AssembléeDes députés de droite déposent une proposition de loi pour interdire l'écriture inclusive

Par Nicolas Scheffer le 25/03/2021
écriture inclusive

Des députés de droite ont déposé une proposition de loi pour interdire l'écriture inclusive pour les fonctionnaires... qui n'a quasiment aucune chance d'être votée.

Haro sur l'écriture inclusive ! 45 députés de droite veulent interdire l'écriture inclusive aux fonctionnaires, aux contractuels, personnes en charge d'une mission de service public ou même bénéficiant de subventions publiques. Les profs qui enseignent cette écriture pourraient même recevoir une amende de 5.000 euros. Des députés Les Républicains ont déposé à l'Assemblée nationale une proposition de loi en ce sens.

Rétablir l'égalité des genres

Bourré de fautes de français, l'argumentaire tend même aux contre-vérités. "L’objectif annoncé de cette nouvelle forme d’écriture est de rétablir l’égalité homme‑femme par l’orthographe et la grammaire", peut-on lire dans l'exposé des motifs. Pourtant, le Manuel d'écriture inclusive, promu par le ministère de l'Égalité, indique que cette forme d'écriture vise moins à "rétablir" l'égalité entre les deux genres que d'arrêter de faire perdurer une règle selon laquelle le féminin doit s'éclipser derrière le masculin.

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La proposition de loi résume l'écriture inclusive aux "pratiques rédactionnelles et typographiques visant à substituer à l’emploi du masculin, lorsqu’il est utilisé dans un sens générique, une graphie faisant ressortir l’existence d’une forme féminin". C'est oublier que l'écriture inclusive invite surtout à utiliser à la fois le féminin et le masculin ("bonjour à tous et à toutes") et ne se résume pas au double accord masculin et féminin ("nous tous·te·s").

"Les hommes ont effacé les femmes"

La proposition de loi reconnaît que "par le biais de la grammaire, les hommes ont effacé les femmes, puisque le masculin l’emporte en genre et en nombre. Faute de genre neutre, c’est le masculin qui en tient lieu". Avec une faute d'accord, l'exposé des motifs regrette que "la langue française, telle qu’elle existe, ne répond pas aux mœurs actuelles qui sexualise (sic) tout". Avant d'ajouter que les partisans de l'écriture inclusive "croient qu’une diplomate est bafouée si on l’appelle Madame l’ambassadeur, mais ne pose (sic) pas la question quand il s’agit d’appeler un ambassadeur 'Excellence'".

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Puis, la proposition de loi rappelle que l'Académie française a considéré l'écriture inclusive comme un "péril mortel" pour la langue française. Mais Le Monde indiquait dès 2017 que cette position ne fait pas l'unanimité. Pour l'académicienne Danièle Sallenave, "faute de changements, les femmes resteront invisibles. […] le masculin n’est pas neutre, il a été choisi comme genre dominant", disait-elle. D'ailleurs, depuis, l'Académie a choisi de féminiser un certain nombre de métiers.

Des raisons d'intelligibilité

L'exposé des motifs rappelle une circulaire, prise par Édouard Philippe, alors Premier ministre. Elle appelle l'administration à ne pas utiliser l'écriture inclusive au Journal Officiel. La circulaire le justifie "pour des raisons d'intelligibilité" des actes administratifs, sans interroger la difficulté de lecture de ce Journal Officiel… particulièrement aride.

"Il est donc d’autant plus regrettable qu’il n’existe pas aujourd’hui dans notre pays d’interdiction générale de l’utilisation de l’écriture inclusive au sein des administrations publiques et des entreprises ou associations en charge de mission de service public ou bénéficiant de subventions publiques", conclut l'Assemblée.

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Peu de chance d'être votée

"Cette proposition de loi montre une mauvaise connaissance de ces écritures. Certaines sont adaptées et simples à lire. Utiliser un argument technique pour revenir sur une aspiration à plus d'inclusivité dans la langue, c'est prendre le problème à l'envers. Si ce député veut rendre le français plus simple, il n'a qu'à supprimer l'accord du participe passé avec l'auxiliaire avoir", indiquait à TÊTU Matthieu Gatipon, porte-parole de l'Inter-LGBT+. Ironie de l'histoire, la proposition de loi est portée par "Mesdames et Messieurs Guy Tessier, députés (sic)" et utilise donc l'écriture inclusive.

Qu'on se rassure, cette proposition n'a quasiment aucune chance d'être votée. Elle ne recueille le soutien que de quelques dizaines de députés minoritaires et certains parlementaires se sont même désolidarisés. Autant dire qu'avec un calendrier parlementaire serré, sa mise en application est particulièrement théorique.

Crédit photo : Green Chameleon / Unsplash