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interviewGaël Morel : "Je voulais des personnages séropositifs héroïques, beaux, désirables"

Par Morgan Crochet le 25/09/2024
Gaël Morel, réalisateur de "Vivre, mourir, renaître".

[Interview à retrouver dans le magazine têtu· de l'automne] Vivre, mourir, renaître n’est pas un film sur le sida, assure son réalisateur, Gaël Morel. C’est un mélodrame sur l’amour, le deuil et ceux qui restent, sur cette génération qui a survécu.

Photographie : Camille Nivollet pour têtu·

Après son apparition à 22 ans dans Les Roseaux sauvages, Gaël Morel a consacré sa vie au grand écran. Révélé par André Téchiné en 1994, il surfe sur la vague du cinéma gay du tournant des années 2000 et passe vite derrière la caméra, composant sur les amours adolescentes (le sujet de son premier film, À toute vitesse, puis du Clan et de New Wave), l’exil (Les Chemins de l’Oued, Prendre le large), les rapports mère-fils (Après lui), la prostitution (Notre paradis, porté par Stéphane Rideau) ou encore le deuil, qui infuse toute son œuvre. Dans son nouveau film, Vivre, mourir, renaître, il aborde pour la première fois le sida, à travers une histoire d’amour à trois entre Victor Belmondo et un couple formé par Théo Christine (vu dans la série Skam France et dans Garçon chiffon de Nicolas Maury) et Lou Lampros.

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  • Un film sur le sida, c’est un passage obligé pour un cinéaste gay ?

Pour moi Vivre, mourir, renaître n’est pas du tout un film sur le sida. C’est avant tout une histoire d’amour qui est atomisée par la maladie. Il commence là où tous les autres films sur le sida s’arrêtent : Plaire, aimer et courir vite de Christophe Honoré, 120 battements par minute de Robin Campillo ou même Les Nuits fauves de Cyril Collard [mort en 1993]. C’est-à-dire à ce moment des années 1990 où des gens condamnés à mort vont être sauvés après avoir vécu en croyant mourir jeunes et en faisant des choix liés à cette certitude. Je trouvais intéressant de faire un film qui raconte que le sida n’est plus, sous nos latitudes, une maladie mortelle.

  • Tu avais 24 ans en 1996, lorsque sont arrivées les trithérapies. Tu voulais raconter ces années-là ?

Je suis arrivé à Paris à 19 ans, en 1991, au moment où les gens mouraient. J’ai vu ces silhouettes de mecs, plus âgés que moi, qui allaient à la mort. Mais je trouvais qu’il n’y avait pas de film qui parlait de cette génération touchée mais survivante, qui a dû gérer l’après. Qu’est-ce qu’on fait alors qu’on pensait tous mourir, qu’on a cramé la vie par les deux bouts et qu'elle sera finalement plus longue que prévu ? Qu’est-ce qu’on fait de ce “deuil du deuil” ? C’est une expression que Fred Lebreton, de la revue Remaides, m’avait soufflée et que je trouve très juste : il s’agit de faire le deuil du deuil, et de retourner à la vie.

  • Le deuil est d'ailleurs un thème récurrent dans ton cinéma…

Je pense que le cinéma est aussi fait pour ceux qui ont une blessure d’adolescence, d’enfance, qui n’est pas refermée, ou en tout cas qui reste très présente. Pour moi, c’est lié à la mort très brutale et très violente d’un ami dans mon adolescence. Il y a des choses comme ça qui impriment notre personnalité. Écrire est ma façon de sublimer, au sens psychanalytique, la perte.

  • Dans Vivre, mourir, renaître, tu fais référence à la scène de Mauvais Sang, de Leos Carax, dans laquelle Denis Lavant court sur “Modern Love” de David Bowie. C’est un clin d’œil à l’un des premiers films français qui évoque le sida ?

Non, je n’avais pas très envie de rendre hommage à ce film. C’est plutôt une réponse. Déjà, mettre “Modern Love” sur un garçon qui court par amour pour une femme, ce n’est pas très “modern love”… Mais le plus grave, c’est que dans ce film il y a un virus qui tue les gens qui font l’amour sans amour, une allégorie du sida. Sachant qu’en 1986 tant d’homosexuels sont en train d’être balayés par le VIH, c’était une façon de dire que quand même, bon, ces gens qui mouraient l’avaient peut-être bien cherché. Je trouve franchement cet aspect du film de Carax malheureux et donc je voulais que cette chanson résonne désormais sur un couple d’homos qui court chercher une capote pour se protéger, voilà.

  • Dans ton trio amoureux, l’un est homo, l’autre bi, et la jeune femme est hétéro. C’était important pour toi de ne pas te cantonner à la commu gay ?

