Succédant à Élisabeth Borne à la tête du gouvernement, le plus jeune Premier ministre de la Ve République, Gabriel Attal (âgé de 34 ans), est aussi le premier ouvertement homosexuel. L'annonce de ce remaniement a aussitôt ouvert un débat au sein de la communauté LGBT+ : cette nomination historique est-elle aussi une bonne nouvelle ?
"Le président de la République a nommé M. Gabriel Attal Premier ministre, et l’a chargé de former un gouvernement." Le communiqué laconique de l'Élysée, tombé ce mardi 9 janvier à 12h38 dans les boîtes mails des journalistes, est historique : c'est la première fois qu'une personnalité homosexuelle assumée est nommée à la tête d'un gouvernement français.
Et alors, donc, un Premier ministre gay et fier, qu'est-ce que cela change ? La première réponse est dans la question : ce que dit d'abord et avant tout cette nomination c'est que oui, en France en 2024, on peut être gay et néanmoins accéder à Matignon. "Néanmoins" car, nous le savons, nous revenons de très, très loin : il y a seulement quarante ans que l'homosexualité n'est plus l'objet de lois répressives en France. En 2007, c'est un ancien député de droite ayant voté contre la dépénalisation de l'homosexualité qui s'installait dans le bureau investi aujourd'hui par Gabriel Attal : un certain François Fillon. Qu'en si peu de temps, on soit passé de l'un à l'autre, ce n'est pas rien.
Visibilité ≠ représentation
Et pourtant, sur X (Twitter) dès avant la confirmation de cette première historique, le nom du successeur d'Élisabeth Borne était talonné dans les tendances principales par l'acronyme "LGBT", derrière lequel un débat fait rage. "Une victoire symbolique pour la cause LGBT", salue le sociologue Frédéric Martel, tandis que d'autres rétorquent : "Perso je ne me sens pas représentée"… Mais qui parle de représentation ? Pointer que Gabriel Attal ne nous "représente" pas, nous LGBTQI+, accrédite les fantasmes que le lobby réac s'échine à infuser dans l'opinion publique : il y aurait un lobby LGBT, dont le plus haut placé d'entre nous serait, sinon le chef, au moins le représentant.
Ce serait confondre visibilité et représentation. Or la visibilité est comme la fierté : performative. Quand une personnalité issue d'une minorité accède à une fonction sociale jusqu'ici inaccessible, c'est une bonne nouvelle en soi. D'ailleurs, cela ne signe pas la fin de l'histoire LGBTQI+, et il y aura bien d'autres premières du genre à conquérir : un·e premier·e chef·fe du gouvernement lesbienne, trans, racisé·e… Et surtout la première présidence queer de la République, une autre paire de manches car il s'agira d'une élection et non d'une nomination. Nous en sommes peut-être loin, mais cela est désormais rendu un peu plus envisageable.
Ceux qui regrettent, car là est bien le reproche, que le premier gay out chef d'un gouvernement français ne soit pas de gauche – ou ne le soit plus – négligent deux choses. D'abord, qu'il est permis d'être homo sans être de gauche, c'est de facto très répandu. Et si historiquement, la plupart des progrès réalisés sur le plan des droits LGBTQI+ l'ont été grâce à l'action de la gauche, il est arrivé à la droite de prendre des initiatives salutaires pour la communauté : comment oublier le soutien indéfectible de l'alors députée RPR Roselyne Bachelot au Pacs ? Et qui a commencé à mener des politiques de lutte contre le sida, sous la pression des militants, à la fin des années 1980 ? Michèle Barzach, ministre de la Santé de Jacques Chirac, qui en 1987 annula la loi interdisant la publicité pour les préservatifs, avant d'autoriser la vente libre de seringues en pharmacie, posant ainsi les premières pierres d'une politique de réduction des risques.
Un nouveau possible pour les jeunes gays
Au bout du compte, nos questionnements sur la nomination de Gabriel Attal reviennent à se demander : l'élection, en 2008, du premier président noir des États-Unis, Barack Obama, était-elle une bonne nouvelle pour la communauté noire, ou aurait-il fallu n'en juger qu'à la lumière de son bilan sur la question raciale ? Ses deux mandats ne l'auront pas réglée, loin s'en faut. Mais son élection restera un précédent, en dépit de son bilan et des soubresauts de l'histoire. Faut-il pour autant ne rien attendre de Gabriel Attal, et ne rien exiger de lui, en particulier en termes de politique pour les LGBTQI+ ? Bien au contraire, et têtu· sera en première ligne pour lui rappeler, comme nous l'avons fait avec ses prédécesseur·es, que nos droits et libertés ne sont pas négociables, peu importe qui occupe les sièges du pouvoir.
Lors de la passation de pouvoir ce mardi après-midi, Élisabeth Borne a rappelé le symbole de son arrivée à Matignon en 2022 ; en devenant la deuxième femme de l'histoire de France nommée Première ministre, elle avait déclaré : "Je voudrais dédier cette nomination à toutes les petites filles en leur disant : «Allez au bout de vos rêves»." La phrase vaut aujourd'hui pour les jeunes gays. Ni plus, ni moins. Une première, dans l'histoire d'une minorité, ça ne change rien et tout à la fois.
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Crédit photo : Xose Bouzas / Hans Lucas via AFP