interviewBenoît Hamon : "La société que la gauche propose est plus joyeuse que le brun du RN"

Par Nicolas Scheffer le 21/06/2024
Benoît Hamon

Le candidat socialiste à l'élection présidentielle de 2017 juge sévèrement la décision d'Emmanuel Macron de dissoudre l'Assemblée nationale et de convoquer des élections législatives anticipées les 30 juin et 7 juillet. Analysant le vote RN comme la réponse à une "peur", Benoît Hamon souhaite que la gauche réunie dans le Nouveau Front populaire inspire une alternative "joyeuse".

Il a rejoint la société civile, mais il n'a pas quitté la vie de la cité. Candidat du Parti socialiste à l'élection présidentielle de 2017, Benoît Hamon dirige aujourd'hui l'ONG Singa pour l'inclusion des personnes réfugiées, ainsi qu'ESS France, organisation qui fédère les acteurs de l'économie sociale et solidaire. Il juge "irresponsable" la décision d'Emmanuel Macron de dissoudre l'Assemblée nationale pour convoquer des élections législatives anticipées. Face au risque de voir l'extrême droite arriver au pouvoir, il plaide pour une gauche responsable mais enthousiasmante.

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  • Vous avez alerté sur la situation politique particulièrement inquiétante. Pourquoi ne pas vous être proposé comme candidat aux élections législatives des 30 juin et 7 juillet ?

Je me suis projeté dans la pire situation, à savoir une victoire du Rassemblement national (RN). Dans un tel contexte, je ne pouvais pas abandonner Singa et ESS France pour être un député d'opposition à l'Assemblée nationale. L'écosystème de la migration et celui de l'économie sociale et solidaire vont être des cibles immédiates et prioritaires de l'extrême droite, je ne pouvais pas quitter le navire au moment où s'annonce la tempête.

  • Comment jugez-vous ce geste d'Emmanuel Macron de dissoudre l'Assemblée nationale ?

Comme tout le monde, j'ai été sidéré par cette décision. J'y vois un mélange de caprice de monarque et de prétention incroyable. C'est irresponsable de nous donner trois semaines après les élections européennes pour nous organiser face à l'extrême droite. J'ai voté deux fois Emmanuel Macron pour faire barrage à l'extrême droite, je ne peux que constater l'ampleur de son échec : l'année 2023 s'est terminée par l'adoption d'une loi immigration avec la validation idéologique de Marine Le Pen et les voix du Rassemblement national. En reprenant le cœur du projet de l'extrême droite, l'hostilité aux étrangers, il légitime ses thèmes.

C'est de la démagogie pure, reniant sa position lors de la campagne présidentielle. Dans le même souffle, en parlant d'"immigrationnisme", il utilise le lexique du Rassemblement national et de Reconquête. Cela témoigne d'une forme de panique, Emmanuel Macron ne maîtrise rien du brasier qu'il a produit.

"La liste des boucs-émissaires du RN est infinie, et les gays ne seront pas épargnés."

  • En tant que dirigeant d'association, quel jugement portez-vous sur le programme du Nouveau Front populaire concernant l'immigration ?

Il pose la question de l'inclusion, ce qui est très important. On n'a pas un problème avec la migration mais avec l'inclusion, ce qui n'est pas spécifique aux nouveaux arrivants. Ce pays s'est construit sur son universalisme et peine à être hospitalier à la différence. Ce que je lis dans le programme du Front populaire, c’est qu’il y a un effort de construire un discours politique à partir du réel et non des croyances.

Les gens ont peur. Ils craignent de ne pas pouvoir vivre librement en tant que gays dans la cité, dans la rue. Cela peut aussi être une peur fondée sur l'idée que les étrangers remettent en cause nos modes de vie. C'est comme si beaucoup percevaient que la France qu'ils connaissent les quitte. Ces peurs, on peut les instrumentaliser ou bien essayer d'y apporter des réponses de nature à lever les appréhensions, à déconstruire les préjugés.

Au-delà, il y a beaucoup de gens qui se satisfont de voter pour un parti dont ils savent qu'il ne va pas améliorer leur situation mais en pensant qu'il va faire du mal à d'autres personnes. Frantz Fanon disait : "Quand vous entendez dire du mal des juifs, dressez l'oreille, on parle de vous." Que l'on ne se méprenne pas, la liste des boucs-émissaires du RN est infinie, et les gays ne seront pas épargnés.

  • La gauche n'a-t-elle pas minimisé ces peurs en mettant sous le tapis l'homophobie alimentée par un discours religieux, notamment musulman, au risque de ne pas déconstruire ces stéréotypes ?

On peut toujours chercher des responsabilités à gauche, mais ce n'est pas nous qui sommes responsables de la montée du racisme ! C'est un échec collectif si, dans deux semaines, nous avons un gouvernement xénophobe. Si aujourd'hui la parole raciste est punie, elle pourrait demain être érigée au rang d'opinion comme les autres et être confortée par un État qui adopterait des lois xénophobes.

À l'époque, avec Najat Vallaud-Belkacem [qui venait de lui succéder au ministère de l'Éducation], nous recevons un bilan contrasté de l'expérimentation : certains modules fonctionnent et pas d'autres. On en conclut par une formation auprès de tous les enseignants sur les questions de lutte contre les LGBTphobies, à la fois en formation initiale mais aussi tout au long de la carrière. On me dit que j'ai abandonné les ABCD, mais on a arrêté une expérimentation et mis en place une formation.

"Lorsque ça tangue, les personnes de gauche savent prendre leurs responsabilités."

  • À votre sens, à quoi pourrait ressembler le 8 juillet ?

À un jour joyeux ! Une majorité de gauche, qu'elle soit absolue ou relative, obligera à faire des compromis pour faire front face à l'extrême droite. Il y va de notre possibilité de disposer de notre propre corps, de vivre notre orientation sexuelle, de nous éduquer dans un cadre préservé des influences religieuses, politiques ou idéologiques…

  • La gauche doit-elle accepter la main tendue par des élus comme Clément Beaune pour des accords de coalition ?

On proposera certainement à Clément Beaune de participer à ce type de large coalition. Mais on ne peut pas penser sincèrement que l'initiative viendra de ceux qui ont gouverné à coups de 49.3 et qui découvrent les mérites des grands compromis au moment où ils connaissent un échec cuisant.

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  • Pour convaincre les électeurs de voter pour elle, la gauche ne devrait-elle pas présenter avant les législatives un nom pour Matignon ?

J'en vois les avantages, mais aussi les inconvénients. Je ne suis pas sûr que la gauche trouve spontanément la personne qui fasse suffisamment consensus pour nous faire gagner plus de voix qu'elle n'en ferait perdre. On verra l'état du rapport des forces après le second tour. Évidemment, il y a des divergences, mais j’observe que lorsque ça tangue, les personnes de gauche savent prendre leurs responsabilités.

La militante américaine Emma Goldman disait : "Si je ne peux pas danser, ce n'est pas ma révolution." Cela signifie que si vous ne pouvez pas danser pendant la conquête du pouvoir, que vous êtes tristes, acrimonieux, peu généreux, alors l'exercice du pouvoir le sera également. Nous devons montrer que la société que l'on propose est autrement plus joyeuse que la couleur brune d'un pouvoir au RN. 

>> Les élections législatives anticipées se dérouleront les 30 juin et 7 juillet. Pour réaliser une procuration, il faut se rendre sur maprocuration.gouv.fr : votre mandataire pourra alors se rendre à votre place dans votre bureau de vote.

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Crédit Photo : Ludovic Marin / AFP

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