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extrême droiteDerrière Trump & Bolsonaro, la vague réac anti-LGBT n’épargne pas l’Europe

Par Nicolas Scheffer le 09/01/2023
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[Article et dossier à lire dans le magazine de l'hiver] Si la menace de l'extrême droite est spectaculaire outre-Atlantique, où les partisans de Donald Trump puis de Jair Bolsonaro menacent directement la démocratie aux États-Unis et au Brésil, elle existe aussi au sein même de l'Union européenne. Lorsqu’elle arrive au pouvoir, l’extrême droite s’attaque toujours à l’État de droit, et sa progression en Europe met donc en danger toutes les minorités, dont la communauté LGBT.

L’onde de choc parcourt le monde entier le 24 juin 2022 : la Cour suprême des États-Unis vient de mettre fin à la protection fédérale du droit à l’avortement. Aussitôt, la droite réactionnaire du Parti républicain passe à l’action et, à peine quatre mois plus tard, pas moins de treize États ont déjà adopté des lois interdisant le recours à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) – les mêmes se livrent en parallèle à un concours Lépine général de textes anti-LGBTQI+. Impuissant, le président des États-Unis, le démocrate Joe Biden, n’a pu que promettre une loi fédérale garantissant à nouveau l’accès à l’IVG s’il obtenait une nouvelle majorité aux élections de mi-mandat.

La séquence était pourtant prévisible : avant de quitter la Maison-Blanche, Donald Trump avait réussi à ancrer la Cour suprême à droite en nommant trois juges particulièrement conservateurs. Et si le lobby réactionnaire mondial a récemment subi un échec cuisant avec la défaite du sortant Jair Bolsonaro à l’élection présidentielle brésilienne, il progresse à visage découvert dans de nombreux États, d’Europe notamment, où il ronge patiemment les contre-pouvoirs et la progression des droits humains une fois parvenu aux manettes. Il a ainsi pris d’assaut depuis plusieurs années la Pologne et la Hongrie, et a conquis ces derniers mois le pouvoir en Suède et en Italie. En France, Marine Le Pen s’y voit aussi, et c’est pourquoi il faut dès maintenant se préparer à toute éventualité.

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Viktor Orbán et son homophobie d'État

Le Premier ministre hongrois, Viktor Orbán, qui aime mettre en scène sa proximité avec Donald Trump et intervient en vidéo dans les meetings de Marine Le Pen, a fourni le mode d’emploi de la droite réactionnaire au pouvoir. En 2010 lorsque son parti, le Fidesz, remporte les élections, il dispose alors d’une majorité des deux tiers des parlementaires, suffisante pour réviser la loi fondamentale. Ce dont il ne se prive pas, puisqu’une nouvelle Constitution entre en vigueur en 2012, amendée par la suite afin d’affaiblir, entre autres, l’indépendance du pouvoir judiciaire – en 2015, onze des quinze juges de la Cour constitutionnelle ont été désignés par la majorité. Depuis, un sentiment d’impunité plane, notamment lorsqu’il s’agit des agressions homophobes, lesquelles, d’après Háttér Society, principale association LGBTQI+ du pays, ont explosé.

En parallèle, une partie du personnel de la fonction publique a été renouvelée, et notamment un tiers du service public de l’audiovisuel. Un Conseil des médias, dirigé par des affidés du chef de l’État, a aussi été constitué afin de contrôler davantage les journalistes – plus de 350 actions ont déjà été intentées contre des organes de presse. Alors qu’elle se situait au 23e rang du classement de Reporters sans frontières concernant la liberté de la presse en 2010, la Hongrie a aujourd’hui chuté au 85e rang, sur 180 pays. D’ailleurs, que ce soit à la télé, à la radio ou dans les journaux, la ligne LGBTphobe du gouvernement est sans cesse rabâchée, notamment lorsqu’il s’agit d’opposer les “valeurs traditionnelles” à celles prétendument venues de l’Ouest.

La Hongrie : une autocratie électorale

Orbán a ainsi sapé avec méthode les contre-pouvoirs démocratiques pour faire de la Hongrie une “autocratie électorale”, selon les termes d’une résolution votée au Parlement européen“Par des modifications constitutionnelles sur l’organisation des élections, un remplacement précoce des magistrats et un contrôle des médias détenus par des affidés, le Premier ministre hongrois a confisqué les clés du pouvoir en un temps record”, alerte Gwendoline Delbos-Corfield, eurodéputée française écologiste à l’origine du texte.

