interviewSport, addiction, OnlyFans… rencontre avec Matthew Mitcham, ambassadeur gay des JO

Par Nicolas Scheffer le 07/08/2024
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En 2008, aux Jeux olympiques de Pékin, Matthew Mitcham faisait coup double : son coming out gay et la médaille d'or du plongeon à 10 mètres. Le voilà aujourd'hui ambassadeur de la Pride House de Paris 2024.

Difficile de redescendre sur terre lorsqu’on a touché l’or. D’autant plus quand on est le premier athlète ouvertement gay sur la marche d’un podium olympique. En remportant, aux Jeux olympiques de Pékin (2008), la médaille tant convoitée en plongeon à 10 mètres, l’Australien Matthew Mitcham a battu à l’âge de 20 ans le record olympique de plongée en simple. Cela n’a pas empêché ses vieux démons de reparaître : dans Twists and Turns, une autobiographie non traduite publiée en 2012, le champion olympique raconte comment il est tombé très jeune dans l’addiction à l’alcool et aux drogues, et a même rechuté après sa médaille avant d’arrêter sa carrière sportive en 2016.

Résidant désormais à Londres avec son mari, Matthew s’est désormais libéré de sa dépendance et multiplie les activités : en drag au cabaret, à la télévision dans la version australienne de Danse avec les stars, comme commentateur sportif… Nous le retrouvons à l’occasion des JO de Paris 2024, bien dans ses 36 ans, et ambassadeur de la Pride House pour témoigner de son parcours qui force l’admiration.

  • Alors cette cérémonie d’ouverture des JO, difficile de faire mieux, n’est-ce pas ?

C’est l’un des trucs les plus gays que j’aie vus ! C’était vraiment fabuleux, en plus pendant le moment le plus regardé à la télévision dans le monde. Le directeur artistique, Thomas Jolly, est entré dans la légende.

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  • Tu as pensé quoi devant la polémique réac qui a suivi ?

Je regrette que le monde soit aujourd’hui tellement polarisé… Une minorité réactionnaire très bruyante se galvanise d’avoir réussi à mettre un coup d’arrêt à la joie queer. Le climax était qu’en présentant des excuses, le comité d’organisation a validé l’interprétation des réactionnaires concernant le tableau des Bacchanales. Mais si on s’excuse même des interprétations fausses, on retire à l’art toute capacité de critique de la norme et des sociétés. Il n’y avait pas de représentation de la Cène, et le comité olympique n’aurait pas dû s’excuser.

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  • La visibilité LGBTQI+ lors de tels événements, c’est important à tes yeux ?

Lorsque j’ai concouru aux JO de Pékin, ma sexualité était un non-sujet total, les gens demandaient pourquoi on en parlait. Mais le monde s’est rendu compte à quel point la visibilité est importante pour nous, d’autant que nos adversaires nous attaquent avec un certain succès… Lorsqu’ils ont lancé une opération de boycott des bières Bud Light qui avaient mis en scène une influenceuse trans, le soutien de la marque aux marches des Fiertés a été bien moins important les années suivantes ! 

  • Pourquoi avoir décidé de faire ton coming out médiatique aux moment des Jeux de Pékin, en 2008 ?

Avant de déménager pour Sydney, c’était difficile pour moi d’être out car j’ai commencé à plonger à l’âge de 11 ans, ce qui était trop tôt pour être à l’aise avec mon identité. Quand j’ai commencé à l’être, j’étais six heures par jour et six jours par semaine avec mon équipe, donc j’avais honte de leur avoir menti sur mon identité pendant si longtemps. Mais l’expérience d’être dans le placard m’a semblé horrible, alors je m’étais fait la promesse d’être 100% honnête. Mon départ pour Sydney m’est apparu comme une nouvelle page où je pouvais être authentique, et j’ai été out à l’âge de 18 ans. Ensuite, avec ma participation aux Jeux olympiques, on m’a tendu un micro et j’ai vu une opportunité de me présenter authentiquement au public dès le départ.

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  • Comment as-tu découvert le plongeon, quand la plupart des enfants préfèrent jouer au foot ou au rugby ?

En fait, j’étais vraiment nul dans les autres sports ! J’étais toujours le dernier à être choisi pour former une équipe. Mais je me suis rendu compte que j’étais bon au trampoline, et j’ai gagné quelques concours. À Brisbane, où je vivais, la piscine municipale était aussi le lieu de formation de l’équipe nationale de plongeon, et donc les gamins s’amusaient à faire des bombes depuis le plongeoir. C’est là que le coach de l’équipe nationale m’a vu faire un double saut périlleux et il m’a enrôlé dès la semaine suivante, à l’âge de 11 ans, à l’Institut national sportif. Je préférais le trampoline, mais je voyais le plongeon comme une opportunité pour avoir du succès.

"Cela m’a demandé six mois pour ne plus penser quotidiennement à la drogue et à l’alcool… mais le désir d’aller à Pékin était plus fort."

  • Tu a souffert très jeune de problèmes d’addiction à la drogue et à l’alcool, lorsqu’un jour on t’a appelé pour commencer un entraînement en vue des Jeux olympiques de 2008. Tu dirais que cela t’a sauvé ?

