En chœur, les sénateurs de LR et du RN ont voté à l'unanimité lundi une interdiction très large de l'écriture inclusive, pendant qu'Emmanuel Macron fustigeait le point médian dans son discours d'inauguration à Villers-Cotterêts de la Cité internationale de la langue française.
Du centre-droit à l'extrême droite en passant par la droite, il y a eu de l'écho ce lundi 30 octobre entre Villers-Cotterêts et Paris. Au jour de l'inauguration par le président de la République de la Cité internationale de la langue française dans le château restauré de François Ier dans l'Aisne (Picardie), le hasard du calendrier a voulu que le Sénat vote pour une interdiction très large de l'écriture inclusive, portée par la droite et soutenue par l'extrême droite.
Haro sur le point médian
"L'inauguration de la cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts nous rappelle combien l'âme d'un peuple vit dans sa langue. Il nous faut protéger ce trésor inestimable contre le wokisme dont l'écriture inclusive est une sinistre et grotesque manifestation", a écrit Marine Le Pen sur X (Twitter), tandis qu'Emmanuel Macron, pourtant un grande adepte du "bonjour à toutes z'et tous", appelait à "ne pas céder aux airs du temps : dans cette langue, le masculin fait le neutre, on n'a pas besoin d'y rajouter des points au milieu des mots, ou des tirets, ou des choses pour la rendre lisible". Et la présidente du Rassemblement national (RN) de renchérir, toujours sur X : "Et en même temps, la majorité macroniste votait contre notre proposition de loi visant à interdire l’écriture inclusive…"
Ecriture inclusive: "Il ne faut pas céder aux airs du temps, dans cette langue le masculin fait le neutre, on n'a pas besoin d'y rajouter des points au milieu des mots ou des tirets pour la rendre illisible" dénonce Emmanuel #Macron pic.twitter.com/jqupuw0lv3
— Guillaume Daret (@GuillaumeDaret) October 30, 2023
Au Sénat, pendant ce temps, une proposition de loi de la droite visant à "protéger" le français "des dérives de l'écriture dite inclusive" a été adoptée à 221 voix contre 82. Son périmètre est grand : elle prévoit en effet de bannir cette pratique "dans tous les cas où le législateur (et éventuellement le pouvoir réglementaire) exige un document en français", comme les modes d'emploi, les contrats de travail, les règlements intérieurs d'entreprise. Sont également visés les actes juridiques, qui seraient alors considérés comme irrecevables. Rien ne garantit toutefois que ce texte soit inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, où plusieurs propositions de loi contre l'écriture inclusive ont déjà été déposées ces dernières années, par la majorité macroniste, par la droite et enfin, comme évoqué par Marine Le Pen, par le RN.
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L'écriture inclusive, "idéologie mortifère"
L'écriture "dite inclusive", selon le texte présenté ce lundi par la sénatrice Les Républicains (LR) Pascale Gruny, désigne "les pratiques rédactionnelles et typographiques visant à substituer à l'emploi du masculin, lorsqu'il est utilisé dans un sens générique, une graphie faisant ressortir l'existence d'une forme féminine". Outre le point médian, il interdit aussi les "mots grammaticaux" constituant des néologismes tels que le pronom "iel" – contraction de "il" et "elle" – ou "celleux" – contraction de "celles" et "ceux".
"L'écriture inclusive affaiblit la langue française en la rendant illisible, imprononçable et impossible à enseigner", a plaidé Pascale Gruny, son collègue Étienne Blanc dénonçant carrément une "idéologie mortifère". En face, les bancs de la gauche ont répondu par de l'indignation : "La droite sénatoriale nous inflige ses lubies rétrogrades et réactionnaires, s'est offusqué le sénateur socialiste Yan Chantrel. Vouloir figer la langue française, c'est la faire mourir". Et l'écologiste Mathilde Ollivier de plaider : "Quand on parle de l'écriture inclusive, on parle du chemin vers l'égalité femmes-hommes".
Au moment du scrutin, le texte anti-écriture inclusive a récolté les voix de tout le groupe Les Républicains (sauf une, absente) ainsi que de l'Union centriste (à majorité UDI, centre-droit allié de la macronie) et des quatre sénateurs de l'extrême droite (trois RN + l'ex-RN Stéphane Ravier, passé chez Zemmour). Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (macroniste) s'est montré plus en retrait, avec deux voix pour, une contre et 19 abstentions. Au nom du gouvernement, la ministre de la Culture Rima Abdul-Malak avait jugé quelques mesures "excessives", notamment l'extension aux contrats privés, et estimé que le "rôle" de l'Etat et du législateur n'était "pas d'être une police de la langue mais de garantir l'égalité devant la langue". Tout en prenant soin de s'adresser à "Madame le sénateur Gruny", elle a donc rendu un "avis de sagesse" sur le texte du Sénat, ni favorable ni défavorable, rappelant que deux circulaires émises par l'exécutif encadrent déjà cette pratique dans les textes publiés au Journal officiel (circulaire d'Édouard Philippe en 2017) et dans l'enseignement (circulaire de Jean-Michel Blanquer en 2021).
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