S’étant donné des coudées franches, Viktor Orbán peut désormais dérouler son agenda ultra-­conservateur et ultra-nationaliste à sa guise. Et c’est au nom d’une “Europe chrétienne” et de la “défense de l’identité hongroise” qu’il s’en prend aux droits des minorités, et notamment aux migrants : fermeture de la frontière, opposition à la répartition européenne des demandeurs d’asile en 2015, mise en place en 2017 de “zones de transit” clôturées, où sont enfermés les demandeurs d’asile en attente de décision… En 2018, l’exécutif parachève l’ouvrage en faisant adopter une modification constitutionnelle rendant illégal le fait “d’installer un peuple étranger en Hongrie”. Depuis, aider un migrant à constituer sa demande d’asile peut donc faire l’objet, dans ce pays européen, d’une poursuite pénale. Après sa nouvelle victoire aux élections de 2018, l’une des premières mesures d’Orbán fut également d’interdire aux sans-abris de dormir dans la rue. La mendicité et la consommation d’alcool étaient déjà proscrites, mais la Constitution indique désormais qu’il est “interdit d’utiliser l’espace public comme une habitation”.

Dans ce pays où l’IVG est légale depuis 1952, son accès est rendu de plus en plus difficile. Pour preuve, depuis l’arrivée au pouvoir du Fidesz, le nombre annuel d’avortements a été divisé par deux, passant de 40.000 à 20.000. Cette année, un décret publié au Journal officiel hongrois prévoit même que les femmes enceintes souhaitant avorter devront désormais entendre au préalable les battements de cœur du fœtus, audibles à partir de la sixième semaine de grossesse. Évidemment, les personnes LGBTQI+ sont une autre cible privilégiée de l’exécutif réactionnaire hongrois. En décembre 2020, Viktor Orbán a ainsi fait voter une modification constitutionnelle décrétant : “La mère est une femme, le père est un homme.“ Le texte définit le genre comme étant assigné à la naissance, et ce pour soi-disant “protéger l’enfant des possibles interférences idéologiques ou biologiques”, toujours en provenance de l’Ouest, selon la rhétorique orbánienne. À l’été 2021, Viktor Orbán a enfin fait adopter une loi d’inspiration poutinienne interdisant toute représentation de l’homosexualité et de l’identité de genre auprès des enfants.

Pologne et Hongrie face à la Commission européenne

En Pologne, l’homophobie d’État a quant à elle atteint son paroxysme à l’été 2020, alors que le tiers du pays était couvert de zones dites “sans idéologie LGBT”, promettant un traitement malveillant aux personnes LGBTQI+ qui oseraient y vivre comme telles au grand jour. Avant même de s’en prendre aux droits, le gouvernement avait alimenté un discours de rejet, notamment lorsque le ministre de l’Éducation avait franchi le point Godwin, affirmant que “l’idéologie LGBT (…) a les mêmes racines néomarxistes que le national-socialisme hitlérien”. Cette rhétorique haineuse a conduit la Diète (le parlement polonais) à examiner une interdiction de la “propagande homosexuelle dans l’espace public” : les Prides. La proposition de loi, issue d’une pétition, est alors portée par un militant de la Fondation Vie et famille (sic) estimant lui aussi que “les LGBT commencent leur marche vers le pouvoir comme le parti nazi a commencé la sienne dans les années 1930”. Voici pour le climat ambiant.

Face à ces atteintes aux valeurs de liberté et d’égalité, la Commission européenne dispose de quelques outils, notamment d’un levier budgétaire. En effet, en février, en dépit de l’opposition de la Pologne et de la Hongrie, la Cour de justice de l’Union européenne a donné son feu vert à la Commission qui peut désormais priver de certains fonds un pays coupable de violations de l’État de droit. En plus de la suspension de 5,8 milliards d’euros du fonds de relance post-Covid, l’exécutif européen a également utilisé cette disposition pour interrompre le versement de 7,5 milliards d’euros, soit 20% des aides que doit recevoir la Hongrie jusqu’en 2027, en attendant la mise en œuvre par le gouvernement de 17 mesures pour lutter contre la corruption. Le procédé a déjà fait ses preuves en Pologne, où de nombreuses régions qui s’étaient déclarées depuis 2019 “sans idéologie LGBT” ont préféré faire machine arrière.

