L'âge d'or hollywoodien, qui débute dans les années 1920, est également celui des grands studios. Les moeurs des stars de l'époque, comme Marlène Dietrich, Tallulah Bankhead ou encore Joan Crawford, font alors l'objet d'une étroite surveillance. Un aspect que l'on retrouve dans Babylon, le film de Damien Chazelle qui sort ce mercredi 18 janvier.
Sept ans après le succès mondial de La La Land et un passage remarqué à la télévision avec la série The Eddy, le réalisateur Damien Chazelle revient à ses premières amours : le cinéma. Dans Babylon, son nouveau long-métrage, le réalisateur oscarisé tire le portrait de plusieurs figures de cette “machine à rêve” que fut le Hollywood des années 1920 et 1930, bousculé par la révolution du parlant. Les stars du film sont évidemment… des stars : Jack Conrad, acteur truculent et mégalo, incarné par Brad Pitt et Nellie LaRoy, aspirante actrice dont l’ambition n’a d’égal que les excès. Des personnages inspirés de diverses figures historiques, comme les actrices légendaires Clara Bow, Jeanne Eagels, Joan Crawford et Alma Rubens pour le personnage de Nellie, ou John Gilbert, Clark Gable et Douglas Fairbanks pour Jack.
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Derrière le personnage de Lady Fay Zhu, interprété par Li Jun Li, on reconnaît Anna May Wong, icône des années 1920 qui fut la première grande star hollywoodienne sino-américaine. Longtemps cantonnée à des rôles stéréotypés d’amante exotique, Anna May Wong joue en 1932 aux côtés de Marlène Dietrich dans Shanghai Express. Les scènes entre les deux actrices contiennent une charge sexuelle remarquée et les rumeurs d’une liaison lesbienne ne tardent pas à courir. Pour son film, Damien Chazelle a fait le choix de rendre Lady Fay Zhu bisexuelle. Et de lever le voile sur un des grands tabous de l’histoire du cinéma : l’orientation sexuelle des acteurs et des actrices.
Le "cercle de couture" des lesbiennes et bisexuelles d'Hollywood
L’entre-deux-guerres est marqué à Hollywood par des avancées techniques fulgurantes, un formidable bouillonnement artistique, et des soirées fastueuses où les acteurs et actrices queers profitent de la fête à l’abri des regards inquisiteurs. Tous sont dans le placard, puisqu’un coming out ruinerait immédiatement leur carrière. Même l’iconique Marlène Dietrich – qui challenge les stéréotypes de genre en portant des costumes masculins et des chapeaux hauts de forme, et dont le personnage dans le film Morocco (1930) est à l’origine du premier baiser lesbien dans un film hollywoodien majeur – n’affiche sa bisexualité que dans des lieux sûrs.
Entre elles, lesbiennes et bisexuelles du milieu hollywoodien de l’époque disent faire partie d’un “sewing circle”, un “cercle de couture”, c’est-à-dire un lieu de sociabilité entre femmes qui se retrouvent et discutent de leur vie tout en cousant. Dans son essai The Sewing Circle: Sappho’s Leading Ladies (2002), Axel Madsen essaie d’écrire cette histoire qui réunit Greta Garbo (elle aussi embrasse un personnage féminin dans La Reine Christine, sorti en 1933), Mercedes de Acosta, Tallulah Bankhead, Joan Crawford, Myrna Loy, Agnes Moorehead ou encore Alla Nazimova.
Marlène Dietrich et Greta Garbo, amantes d'une poétesse
On peut d’ailleurs retracer les relations entre les différentes protagonistes. La poétesse Mercedes de Acosta, rapidement connue à Hollywood comme une séductrice invétérée, a fréquenté Marlène Dietrich et Alla Nazimova, et peut-être aussi Greta Garbo. Grande star du cinéma muet, Alla Nazimova a aussi eu plusieurs amantes, dont la briseuse de cœurs qui se disait “ambisextruous” Tallulah Bankhead, et aurait eu des liaisons avec la chanteuse de jazz Billie Holiday, mais aussi Eva Le Gallienne et Marlène Dietrich.
Avant même la mise en place du Code Hays en 1934, qui censure toute évocation de l’homosexualité et de sexe interracial, les studios veillent : les stars peuvent bien multiplier les fêtes, les excès, être out auprès de leurs amis, mais hors de question que le grand public – ou la presse – l’apprenne. Patsy Kelly, l’une des rares stars out des années 1930, est ainsi blacklistée après s’être identifiée comme “dyke” (“gouine”) et avoir révélé au média Motion Picture qu’elle sortait avec une autre actrice.
Le "lavender mariage", mariage de convenance
Pour préserver les apparences, certains acceptent un “lavender mariage”, un mariage de convenance – la couleur lavande étant associée à l’homosexualité. Après avoir été arrêté dans les bras d’un marin, l’acteur William Haines, étoile montante de la fin des années 1920, s’est vu imposer un ultimatum : sa carrière (et donc un mariage de lavande), son marin ou son compagnon, Jimmie Shields. L’acteur choisit ce dernier et est viré de la MGM.
Certaines stars ont publiquement discuté de leur orientation sexuelle après la fin de leur carrière. Dans ses mémoires, Include Me Out: My Life from Goldwyn to Broadway (2008), l’acteur Farley Granger (La Corde et L’Inconnu du Nord-Express d’Alfred Hitchcock) écrit : “Je n’ai jamais eu honte, et je n’ai jamais ressenti le besoin de m’expliquer ou de m’excuser de mes relations… J’ai aimé des hommes. J’ai aimé des femmes.”
Invisibilisées par l’histoire du cinéma, ces célébrités du début du cinéma parlant ont pavé la voie à Hollywood, à leurs risques et périls. Si aujourd’hui des stars comme Kristen Stewart, Tessa Thompson ou Neil Patrick Harris peuvent briller sur le tapis rouge et afficher fièrement leurs identités queers, c’est un peu grâce à ces étoiles arc-en-ciel de l’âge d’or d’Hollywood.
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Crédit : Paramount Pictures