Médecin gynécologue obstétricien, Israël Nisand est en tournée médiatique pour vendre son dernier livre : Parler sexe, comment informer nos ados. Sous l'apparence d'un discours aussi ouvert qu'expert, le docteur multiplie les fausses informations dont certaines font directement écho à la propagande du lobby réac sur les questions LGBT+. Et pourtant, que ce soit dans Quotidien ou sur France Inter, personne ne bronche à ses énormités : on boit ses paroles, et on le couvre de "merci".
Comment parler de sexualité aux plus jeunes ? La question concerne toutes les familles, et au-delà la société tout entière si l'on entend lutter efficacement contre bien des phénomènes découlant du manque d'information des ados. Aussi le petit livre Parler sexe, comment informer nos ados, sorti le 14 février chez Grasset, promet de faire un tabac. D'autant que son auteur, le gynécologue obstétricien Israël Nisand, est invité sur les plateaux les plus en vue pour en faire la réclame : la matinale de France Inter ce jeudi 22 février, ou Quotidien sur TMC il y a une semaine.
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Rosette d'officier de la légion d'honneur immanquablement plantée sur sa veste, le chef de service à l'hôpital américain de Neuilly-sur-Seine est aussi président du Collège national des gynécologues obstétriciens, spécialiste des questions de bioéthique… Bref, le professeur Israël Nisand est une figure d'autorité morale, en particulier à gauche pour ses positions progressistes sur la PMA et la GPA. Affable, l'homme a le bagout de ceux qui ont l'habitude d'être écoutés, et l'assurance d'un expert : en langage médiatique, c'est un "bon client". Et pourtant, nous sommes tombés plusieurs fois de notre chaise à l'écoute de ses propos, et surtout de n'entendre aucune objection lui être apportée par les journalistes qui l'interrogent…
Nisand plus fort que les asso
Avec Yann Barthès dans Quotidien, l'interview démarre sur l'insuffisante éducation à la sexualité des jeunes à l'école, et sur le poids grandissant du porno, deux faits admis par tous les connaisseurs du sujet. "Il y a des enfants qui à 10 ans consomment trois heures de pornographie par jour", assène le médecin, manifestement adepte des formules choc. "Dix ans ?", se récrie l'animateur ; "c'est horrible", abonde Jean-Michel Aphatie, sans que personne ne pense à remettre cette donnée en question. L'Arcom indique pourtant, dans une étude publiée en 2023, que les 2,3 millions de mineurs qui visitent des sites porno tous les mois (un chiffre plutôt stable depuis 2018) y passent en moyenne… 7 minutes par jour. Chez les garçons de 10-11 ans, 21% visitent chaque mois un site de cul et ils y passent en moyenne 30 minutes par mois. Alors, pourquoi exagérer à ce point ?
On comprend vite que le tableau brossé par le Pr Nisand est noir de jais, et que seul un homme est capable de sauver les jeunes : lui – quand bien même il dit "porno hub" pour pornhub et "tup" pour tubes. Les associations, comme Aides ou le Planning familial qui interviennent en milieu scolaire ? "Si vous envoyez quelqu'un de pas très compétent, c'est contre-productif", tranche le gynécologue. Une pique d'autant plus injuste, contre des organisations agréées et dont les membres suivent des formations, que lui-même clame partout s'être formé à l'éducation sexuelle… sur le tas, face aux élèves.
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Question de Julien Bellver : "Les infections sexuellement transmissibles, c'est une inquiétude de la part des ados ?" Réponse du docteur : "Ma seule manière d'aborder ça, c'est de dire 'Du temps où j'avais votre âge, il n'y avait aucune maladie, aucune IST qui tuait, aujourd'hui il y en a une qui tue'." Et de consacrer ensuite "3 ou 4 minutes, sans insister" à expliquer comment se prémunir du VIH. Un peu court, quand on sait que le VIH ne tue plus en France dès lors qu'il est dépisté et soigné, et qu'un jeune sur deux seulement le sait. Mais le Pr Nisand double alors son tir contre les associations en caricaturant leur message : "Aller dans une classe et dire 'écoutez les enfants, la sexualité ça tue et ça provoque des grossesses, au revoir', mais c'est de la barbarie ! Ce qui a été fait par certaines associations (…), c'est pas bien !"