Je suis avant tout un garçon de cinéma. Qu’il s’agisse de polars, de films d’horreur, de comédies ou autres, j’adore les films de genre ; et je voulais faire un mélodrame qui soit à la fois homosexuel, bisexuel et hétérosexuel. Je souhaitais aussi des personnages séropositifs héroïques, c’est-à-dire qu’ils soient beaux, désirables et qu’ils gagnent à la fin !

  • Tes personnages créent une famille choisie…

C’est très homosexuel de s’inventer une famille. Surtout qu’à l’époque, rien n’était prévu pour nous, et on se débrouillait pour faire famille de notre côté, entre nous. Je voulais raconter cette vie-là, qui n’est d’ailleurs pas si lointaine.

  • Tu penses que la communauté a perdu en subversivité ?

Ce que je trouve dommage, c’est que d’un seul coup on se conforme à une société hétéro qui ne m’a jamais fait rêver. Je pense que la communauté homosexuelle avait et a toujours quelque chose à offrir de plus subversif que ça. Par exemple, pour nous, faire famille ne signifiait pas nécessairement se marier. Pourquoi on n’aurait pas pu ouvrir le pacs à deux, trois ou quatre personnes ? avoir plus de deux parents pour le même enfant ? Enfin bon, il y a tellement de choses à inventer. Mais j’ai milité pour le mariage, je me disais qu’après tout ce n’est pas parce que moi je ne suis pas d’accord avec ça que d’autres n’ont pas le droit de vouloir cet enfer.

  • Cette subversivité on la retrouve dès le début de ta carrière, par exemple avec Le Clan, sorti en 2004…

Probablement plus encore avec Notre paradis. C’est un film ultra-pédé, et c’est ce que je voulais faire. C’est quand on est jeune qu’il faut se lancer dans de tels projets… Je désespère de voir des jeunes cinéastes qui sont déjà dans le système, et qui se condamnent à s’ennuyer le restant de leur vie. Parce que si on fait des films classiques, traditionnels, en étant jeune, on ne sortira plus de ce circuit.

  • La jeunesse, notamment celle des hommes, est omniprésente dans ton cinéma. Penses-tu filmer des hommes vieux un jour ?

Globalement, qu’ils soient gays ou pas, les hommes vieux et donc les vieux acteurs ne m’intéressent pas beaucoup. Et en même temps Didier Flamand, dans Notre paradis, est un personnage homosexuel vieillissant et flamboyant. Mais c’est vrai que quand je pense à des personnes plus matures, plus âgées, ce sont plutôt des femmes. Peut-être parce que contrairement à ce qu'on dit, elles vieillissent mieux.

  • Tu as fait tourner Catherine Deneuve dans Après lui, c’était un rêve de cinéaste ?

C’était plutôt un rêve absolu ! Quand j’étais petit, ma mère me permettait de regarder tous les films à la télé, et c’est comme ça que j’ai découvert Catherine Deneuve dans Belle de jour, j’avais 7-8 ans. Sans jamais l’avoir revu, j’en ai gardé un souvenir incroyablement précis. Et à partir de là, je me suis dit que je voulais faire un métier qui me permettrait de rencontrer cette femme. D’ailleurs s’il n’y avait pas eu d’entente entre nous, je pense que ça aurait détruit quelque chose en moi.

  • Victor Belmondo a 30 ans. À cet âge-là, son grand-père jouait avec Jean-Luc Godard. Ce dernier a tourné Le Mépris à Capri, juste en face de Naples… où tu filmes Victor ! C’est un clin d’œil ?

Godard, évidemment, quand on est à Capri en face de la villa Malaparte… Mais si je pense à Jean-Paul Belmondo, je pense plus à La Sirène du Mississipi, de François Truffaut, qui est un de mes films préférés.

  • Ah, Deneuve fait souffrir Belmondo, dans celui-ci !

Chez Truffaut, l’homme n’est pas nécessairement conquérant, ni les femmes des trophées. Il y a l’idée qu'elles peuvent être dangereuses et autre chose qu’une bonniche, contrairement à la représentation dominante de la femme dans le cinéma de cette époque-là. Ce que j’aime chez Truffaut, c’est qu’il donnait l’illusion que son hétérosexualité était une sorte de maladie, en tout cas un problème. Ce qui était pour moi rassurant, parce que je me disais qu'il y avait quand même des hétéros qui pensaient que le monde ne leur appartenait pas. J'aimais cette vision, le monde n’était pas nécessairement divisé entre les gays avec leurs amours malheureuses, et les hétéros qui dominaient les femmes et le reste du monde.

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