Totalement, parce que je souffrais de dépression et d’anxiété, à cause de prédispositions génétiques, et j’avais du mal à gérer mes hormones. De mes 14 à 18 ans, je me collais des caisses et cela dépassait le cadre de la fête. Du coup cela me mettait KO pendant toute la semaine, ce qui finissait par m'empêcher de m’entraîner, d’autant que je ne prenais plus de plaisir à plonger. J’ai totalement arrêté de plonger pendant près d’un an, jusqu’à ce qu’un coach à Sydney me propose, quinze mois avant les JO de Pékin, de m’entraîner pour les préparer. J’ai immédiatement arrêté de boire et de prendre de la drogue, je voulais mettre toutes les chances de mon côté pour pouvoir représenter mon pays. Cela m’a demandé six mois pour ne plus penser quotidiennement à la drogue et à l’alcool… mais le désir d’aller à Pékin était plus fort.

  • Bien t’en as pris, puisque tu y as remporté une médaille d’or : tu te souviens de ce que tu as ressenti ?

Oh mec, je recommande totalement, c’est un sentiment incroyable ! Mais très vite, j’ai eu le sentiment que c’était de la chance, car mes adversaires avaient fait des erreurs, et que je ne la méritais pas. Depuis aussi longtemps que je me souvienne, j’ai toujours eu une mauvaise estime de moi-même. J’ai donc subi une rechute de ma dépression, ce qui a conduit à une rechute en termes d’addiction.

  • On l’oublie souvent mais la pratique d’un sport de haut niveau peut aussi être éprouvante pour la santé mentale…

Le sport a peut-être freiné mon addiction, mais il a fait aussi beaucoup de dégâts pendant mes années d’adolescence. Je voyais le sport comme ma manière d’avoir une particularité, au point que je continuais à le pratiquer même quand je détestais cela et que cela me rendait malheureux. S’obliger quotidiennement à faire plusieurs heures par jour quelque chose que l’on déteste pour se rendre spécial, ce n’est vraiment pas bon pour votre santé mentale.

  • Tu as arrêté ta carrière sportive en 2016, à 28 ans : comment gère-t-on une telle transition si jeune ?

À ce moment-là, je faisais du drag en cabaret et je commençais à avoir du succès. Je passais mon temps à rencontrer des gens magnifiques après les shows, et comme je partageais ma propre vulnérabilité, ils se sentaient autorisés à me transmettre les leurs. C’est plus dur quand tu n’as pas d’autre occupation.

  • Les médias ont parlé cette année des athlètes qui ont ouvert une page OnlyFans pour se créer des revenus. Toi tu l’as fait il y a quelques années, comment as-tu abordé le sujet avec ton mari ?

Il a eu sa propre page avant que j’ouvre la mienne ! C’est moi qui l’avais encouragé à le faire quand il a vu le potentiel pour se faire de l’argent : il est thérapeute par le massage et de nombreuses personnes voulaient le voir masser d’autres personnes. Quelque temps plus tard, j’ai ouvert à mon tour ma page. J’ai toujours eu une vision sex positive et la volonté de dépasser le stigma qui tourne autour du sexe. Mais je ne me l’autorisais pas pour moi-même, et donc passer le pas m’a vraiment libéré et permis de ne plus me juger.

"C’est très difficile d’évaluer combien on peut montrer sur OnlyFans sans se fermer des opportunités dans l’économie habillée."

  • Combien avais-tu gagné pour ta médaille d’or ? Tu touches plus d’argent aujourd’hui sur OnlyFans qu’avec ta carrière sportive ?

Je n’ai pas gagné directement d’argent pour la médaille, mais ensuite j’ai eu ma tête sur un timbre et je crois que la poste australienne m’a rémunéré autour de 25.000 dollars australiens (environ 15.000 euros), ce qui est à la fois beaucoup et peu. Sur OnlyFans, je ne peux pas te dire le montant, mais ça vaut le coup. Après c’est compliqué de transformer des followers sur Instagram en personnes qui acceptent de dépenser de l’argent pour suivre tes photos, d’autant plus quand il n’y a pas de nu frontal ou de pornographie. Mais elles sont suggestives, ce sont des préliminaires.

  • Tu pourrais aller plus loin ?

Je ne dis pas jamais, mais pour l’heure je ne ressens pas le besoin de montrer davantage. C’est très difficile d’évaluer combien on peut montrer sur OnlyFans sans se fermer des opportunités dans l’économie habillée. À côté je travaille à la télé, je commente le sport, je fais des interventions auprès d’entreprises… Je ne veux pas sacrifier mes limites pour de l’argent sur le court terme si cela peut mettre en danger ma carrière plus tard.

  • Les paquets des athlètes sont très commentés aux JO de Paris, entre le speedo de Jules Bouyer puis la mésaventure du perchiste Anthony Ammirati, à qui il semblerait qu’un site porno ait proposé 250.000 dollars pour un tournage. Y a-t-il un problème avec la manière dont les athlètes sont fétichisés ?

C’est sûr qu’un athlète peut se sentir déshumanisé, et avoir le sentiment que tout le monde se fiche de lui ou de ses performances et ne regarde que son bout de viande, que sa seule valeur tient dans son pénis. J’ai ressenti la même chose lorsque des gens n’étaient pas intéressés par moi mais par la médaille. Mais heureusement pour Anthony, il semble avoir plus d’estime de lui-même que moi à l’époque, et il parvient à en rire. Il faut un mental fort pour faire la part des choses.

  • S’il y avait une délégation LGBT+, celle-ci serait une nouvelle fois bien placée dans le tableau des médailles : tu penses qu’être queer fait de nous des athlètes plus résistants ?

Nous ne sommes pas meilleurs par essence, mais être LGBTQI+ nous conduit à vivre des expériences que les sportifs hétéros n’ont pas à vivre, et cela développe des capacités différentes. Pour certains, c’est un moteur qui leur permet de se dépasser, mais pour d’autres cela reste une barrière difficile à franchir.

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Crédit photo : Matthew Mitcham

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