sur la grève ce jour-là, parce que tout le pays était à l’arrêt.” 

Des artistes ont aussi rejoint le mouvement. En septembre, le chanteur Shervin Hajipour a été arrêté – puis relâché le mois suivant – pour avoir diffusé sa chanson “Baraye” (“Pour”), devenue l’hymne du soulèvement du pays : “Pour avoir le droit de danser dans la rue / Pour ne plus avoir peur de s’embrasser (...) Pour le regret de ne pas avoir une vie ordinaire (...) Pour les femmes, la vie, la liberté…” Mi-décembre, l’actrice Taraneh Alidoosti – qui a joué dans de nombreux films d'Asghar Farhadi – a été arrêtée à son tour. Elle est depuis retenue en prison.

Une révolution féministe

Les protestataires réclament le droit pour les femmes de ne pas porter le voile, et plus largement de vivre normalement, de chanter, de danser, d’avoir de quoi vivre ou encore de pouvoir lire des livres non censurés. “On ne sait pas combien de temps encore on va pouvoir se battre, explique B*, un jeune homme gay âgé d’une trentaine d’années. On ne sait pas s’il va falloir tenir encore un mois, un an ou plus. Par contre, c’est très important de rappeler que c’est une révolution féministe. Nous on est là, mais c’est elles qui l’ont lancée.” 

Originaire du nord de Téhéran, la capitale, il souligne la difficulté d'exister au quotidien. “Je ne suis out ni au travail ni dans ma famille. Ce serait une catastrophe qu'ils l'apprennent. Je me sens coincé. Je n’ai pas envie d’attendre encore dix ans pour avoir des droits, qui d'ailleurs n’arriveront peut-être jamais.” Dans la rue, les manifestantes dansent, brûlent leur voile obligatoire et osent parfois brandir un drapeau arc-en-ciel pour rappeler que les personnes LGBTQI+ existent bel et bien en Iran. “C’est pas notre choix d’être né en Iran, reprend B. On se bat avec nos mains, sans arme, sans rien, et en face ils nous tuent parce qu’on veut avoir le droit de respirer.” 

“Nous, en Iran, on se bat pour des droits très basiques comme stopper la peine de mort pour les gays."

“Mon existence est politique parce que je risque la mort dans mon pays pour qui je suis”, abonde Alireza, 34 ans. Artiste engagé et militant queer, il est arrivé en France en 2019. “Ici, en France, être homo c’est pas la question. Tu peux garder tes liens avec ta famille, tes amis… Nous, en Iran, on se bat pour des droits très basiques comme stopper la peine de mort pour les gays. C’est vraiment une urgence.” À ce jour, deux militantes lesbiennes connues sont en prison

Violences, humiliations, exécutions

L’association 6rang, basée à l’étranger, tente de tenir une comptabilité des violences exercées à l’encontre de la communauté LGBTQI+ iranienne. Grâce à son action, toutes les personnes victimes et/ou témoins de violences LGBTphobes en Iran peuvent désormais les signaler via une plateforme sécurisée. “Les membre de la communauté ont été à l'avant-garde des manifestations, souligne 6rang, et de nombreux rapports indiquent que des personnes LGBT ont été arrêtées, blessées, torturées et même tuées.” 

En l’espace de quelques jours, plusieurs témoignages ont confirmé ces allégations. Dont celui de M*, un jeune homme arrêté puis torturé pour avoir écrit des slogans en soutien à Mahsa Amini sur les murs de Qom (ville sainte en Iran). “Un des Gardiens de la révolution est venu vers moi et m'a demandé si j'étais une fille ou un garçon. J'ai répondu 'garçon'. Ils m'insultaient sans cesse, et quand je répondais ils m’envoyaient des décharges électriques. Ils nous ont même dit d'enlever nos pantalons pour voir si on était des filles ou des garçons !”

"Vous n’avez pas idée de ce que ça fait de voir ses amis arrêtés ou tués."

La jeunesse continuant de descendre dans les rues, l’État iranien a commencé à exécuter des manifestants. Ainsi, Majidreza Rahnavard et Mohsen Shekari, tous deux âgés de 23 ans, ont été pendus. Et à ce jour, une centaine d'autres attendent de savoir s'ils vont connaître le même sort. “À quoi bon continuer à vivre dans un pays qui assassine sa jeunesse, souffle F*, 26 ans. Vous n’avez pas idée de ce que ça fait de voir ses amis se faire arrêter ou tuer, de risquer sa vie juste pour simplement vivre normalement.” Il marque une pause et reprend : “Un de mes amis est en attente de sa date d'exécution. Il n’a rien fait de mal, sinon manifester pour la liberté. C’est horrible, mais c’est notre quotidien. On a besoin d’aide, aidez-nous !”

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*pour des raisons de sécurité, les prénoms et les villes où habitent les personnes ayant témoigné sont anonymisés. 

Crédit photo : Elvert Barnes / Flickr