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magazinePierre et Gilles, jusqu'au bout de la nuit

Par Tom Umbdenstock le 19/09/2024
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[Article à retrouver dans le magazine têtu· de l'automne] Le couple le plus célèbre de l’art français, Pierre et Gilles, présente une nouvelle série d’œuvres, exposées à Paris. Le duo de plasticiens y explore la nuit, ses affres et ses fêtes, où dans l’obscurité scintille leur monde queer.

On a toujours l’impression d’avoir passé minuit dans cette nouvelle exposition de Pierre et Gilles. Cet automne, à la galerie Templon, à Paris, le couple de plasticiens – le premier photographie, le second peint – nous emmène à travers une “Nuit électrique” avec 21 de leurs portraits multicolores au kitsch rappelant les films de Bollywood. Les protagonistes s’y aventurent dans les heures tardives, quelque part avant l’aube, entre extase et mélancolie. “Les gens ont souvent l’impression qu’on n’utilise que des couleurs vives, joyeuses, remarque Gilles. Mais notre monde, ce n’est pas que le rose. Ça peut aussi être noir, ça peut être sombre.”

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Ici, l’obscurité de la nuit contraste avec les lueurs électriques qui illuminent des personnages embarqués dans une tournée des bars, des boîtes et des plaisirs. Un garçon aux cheveux aussi bleus que ses yeux, nu, tient une enseigne rose qui indique “Boy”, comme une invitation. Un autre frime en exhibant ses tatouages et ses abdos, les mains formant des pistolets, proclamant “fuck” au milieu d’inscriptions clignotantes “Frites”, “Pizza” ou “Döner Kebab”. Tous ces néons et reflets scintillants font le charme de ce travail dont les éclairages jouent sur différentes profondeurs. Leds, guirlandes et ampoules ont été bricolées par le duo dans leur atelier du Pré-Saint-Gervais, en Seine-Saint-Denis.

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Parmi les noctambules, ceux qui ont l’air les plus heureux sont un couple de jeunes hommes, peut-être formé le soir même : dans la pénombre, ils ont trouvé ce qu’ils cherchaient. Mais tout le monde n’est pas à la fête dans ce temps suspendu qu’est la nuit. Un garçon vêtu d’un marcel scrute l’objectif, défiant autant que déçu. “Le modèle, Yannis Zegrani, avait toujours une tristesse en lui, un côté perdu dans la nuit”, note Pierre. Dans leurs autoportraits respectifs, les deux artistes se représentent avec une certaine forme de distance : l’un a le verre vide, l’autre s’allume une clope.

L’atmosphère qui englobe ces portraits est une inspiration lointaine de leurs nuits folles des années Palace. Sur une toile, entre les fluorescents “Discothèque” et “Love”, Marie France se fond dans un décor aux allures de Pigalle. “On l’a connue lorsqu’elle y vivait, on a voulu l’y représenter”, rapporte Gilles. La chanteuse est l’une des modèles qu’ils ont le plus photographiée, notamment pour les pochettes de deux de ses 45 tours (les singles de l’époque) au début des années 1980. C’est en les voyant qu’Étienne Daho s’est décidé à contacter les deux artistes pour illustrer celle de son album La Notte, la notte, sorti en 1984. Au fil des décennies, les stars se sont ensuite succédé devant l’objectif et sous le pinceau des conjoints inspirés : Madonna, Dita Von Teese, Lio, Karl Lagerfeld, Jean-Paul Gaultier et tant d’autres.

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Auprès d’anges et de saints, les bad boys et les esprits rebelles reviennent aussi animer l’univers des deux hommes. On les avait vus mis en avant dans leur série “Jolis Voyous”, réalisée au milieu des années 1990. Dans ce nouveau cycle, le modèle Vadim Vasilis en est un héritier : torse nu, le pouce dans son pantalon de cuir, une main sur la nuque, il veut séduire. Ses tatouages ont plu au duo, de même que ceux de Radomir Tsymbal : sur son ventre, le visage de Divine, muse drag queen du réalisateur américain John Waters, quand sur son torse est inscrit “while my heart beats” (“tant que mon cœur bat”), comme un défi lancé au crépuscule. Le parcours du jeune Russe arrivé en France après le déclenchement de la guerre en Ukraine a touché Pierre et Gilles. “On assassine les gays en Russie”, rappelle ce dernier. Sur une toile, le modèle est allongé sur le sol, le regard éteint, étendu auprès de flaques couleur hémoglobine dans lesquelles se reflètent les enseignes. Cette composition rappelle ces jeunes hommes endormis entre les galets et les filets de pêche de la série “Naufrage” que le duo avait produite pendant la crise du sida. Leur engagement est resté le même. Dans l’un des portraits, aux pieds du mannequin et militant Yassin Chekkouh, des fleurs dessinent un U=U (en anglais undetectable = untransmittable, ce qui signifie indétectable = intransmissible) pour rappeler que quand on a une charge virale indétectable grâce au traitement contre le VIH, on ne transmet pas le virus. Sous le ciel pailleté, dans son cadre doré, la militante trans Allanah Starr, meneuse de revue de Fantasma Circus Erotica, apparaît comme une sainte béate.

Cette nuit ne clôt pas le parcours de Pierre et Gilles, ensemble depuis 1976. Leur autoportrait à deux en vacanciers, proclamant “Vive la retraite”, signale combien cette perspective leur paraît dérisoire. “Des gens semblent surpris que l’on travaille encore. Ça commence à devenir un peu lourd”, s’agace doucement Pierre. Cette œuvre se trouve au sous-sol où sont exposées les pièces extérieures au thème de la “Nuit électrique”, conçues depuis 2022. On y trouve Isabelle Huppert dans un costume de la reine d’Écosse Mary Stuart, cernée d’un ovale ensanglanté. À ses côtés, on croise aussi Amanda Lear, un hommage à Charles Trenet ou encore un beau mâle au sauna. Deux tableaux montrent l’acteur porno Sean Ford dans son plus simple appareil, sous les noms “Petit matin” et “L’Éveil”… Et le jour peut à nouveau déployer ses charmes.

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“Nuit électrique”, de Pierre et Gilles. Jusqu’au 26 octobre à la galerie Templon, rue du Grenier-Saint-Lazare, à Paris (3e).

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