Directement visé, le Planning familial à dû se défendre : "Stop aux fake news Israël Nisand ! Le Planning familial défend une approche globale et positive de l'éducation à la sexualité, basée sur la libération de la parole, qui permet de lever les tabous dès le plus jeune âge, de déconstruire les idées reçues sur les questions relatives à la sexualité et l’anatomie, de favoriser les échanges entre pairs."
Transidentité : les fakes news du lobby réac
Le Planning familial n'est pas seul à avoir halluciné en écoutant Israël Nisand. Sur France Inter, le docteur aborde l'homosexualité et la transidentité… "Sous l'influence des réseaux sociaux, et sous l'influence aussi de certains transactivistes, les choses sont présentées aux jeunes comme 'Si tu ne vas pas bien, si t'as des angoisses, c'est bien parce que tu n'es pas dans le bon corps'. Je pense que cette intoxication-là est mauvaise", démarre le septuagénaire, à deux doigts de nous faire le coup de la "propagande LGBT". Et ce n'est pas fini : "Je milite pour éviter qu'on ne touche au corps avant l'âge de 18 ans ; ni on enlève les seins, ni on enlève l'utérus, ni on donne des hormones, parce que les choses sont irréversibles." Sa solution face à une ado concernée ? "Je lui dis 'Change d'habits, change de coiffure, change de prénom' (…). Oui à la transition sociétale et psychologique, et à l'apparence (…), non au fait de faire des choses irréversibles à 13 ans."
Là, pour le coup, on est dans la propagande. Car, faut-il encore le rappeler : les ados trans de moins de 18 ans ne sont pas éligibles aux opérations de réassignation de genre. Au tour d'Espace Trans Santé d'intervenir pour rectifier les faits : "Comme le rappelle le Conseil de l'Ordre des Médecins, les traitements et opérations accessibles aux ados trans sont des traitements et opérations accessibles aux ados cis, et le sont évidemment aux mêmes conditions d'un consentement éclairé etc." Quant à cette idée que des médecins prescriraient inconsidérément des hormones à des enfants en crise : "ll est évident que l'idée qu'on mettrait sous hormones le moindre enfant assigné à un genre sous prétexte qu'iel a eu un comportement ne correspondant pas aux normes de genre une fois dans sa vie est un mythe." Et l'organisation de rappeler à l'intervenant en milieu scolaire que "le suivi des personnes trans, a fortiori des mineur·es trans, c'est un sujet sérieux qui ne peut être qu'individualisé. Dire à quelqu'un·e qu'on voit en groupe ce qu'iel doit faire socialement (...) et médicalement n'est pas sérieux."
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Israël Nisand guérit aussi l'inceste
La facilité avec laquelle le Pr Nisand raconte tout cela sans contradiction est d'autant plus étonnante que, sur France Inter, il fait un récit proprement stupéfiant… "Racontez-nous cette affaire", lui demande Léa Salamé au sujet d'une adolescente de treize ans qui avait rapporté au médecin, lors d'une intervention scolaire, être victime d'inceste de la part de son grand frère. Que fit le professionnel ? Aucun signalement, ni au procureur de la République, ni à l'équipe pédagogique ou aux services sociaux. Le médecin assume même de ne pas être intervenu immédiatement, comme demandé par la fillette afin de ne pas gâcher les vacances de la famille : "J'ai décidé de suivre moi-même cette affaire-là, c'est-à-dire d'assurer la protection de la gamine tout en évitant une catastrophe familiale", explique-t-il fièrement. Et d'ajouter, christique : "Je vaccine les élèves contre le silence (…) en leur disant 'Si tu te tais, ça peut se retrouver sur ta tête dix, vingt ans plus tard, et on t'accusera de ne pas avoir protégé ton copain ou ta copine'." Pas de relance des intervieweurs sur un tel traitement infligé à des ados.
Il faudra attendre qu'une auditrice, travailleuse sociale, appelle l'antenne pour s'étonner d'entendre promouvoir une telle approche "sur une grande antenne". Mais Israël Nisand plane au-dessus des procédures, de la justice et des services sociaux : "C'est une vraie responsabilité qui est réservée aux médecins, et pas aux travailleurs sociaux, de pouvoir choisir si telle option va être meilleure ou moins bonne. Et en l'occurrence, j'ai suivi cette famille et je sais que ça s'est bien passé par la suite et qu'on a évité une catastrophe." En termes de mégalomanie, on n'avait pas vu mieux depuis le Dr Raoult.
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Crédit photo : capture d'écran France Inter