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théâtreLa vie de Bambi mise en scène pour parler de genre à l'école

Par Thomas Pouilly le 18/01/2024
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Les jeunes ont plein de questions sur le genre. Pour aider à y répondre, une compagnie de théâtre a adapté la vie de la célèbre meneuse de revue trans Bambi pour une pièce destinée à être jouée dans les collèges et les lycées.

Depuis 2015, la compagnie du théâtre de l’Estrade, fondée en 1997 par le comédien et metteur en scène Benoît Weiler, se produit dans des collèges et des lycées pour sensibiliser aux addictions et à la radicalité. "Ça me permet de discuter beaucoup avec l’ensemble du personnel, nous explique Benoît Weiler. Et un jour, dans un lycée de Seine-et-Marne, des professeurs m’ont rapporté que le genre est devenu un sujet prévalent dans leurs classes, au point qu’ils se retrouvent assez démunis et qu’ils seraient donc ravis qu’il existe un support sur lequel s’appuyer, ce qui ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd…" Cette réflexion lui revient en effet, quelque temps plus tard, lorsqu’il retombe sur le DVD de Bambi par Sébastien Lifshitz. "À ce moment-là, ça fait tilt. Je commence à faire des recherches sur internet et j’écris à Marie-Pierre Pruvot [le nom civil de l'artiste]. Au bout de plusieurs mails, elle finit par me répondre et à l’été 2020, elle me propose qu’on se rencontre", se souvient-il.

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Bambi, pionnière trans en France

Marie-Pierre Pruvot est une légende vivante : née en 1935, elle est l’une des premières personnes transgenres françaises à se faire connaître du grand public. Meneuse de revue dans plusieurs cabarets sous le pseudonyme de Bambi, aux côtés de son amie Coccinelle dans les années 1950-1960, elle devient ensuite professeure de français dans un collège avant, une fois à la retraite, de se consacrer à l’écriture, publiant des romans, des essais et une autobiographie. En 2014, elle a été élevée au grade de chevalière de l’ordre national du Mérite, une reconnaissance qu’elle dédie alors "à toutes celles et ceux tenus à la marge et dont le combat pour une vie normale perdure". Ce parcours de vie peu banal, Benoît Weiler entend désormais le conter aux plus jeunes, en faisant le tour des écoles avec sa nouvelle pièce, Bambi, adaptée du roman autobiographique Marie parce que c’est joli, paru en 2007.

Pendant environ une heure, une durée raisonnable pour la capacité d’attention d’un jeune public, Benoît Weiler convoque tour à tour sur scène les personnes qui ont compté dans la vie de Marie-Pierre Pruvot, qu’elles viennent de sa sphère familiale, amoureuse ou professionnelle. Mur vidéo, éléments de décor multifonctions, musique de fond, jeu de lumières : la mise en scène moderne dynamise le tout. La question du genre est posée frontalement, jusque dans les interprètes des personnages masculins ou féminins, choisis indépendamment de leur genre. Le spectateur peut être surpris au premier abord, mais ce choix apparaît rapidement cohérent au regard de la thématique.

Pour conter l’histoire de Bambi à un public scolaire, un dispositif spécifique en trois temps a été imaginé. Avant que soit jouée la pièce, un débat est organisé sur les représentations sociales du genre, autour de plusieurs questions que les élèves auront préalablement choisies collectivement. Ces échanges visent à donner du contexte, mais aussi à susciter l’intérêt chez les élèves et encourager une attitude active de leur part. Après le spectacle, ils sont invités à partager leurs ressentis, leurs réflexions et leurs questions avec la troupe et des "personnes ressources invitées" (sociologues, psychologues, historiens, professeurs…).

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"Cette pièce va être très bien reçue par les élèves"

Pour l'avant-première, à laquelle nous avons assisté en septembre, Marie-Pierre Pruvot a fait le déplacement. Après la pièce, elle remercie la compagnie, se disant "bouleversée" par cette adaptation de son autobiographie, et notamment par Delphine Haber, "exceptionnelle" dans le rôle principal. Viennent ensuite les premières remarques du public. "Cette pièce va être très bien reçue par les élèves, j’en suis persuadé", assure un professeur invité. "Ce sont des sujets qui étaient moins visibles il y a quelques années mais les élèves se posent de plus en plus de questions sur le genre. On a envie de se saisir de cette thématique du coup, abonde une autre, qui mentionne les cas de plusieurs élèves de ses classes qui ont entamé une transition de genre au cours de l’année scolaire. Pour nous aussi, c’est un apprentissage, mais nos élèves nous font déjà découvrir pas mal de choses à ce sujet." Un enfant présent dans le public résume en toute simplicité : "Au début, j’étais un peu perdu. Mais finalement, j’ai découvert un peu la vie d’une personne que je ne connaissais pas".

"Je ne m’attendais pas à ce que mon histoire parle à autant de monde."

Après ce débrief collectif, Marie-Pierre Pruvot nous fait part de son "étonnement" vis-à-vis "des proportions que les choses ont prises". "Je ne m’attendais pas à ce que mon histoire parle à autant de monde. Il y a une vingtaine d’années, quand j’ai pris ma retraite de l’Éducation nationale, on ne parlait même pas encore de genre, nous confie-t-elle. Mais tout ça ne m’empêche pas de vivre très tranquillement. Dans mon immeuble, je ne sais même pas si quelqu’un connaît mon histoire." Cet anonymat, elle dit l'avoir toujours cherché, même s’il lui arrive régulièrement d’en sortir. "Il vient un âge où, si on s’isole, si on reste enfermée, c’est la déchéance, et j’ai très peur de ça, développe-t-elle. J’aimerais bien tenir debout et avoir mon esprit jusqu’à la fin. Intervenir publiquement de temps en temps me permet de continuer à m’exprimer. Ça m’aide, je crois."

De quoi la motiver, à l’aube de ses 90 ans, à remettre bientôt les pieds dans des écoles pour certaines dates de Bambi ? "J’irai peut-être, oui. Tout dépendra de mon état parce qu’à mon âge, il y a des jours avec et des jours sans", nous répond-elle. La première représentation dans un établissement est prévue pour la fin février. S’ensuivra une tournée dans les collèges et les lycées qui manifesteront leur intérêt pour la pièce auprès de la compagnie du théâtre de l’Estrade.

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Crédit photo : Thomas Pouilly