Manifestement prêt à tous les reniements pour sauver ce qui peut l'être de son dernier mandat, le président, Emmanuel Macron, a décidé de jeter les personnes trans sous les roues du bus en portant un discours flattant la transphobie, dans le droit sillage de Marion Maréchal-Le Pen. C'est moche, une fin de règne…
"Qui voit Sein, voit sa fin", prévient un dicton connu de tous les marins bretons. Y pensait-il, Emmanuel Macron, lors de sa visite ce mardi 18 juin sur l'île de la mer d'Iroise, dans une période d'incertitude politique qu'il a lui-même créée et où se joue le bilan qu'il laissera dans l'histoire ? C'est là que, s'entretenant avec quelques têtes grises, comme pris de panique devant la montée des passions réactionnaires, le président de la République a jeté à la mer, d'une phrase, le progressisme dont il se réclamait depuis sa conquête de l'Élysée en 2017. S'en prenant au programme du Nouveau Front populaire, il a pointé, sur ce ton de Français moyen accoudé au zinc qu'il affectionne en période de campagne : "Y a des choses complètement ubuesques, comme par exemple aller changer de sexe en mairie, bon…"
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Face à lui, la pique produit l'effet recherché : on se rengorge de bon sens, en soupirant devant cette société qui part à vau-l'eau… Mais de quoi s'agit-il ? De cette ligne du programme de la gauche unie pour les élections législatives des 30 juin et 7 juillet, sur les droits LGBTQI+ : "Autoriser le changement d’état civil libre et gratuit devant un officier d’état civil." Une revendication de longue date des associations trans, soutenue par têtu·, et même par un certain Emmanuel Macron, qui lors de la campagne pour sa réélection, en 2022, nous déclarait : "Les personnes qui s’engagent dans un processus de transition doivent être respectées dans leur choix et leur vie ne doit pas être rendue plus complexe par des procédures administratives si elles sont inutiles." Entretemps, cette simplification de la vie des personnes trans a été adoptée en Espagne, en Allemagne, et même par la droite en Suède, rendez-vous compte ma bonne dame.
Emmanuel Macron, président LGBT-hésitant
Ce n'est pas la première fois qu'Emmanuel Macron godille sur les questions LGBTQI+. En 2022 également, il affirmait dans têtu· que "l’école a un rôle clé à jouer dans la lutte contre les préjugés et les discriminations envers les personnes lesbiennes, gay, bi, trans", saluant comme "essentiel (…) le travail des associations LGBT+ et leur intervention en milieu scolaire, mais aussi péri-scolaire". Deux semaines plus tôt, le même se prononçait pourtant… en défaveur de l'intervention de ces mêmes associations en primaire, et "sceptique" pour le collège ! "Entre progressisme et conservatisme, Macron va devoir clarifier", écrivions-nous alors. Le 28 mai, lorsque la droite a présenté au Sénat une proposition de loi visant à interdire l'accès des mineurs trans à un encadrement médical, la macronie avait également vacillé, le gouvernement ayant hésité jusqu'au bout à ne pas donner de consigne de vote à ses troupes.
Le président l'a proclamé pour justifier sa dissolution surprise de l'Assemblée nationale, le temps est venu des "clarifications". En voici donc une première : pour Emmanuel Macron, les questions LGBTQI+ servent, selon les circonstances et les oreilles qui l'écoutent, à afficher un volontarisme progressiste ou un "bon sens" réactionnaire. Mais monsieur le président, nous ne sommes pas des abribus sur lesquels placarder vos slogans selon l’air du temps.
Et maintenant…
Le macronisme voyant sa fin venir, quelles options pour la communauté LGBTQI+ ? Au Rassemblement national (RN), l'hypocrisie est plus gonflée que jamais. Le parti de Marine Le Pen, après s'être systématiquement opposé à toute avancée des droits LGBT+ (pacs, mariage, adoption, PMA, etc.), ayant lu les sondages et constatant que monte un vote gay motivé par l'insécurité, se repeint désormais en parti LGBT-friendly, ayant beau jeu de proclamer que lui seul peut mettre fin par exemple aux guets-apens homophobes crapuleux qui nous visent. Comme si l'option sécuritaire n'avait pas déjà été essayée, du "Kärcher" de Nicolas Sarkozy aux "opérations XXL" de Gérald Darmanin en passant par Brice Hortefeux, Claude Guéant, Manuel Valls… En vain : les violences anti-LGBT sont au plus haut.
En face, la gauche revient à ses bases, dix ans après avoir manqué une occasion historique sous François Hollande : la mise en place, comme l'ont fait depuis belle lurette plusieurs pays scandinaves, d'un programme ambitieux d'éducation à l'altérité et à l'acceptation, de la maternelle au lycée, le seul à même de faire reculer la haine et la violence. Combien de nos agresseurs d'aujourd'hui, de plus en plus souvent âgés de 14 ou 15 ans, auraient-ils pu être sauvés si la gauche avait tenu ? Mais le gouvernement socialiste, après avoir engagé en 2014 cette réforme en commençant par des "ABCD de l'égalité", avait reculé devant une alliance des réseaux catho-conservateurs de La Manif pour tous et de petites associations culturelles musulmanes propageant des rumeurs farfelues sur des "cours de masturbation" qui seraient donnés aux enfants.
Pour convaincre qu'elle ne godillera pas à son tour sur les droits LGBTQI+, encore faut-il que la gauche prenne ses distances avec deux attitudes : celle remisant au second plan ces questions considérées comme un repoussoir des classes populaires, et celle relativisant à tort, au nom de la lutte légitime contre le racisme, l’homophobie quand elle émane de la culture musulmane. Quoi qu'il ressorte de ces clarifications à vitesse accélérée, nous savons que l'avancée et la préservation des droits LGBT+, comme des droits féministes, nécessitent également deux conditions : une Assemblée majoritairement engagée pour l'inclusion, et une société qui ne se réfugie pas dans la peur.
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Crédit photo : Christophe Ena / AFP