[Cet édito ouvre le magazine têtu· de l'automne, disponible chez vos marchands de journaux ou sur abonnement] "Relâcher nos efforts à présent serait une erreur que les générations qui nous suivront ne nous pardonneraient pas. La vision de la liberté, qui point à l'horizon, devrait tous nous encourager à redoubler nos efforts. Notre marche vers la liberté est irréversible", disait Mandela.
"Paris, phare queer universel". En saluant ainsi la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, dont le metteur en scène Thomas Jolly (interviewé dans notre no 239) a fait la plus grande démonstration de culture LGBTQI+ de l’histoire de la mondovision, on ne pensait pas gêner au-delà des homophobes. “Wow même têtu· s’est fait prendre d’assaut par l’idéologie queer”, s’est pourtant récrié un lecteur, manifestant une inquiétude que, du reste, on peut comprendre : celle que ce terme ne vienne remplacer les identités multiples qui composent la communauté LGBT. “Homosexuel mais pas queer”, en déduit-il pour lui-même.
Si vous lisez régulièrement têtu·, vous savez bien que cette crainte est infondée : nous utilisons toujours le mot en “G” comme le mot en “L”, et ne comptons remplacer rien par “queer”. Contrairement à ce que beaucoup croient, ce terme n’est pas qu’un générique recouvrant indifféremment “gay”, “lesbienne” ou “trans”. Hérité, comme nombre de nos mots, d’un stigmate réapproprié – “bizarre”, “étrange” –, il s’ajoute à notre palette car il nous englobe et nous projette.
Il est temps de passer à l’action et d’assumer un projet queer.
Englobe, parce que l’expérience queer traverse nos identités, sexuelles ou de genre : elle est celle de la marge. Projette, car de ce vécu commun nous n’héritons pas que de nos traumas, mais aussi d’une richesse en nous pour interpeller les sociétés dans lesquelles nous évoluons, sur leurs insuffisances et leurs œillères. Nous avons, au passage, développé quelques ressources pour aider à améliorer les choses : prenez par exemple notre expertise en santé sexuelle et mentale… Nous avons d’autres possibles à proposer.
Contre le sort qui nous est fait, la communauté a longtemps joué en défense. Il est temps de passer à l’action et d’assumer un projet queer. Nous en dessinons quelques pistes dans le dossier de ce numéro consacré à l’éducation. Il ne s’agit pas de rendre tout le monde gay (ça n’empêche pas d’essayer !) mais de mettre à profit nos expériences pour le bien commun. Dans la lutte, par exemple contre le harcèlement scolaire qui mine profondément notre jeunesse, cet apprentissage de la haine que nos enfants font si tôt, jusqu’à se pendre dans leur chambre quand la coupe est pleine. Or nous savons comment faire progresser dans notre école une culture de l’échange capable d’accueillir l’altérité, et le corps professoral n'attend que les moyens pour cela.
La demande constante de progrès en termes d’inclusion est souvent entendue comme une injonction coupée des réalités, une obsession partisane : c’est le progressisme contre les conservatismes. Nous savons maintenant qu’il ne s’agit plus seulement de continuer à faire grandir notre société mais aussi de la préparer aux défis qui l’attendent dans le siècle en cours, notamment ceux qu’annonce le changement climatique. Pour l’empêcher de dévaler à nouveau, face à l’adversité, la pente de l’histoire vers ses abysses comme elle l’a fait plusieurs fois au cours du XXe siècle, il nous faut ancrer plus profondément encore notre civilisation dans l’humanisme. Nous visons, collectivement, l’épanouissement de générations libres et solidaires. Dès lors, la route est droite, camarades LGBTI : ainsi que nous l’avons fait au sein de nos propres familles, il s’agit de faire capillarité dans la société. Le projet queer, ce n’est pas de dissoudre nos identités mais d’en faire quelque chose de plus grand : un phare.
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Crédit : Jeremie Lusseau / Hans Lucas via AFP