[Cet édito ouvre le magazine têtu· du printemps, disponible chez vos marchands de journaux] Le ministre délégué aux Comptes publics, Thomas Cazenave, a démenti ce jeudi 21 mars sur franceinfo la rumeur d'un projet de réforme voire de suppression de l'aide personnalisée au logement (APL), déjà rabotée plusieurs fois depuis 2017, après qu'un de ses collègues a confié anonymement à Paris Match qu'elle "ne sert à rien". Il faut dire qu'après dix ans de réformes Macron, on est en droit de se demander ce qui arrêtera la majorité présidentielle dans l'abrasion des solidarités nationales…
Voici quarante ans, cette année, qu’au sein de la communauté LGBTQI+ des hommes et des femmes ont commencé à s’organiser pour mener la lutte anti-sida. Certains ont choisi l’aide aux malades, indispensable tant ceux-ci étaient livrés à eux-mêmes et stigmatisés ; d’autres la radicalité politique, nécessaire pour placer élus et laboratoires au pied du mur de leurs responsabilités. Cleews Vellay était de ces derniers, comme président d’Act Up ; il n’aura pas vu son action aboutir, fauché par le sida en 1994 (lire à ce sujet notre dossier spécial dans le magazine têtu· du printemps). C’est grâce à l’action militante à laquelle il prit part, et aux nouveaux traitements, que nous vivons aujourd’hui normalement avec le VIH.
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Qu’aurait dit Cleews s’il avait su cela ? et s’il avait pu vivre jusqu’à obtenir le droit d’épouser celui qu’il appelait son mari ? La progression des droits LGBTQI+, en France comme dans une bonne partie de l’Europe, est depuis les années 1980 tangible sur le temps d’une vie humaine. Et si le tiraillement entre pragmatisme et radicalité traverse les luttes queers comme chaque mouvement de libération depuis la Révolution, dans un demi-siècle ne resteront que les progrès réalisés, les droits conquis.
Ces décennies de combat anti-sida auront fait prendre au sein de la commu un ciment crucial : la solidarité. Un regard queer sur le monde, c’est un regard qui n’oublie pas cela, et se souvient que quel que soit notre itinéraire personnel, l’histoire peut se charger en un claquement de droits de nous ramener d’où nous venons : la marge. Celle où vivent encore beaucoup d’entre nous, parmi les sans dents, les sans abri, les sans papiers.
France, Travaille !
Or, quelles sont les priorités endossées par le nouveau gouvernement d’Emmanuel Macron ? D’énièmes restrictions de nos protections sociales, s’ajoutant aux multiples coups de canifs portés depuis maintenant dix ans que la première loi Macron a été votée en 2014. Avec d’abord une nouvelle réforme de l’assurance chômage, durcissant pour la troisième fois depuis 2017 les règles d’indemnisation. Ce qu’on ne prend même plus la peine de nous justifier, si ce n’est en nous chantant l’air du : France, Travaille !
“On est passé de 24 à 18 mois de durée d’indemnisation, on peut encore réduire. On peut aussi accentuer la dégressivité des allocations”, est ainsi aller plastronner le nouveau chef du gouvernement, Gabriel Attal, dans le Journal du dimanche. Comme si l’assurance chômage était un cadeau qu’on avait fait à d’autres qu’à nous-mêmes, et non un filet de sécurité que nous avons tissé ensemble pour ralentir notre chute, en cas de perte d’emploi, vers le revenu minimum, c’est-à-dire la pauvreté. Il faut n’avoir jamais été au chômage pour croire qu’on s’y inscrit en se promettant deux ans de vacances, et qu’il nous faudrait donc des coups de cravache pour nous remettre au boulot. Nous avons des logements à payer, Monsieur le Premier ministre, et des bouches à nourrir, qui nous motivent bien suffisamment.
Deuxième promesse que s’est empressé de confirmer le nouveau chef du gouvernement : réduire l’Aide médicale d’État (AME), qui permet de soigner les étrangers – soit l’exemple même de la solidarité, laquelle récompense en retour puisqu’il en va aussi de notre santé collective.
Liberté, égalité, solidarité
Pour la rappeler à l’ordre sur ces chemins de rabotage des solidarités nationales, la macronie ne devrait pas trouver que la gauche, mais aussi les gaullistes s’ils étaient cohérents. À notre époque de creusement alarmant des inégalités, au sein de nos frontières comme entre les nations, il est nécessaire de nous rappeler que la solidarité n’est pas une cerise sur le gâteau démocratique mais bien le pilier d’une société visant l’épanouissement de ses sujets. La réalisation des conditions minimum de vie matérielle permet d’y faire progresser les droits humains, et non l’inverse.
Une réflexion d’autant plus importante que la France et l’Europe font face au bouleversement climatique, avec des conséquences migratoires inévitables, et à la montée en puissance de forces qui s’en prennent à nos valeurs, en interne comme le lobby réac, ou depuis l’extérieur comme le dictateur Poutine.
Devant ces défis, si la France et l’Europe choisissent de se raidir et de s’enfermer, elles se conformeront encore au constat fait par Frantz Fanon juste avant que de mourir d’une leucémie à 36 ans. En contemplant notre histoire coloniale, le psychiatre et militant martiniquais écrivait dans Les Damnés de la terre : “L’Europe s’est refusée à toute humilité, à toute modestie, mais aussi à toute sollicitude, à toute tendresse.” En cette année d’élections européennes, l’histoire des luttes queers nous ramène plus que tout aux fondements de notre belle utopie : liberté, égalité, solidarité.
Crédit illustration : Ludovic Marin / AFP