L’attitude des pouvoirs hongrois et polonais aura au moins démontré à certains pays européens la nécessité de mieux protéger l’État de droit au sein même de l’Union. “Pendant longtemps, on a pensé que les valeurs libérales étaient un acquis sans s’interroger sur la nécessité de les renforcer en temps voulu”, analyse Marc-Olivier Padis, directeur des études au sein du think tank Terra Nova. Un retard à l’allumage dû notamment à la frontière mouvante et parfois floue entre la droite républicaine et l’extrême droite. Ainsi, l’eurodéputé français François-Xavier Bellamy, membre des Républicains, a refusé de voter les sanctions contre la Pologne et la Hongrie, comme de condamner leur politique. Et ce n’est qu’en 2021 que Viktor Orbán a été contraint de quitter le Parti populaire européen (PPE), qui rassemble les droites dites “de gouvernement” au Parlement de Strasbourg. “En consentant à travailler avec l’extrême droite, la droite conservatrice rend légitime son combat et l’institutionnalise, avertit Marc-Olivier Padis. In fine, c’est toujours l’extrême droite qui en sort vainqueur.”

En Suède, l'extrême droite aux racines nazies

Soit exactement le scénario qui s’est produit en Suède, où un nouveau gouvernement a été mis en place mi-octobre. Les Démocrates de Suède (SD), le parti d’extrême droite aux racines nazies, sont en effet devenus la deuxième force politique du pays derrière les sociaux-démocrates. Cette position de force permet aux SD de peser fortement dans la coalition de droite au pouvoir. Durant toute la campagne législative, la droite conservatrice suédoise a envoyé des appels du pied à l’extrême droite. En janvier 2020, poussant la dédiabolisation à son maximum, le chef de file des conservateurs avait déjà affirmé que les SD avaient “changé ces dernières années”, se déclarant prêt à une “coopération” avec eux. Aujourd’hui, si l’extrême droite n’est pas formellement représentée au sein de l’exécutif suédois, un pacte de gouvernement a été annoncé mi-octobre, fortement influencé par les nationalistes. La coalition a d’ailleurs repris l’essentiel de leur programme, à savoir, comme en Hongrie, étudier la création de zones de transit pour les demandeurs d’asile et l’interdiction de la mendicité. Au Parlement, grâce aux voix de la droite conservatrice et libérale, Julia Kronlid, une députée anti-avortement et créationniste, a été élue deuxième vice-présidente… 

Problème : les institutions européennes restent limitées dans leurs moyens d’action. “Lorsque les décisions doivent être prises à l’unanimité, la Hongrie protège la Pologne, et vice-versa. Je n’ose imaginer comment cela va se passer avec davantage de pays illibéraux”, craint Marc-Olivier Padis. Or, complète la sénatrice écologiste Mélanie Vogel, “si l’Espagne tombe aux mains de l’extrême droite en 2023 lors des élections générales, il n’y a plus de majorité au Conseil de l’Europe pour sanctionner ces pays”

D’ailleurs, les exceptions aux sanctions existent déjà. Alors que la Pologne est particulièrement sollicitée dans l’accueil des réfugiés ukrainiens – elle en a reçu près de 2,5 millions – et que le pays est incontournable dans la livraison des armes à l’Ukraine en guerre, la Commission européenne a desserré l’étau sur Varsovie et débloqué 36 milliards d’euros du plan de relance, suspendus au nom de l’État de droit, alors même que l’exécutif polonais réfléchit à une modification du code électoral au profit du pouvoir en place, en prévision des élections législatives prévues dans un an et demi. Si l’Europe est un soutien de poids aux droits humains, c’est donc bien aux niveaux nationaux qu’il faut, aussi, se préparer à leur éventuelle remise en cause par une droite réactionnaire qui gagne du terrain.

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Crédit photo : Ludovic Marin / AFP