Parmi les près de 200 athlètes LGBT out recensés aux Jeux olympiques (JO) de Paris 2024, seuls 20 sont des hommes, signe que l'écart se creuse entre les visibilités lesbienne et gay dans le sport de haut niveau.
Nouveau record battu. Trois ans après les Jeux olympiques de Tokyo, où le décompte s'était arrêté à 186 (contre 56 à Rio en 2016), quelque 195 athlètes LGBT out sont recensés aux JO de Paris 2024, selon le décompte réalisé comme à chaque olympiade par le site Outsports. Cette année, celui-ci a même mis au point une base de données de cette "Team LGBTQ" par discipline ou par pays. D'où il ressort que malgré un "nombre record d’athlètes olympiques masculins", les garçons ne sont toujours que 20, contre 175 filles.
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Figure de proue de la délégation gay, l'incontournable Tom Daley : le plongeur britannique a fini médaillé d'argent en 10 mètres synchronisé (avec Noah Williams) pour ses cinquièmes olympiades, dont trois depuis son coming out gay en 2013. Derrière lui, on trouve une diversité inédite de disciplines : deux gymnastes et un nageur brésiliens, huit cavaliers, l'Irlandais Jack Woolley en taekwondo, l'Américain Nico Young en athlétisme, le Néozélandais Robbie Manson en aviron, l'Allemand Timo Cavelius en judo, l'Australien Campbell Harrison en escalade, le Canadien Justin Lui en volleyball…
Belle visibilité lesbienne aux JO de Paris
Côté femmes, la liste est bien plus longue. Pour la France, dont la délégation ne compte aucun garçon out, neuf sportives portent fièrement les couleurs LGBT+ derrière la judokate Amandine Buchard, médaillée de bronze en individuel et d'or par équipe. Il y a aussi la gardienne des Bleues Pauline Peyraud-Magnin, en interview dans le têtu· de l'été, ainsi que trois autres footballeuses, trois joueuses de hockey sur gazon et une nageuse, Mélanie Henique. S'y ajoutent donc 166 autres sportives internationales, dont la boxeuse Cindy Ngamba qui doit rapporter sa première médaille à l'équipe des réfugié·es, ou la judokate italienne Alice Bellandi qui a fêté sa médaille d'or en allant embrasser sa petite amie dans les tribunes (cf. photo d'illustration).
Alice Bellandi kisses her partner after winning gold in Judo
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— Eurosport (@eurosport) August 3, 2024
Alors, pourquoi un tel abîme entre les visibilités queers féminine et masculine dans le sport de haut niveau ? "Cet écart est très révélateur de la différence d'acceptabilité du coming out suivant le genre et le milieu", analyse pour têtu· Philippe Liotard, sociologue au laboratoire sur les vulnérabilités et l'innovation dans le sport, et titulaire d'une chaire LGBTI à l'université de Lyon 1, qui relève que "la perception sociale de l'homosexualité n'est pas la même suivant le genre : le sport peut apparaître pour les femmes lesbiennes comme un espace positif, tandis que les jugements sont plus forts quand il s’agit des hommes."
"Les insultes concernant la sexualité des hommes sont bien plus présentes dans les stades."
De fait, observe le chercheur, l'homosexualité masculine reste la plus stigmatisée dans le milieu sportif, encore largement dominé par une culture hétérosexiste qui intègre plus facilement l'homosexualité féminine : "Les insultes dans les sports collectifs concernent plus la virilité des hommes, et les insultes concernant la sexualité des hommes, comme 'pédé', sont bien plus présentes dans les stades." Dans les vestiaires aussi, y compris sous forme d'humour beauf, comme le relève Antoine Dupont dans têtu· : "Ces petites blagues, s’il y a un gay dans notre équipe et qu’il les entend, on se doute que ça ne va pas l’aider à parler et à faire son coming out. Donc même quand ces propos ne sont pas tenus dans un but malveillant, on a une responsabilité, il faut faire attention à ce qu’on dit."
Si les lesbiennes échappent plus facilement à cette mâle homophobie, ce n'est en revanche pas par manque de clichés, précise l'universitaire : "Tout est une question d’image. Perçue comme masculine, la femme lesbienne ne sera pas remise en question dans des sports comme le foot ou la boxe, tout comme un homme gay sera plus attendu en patinage ou en plongeon qu'en rugby." Notre cover boy rugbyman le dit également : "On assimile encore le rugby, qui est un sport de force, de combat, à ce côté un peu macho où il faut être un homme, 'un vrai'."
Le coming out dans le sport
Dans ces conditions, deux biais principaux peuvent expliquer le manque de visibilité homosexuelle masculine dans le sport de haut niveau. Le premier est l'évitement : peu encouragés à la pratique sportive, voire découragés dès l'enfance par la virilité abusive rencontrée dans les vestiaires d'EPS, les gays seraient tout simplement moins nombreux à s'engager dans la pratique d'une discipline sportive jusqu'au plus haut niveau. Et quand ils se lancent intervient le deuxième biais : combien osent sortir du placard ? "Pour faire son coming out dans le sport de haut niveau, il faut être confiant car ce n’est pas un milieu où c’est facile à dire, remarque Philippe Liotard. Et même si l'ont est bien entouré, une fois qu'on l'a fait, on est seul face aux médias, aux spectateurs et aux haters sur les réseaux sociaux." Ce qui explique que nombre de sportifs gays attendent encore la fin de leur carrière pour sortir du placard.
Pour combattre les clichés, la recette est connue : visibilité, visibilité, visibilité. Les coming out, encore rares, de sportifs en activité, contribuent à changer progressivement la donne, comme celui en 2021 du rugbyman Jérémy Clamy-Edroux, qui déclarait alors à têtu· : "Je l’ai fait parce que je n’avais pas de rôle modèle, et que je devais le faire pour les autres. Quand tu es le premier à le faire, tu es le seul. Quand tu es le deuxième, ce n’est plus le cas." À ce sujet, Antoine Dupont pointe l'effet immédiat d'exemplarité pour le reste de l'équipe : "Ils ont compris d'expérience qu'un coéquipier out, ça ne change absolument rien dans les vestiaires et sur le terrain."
"L'important est que les joueurs sachent qu'ils peuvent faire leur coming out s'ils le souhaitent."
Les institutions du sport ont un rôle à jouer pour encourager les sportifs à assumer ce statut de rôle modèle. Dans le but de sensibiliser au sujet des discriminations et pour aider à "créer un avenir sportif plus inclusif", l'organisation de Paris 2024 a prévu une Pride House. Mais c'est surtout aux fédérations de s'emparer du sujet dans chaque discipline, comme le fait par exemple la Ligue nationale de rugby (LNR) qui a lancé un programme de sensibilisation de son staff et de tous ses athlètes de TOP 14 et de PRO D2. "L'important est que les joueurs sachent qu'ils peuvent faire leur coming out s'ils le souhaitent, dans un environnement bienveillant", résume son directeur général, Emmanuel Eschalier, pour têtu·.
Un autre élément devrait contribuer à lever les tabous : les résultats des athlètes LGBT+. En fin de première semaine des JO de Paris, Outsports recense 23 médailles pour la "Team LGBTQ", qui se classerait au sixième rang des nations si elle était un pays. À Tokyo elle aurait fini septième, avec 33 médailles !
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Crédit photo : Luis Robayo / AFP