magazineAgresseurs homophobes : pourquoi sont-ils si jeunes ?

Par Antoine Allart le 24/09/2024
Le guet-apens homophobe, fléau anti-gay

[Article à retrouver dans notre dossier spécial éducation du magazine têtu· de l'automne] L'agression du jeune Paul, 17 ans, ce 21 septembre à Mazamet dans le Tarn, le rappelle : la violence homophobe est de plus en plus souvent le fait d'ados. Pour enrayer le phénomène, encore faut-il le comprendre.

Malgré la fermeture du site Coco le 25 juin, la justice continue de travailler sur les 23.051 procédures ouvertes en lien avec le tchat dangereux. Le 21 août, le procureur de la République de Senlis (Oise) a ainsi procédé à deux mises en examen dans le cadre d’une enquête sur six guets-apens homophobes organisés via ce site ou Grindr ; les mis en cause ont 15 et 16 ans. Les associations communautaires et têtu· alertent depuis plusieurs années sur la résurgence de ce type d'agression – au printemps 2023, nous en comptions en moyenne une par semaine en France. Et une donnée de plus en plus récurrente de ces agressions, au motif souvent crapuleux, retient l’attention : le jeune âge des auteurs.

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“La violence chez les jeunes est un phénomène vieux comme le monde”, relève Véronique Le Goaziou, sociologue et autrice de plusieurs ouvrages sur la question, qui n’est pas surprise par la jeunesse de nos agresseurs : “L’adolescence est le passage où les garçons deviennent des hommes. C’est un âge où l’on est dans une recherche plus ou moins incertaine de qui l’on est. C’est aussi une période où s’opère un remaniement complet de l’intime.” Dans ce cadre de recherche de soi, l’homophobie agressive ne serait pas tant une forme de dissimulation de la propre homosexualité des auteurs – même si c’est possible – qu’une affirmation de leur hétérosexualité par le rejet violent de la différence.

“Les jeunes, et très souvent les garçons, rejettent tout ce qu’ils ne perçoivent pas comme homme : c’est-à-dire l’enfant, la femme, mais aussi l’homosexuel”, développe Véronique Le Goaziou. “L’adolescence est une période d’indétermination, au cours de laquelle on veut régler un certain nombre d’ambivalences sur sa sexualité, complète Yves Jeanne, maître de conférences en sciences de l’éducation à l’université Lyon 2 et auteur de Dépasser la violence des adolescents difficiles : le pari de l’éducation. Ces agressions homophobes participent à un renforcement normatif en affirmant 'moi je ne suis pas un pédé'.”

“La violence des adolescents est le miroir de la société”

Un processus qui ne se déroule évidemment pas en huis clos. “C’est à cette période, en pleine puberté, que se constituent l’identité masculine et la conception de la virilité, reprend la sociologue. Cette construction est de facto influencée par les milieux familiaux, sociaux, les habitudes culturelles, idéologiques et religieuses. On puise dans les ressorts traditionnels de la construction du genre.” La socialisation des jeunes individus s’axe aussi autour de discours publics, notamment politiques : “La violence des adolescents est le miroir absolument fidèle de la société”, estime Yves Jeanne.

“Quand un discours social et/ou politique légitime que telles ou telles personnes sont moins dignes que vous, il donne ainsi la direction dans laquelle la violence peut s’exercer. Ce genre de discours désigne les cibles auxquelles il est légitime de s’attaquer. Si les violences homophobes juvéniles existent, c’est parce qu’il y a des discours homophobes d’adultes, poursuit le maître de conférences. Les adultes ont un rôle central dans la violence de ces jeunes. Ces derniers font, en réalité, ce que leurs aînés rêvent de commettre.”

Les violences homophobes peuvent aussi faire office de rites de passage : un jeune peut participer à ce genre d’agression pour être accepté dans un groupe. “L’effet de groupe dans les cas de violence chez les jeunes, y compris homophobes, est indéniable, observe Yves Jeanne. Quand on est violents à plusieurs, on est solidaires, on fait bande. De plus, ces adolescents se montent la tête les uns les autres, avec l’envie de toujours vouloir faire plus que l’autre.” Cette volonté de taper toujours plus fort s’explique aussi par la contingence du renforcement, un concept qu’avait défini au milieu du XXe siècle le psychologue américain Burrhus Frederic Skinner, souligne le maître de conférences : “La faiblesse renforce la violence. Dans le cas d’un guet-apens homophobe on peut déduire que, dans l’imaginaire des agresseurs, l’homme homosexuel est une personne faible, alors ils lui infligent encore plus de coups.” Cette surviolence est un phénomène récurrent dans les crimes ciblant les gays.

Pour parvenir à endiguer ces agressions, il faut impérativement que leurs jeunes auteurs soient jugés. “On observe qu’après un procès les récidives sont rares, souligne Yves Jeanne. Il faut passer par cette étape, sinon on leur laisse un sentiment d’impunité et on leur offre la possibilité de recommencer.” Mais avant d’en venir à ces mesures de réaction, il est impératif aussi, insiste Véronique Le Goaziou, “d’offrir à ces jeunes des espaces où ils peuvent expérimenter ce passage à l’âge adulte de façon plus sereine, en abordant les sujets d’identité de genre et d’orientation sexuelle. Trop souvent, ces questionnements ne peuvent pas être abordés dans la famille et les jeunes deviennent des cocottes-minute.” Un programme solide d’éducation à la sexualité a été mis au point en ce sens. Il ne manque plus qu'une décision politique…

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Crédit photo d'illustration : Unsplash

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