La Prison des amoureuses malheureuses, nouvel album de Stéphane, est un condensé de dramas lesbiens. La chanteuse suisse y dépeint comment elle s'est retrouvée dans un triangle amoureux tortueux, et ce n'est pas joli joli.
"Le seul type d’amour que j’ai expérimenté, c’est l’amour dévorant, celui qui fait souffrir." Voilà le postulat de départ de notre rencontre avec Stéphane dans une brasserie de Boulogne-Billancourt. La chanteuse genevoise de 28 ans a d'ailleurs baptisé son deuxième album, qui vient de sortir, d'un titre évocateur, La Prison des amoureuses malheureuses, où elle raconte une histoire d’amour qui dérape en triangle amoureux dévastateur. Loin de soigner les plaies, ses textes sont plutôt un pansement qu'on arrache : "J’écris sur le vif : je vis une histoire d’amour, une peine, une joie, n’importe quoi, et j’écris dans les jours qui suivent." Son sas de décompression, c’est la page blanche. En amour comme en musique, elle fonce tête la première. "C’est peut-être un défaut, concède-t-elle. Mais même après coup, je reste en accord avec ce que j’ai couché sur le papier. Je suis attentive aux sentiments que j’éprouve et qui – même s’ils s’estompent au fil du temps – ont de toute manière existé." Ce tempérament tête brûlée a su séduire le groupe de pop-rock français Kyo avec lequel elle reprend "Le Chemin".
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Dans ce nouvel album, la narratrice décrit de façon chronologique comment elle a plongé, alors qu'elle était déjà en couple, dans une relation de plus en plus délétère avant de finir par en sortir. Si Stéphane – qui se reconnaît beaucoup dans le côté unificateur du terme queer – est déjà sorti plusieurs fois avec des hommes, "les choses avaient tendance à rester en surface" : "Avec les femmes, c’est bien plus profond. Je vis les choses beaucoup plus intensément et c’est peut-être pour ça que ça finit plus vite." L'histoire est passionnée, intense, et se consume d'une flamme trop vive : une histoire courte donc, qu’elle accompagne d'ailleurs d’un court-métrage de douze minutes (dont la sortie est imminente) qui approfondit les drames qui se jouent entre les trois protagonistes. Dès les premières images, nous prend l'envie de donner des claques à cette bourelle des cœurs trop sûre d’elle qui a bien mérité de se faire arrêter. Condamnée par le tribunal des amoureuses malheureuses, elle se retrouve derrière les barreaux dans une ambiance sexy à la Orange is The New Black. D’ailleurs, on lui aurait bien mis nous-même les menottes...
"Parfois je me demande si je provoque mes propres peines"
Stéphane ne demande pourtant pas mieux que de pouvoir écrire des chansons cul-cul la praline. Avant de nous rejoindre en terrasse, elle discutait avec un ami : "Il me disait qu’en ce moment, il était amoureux mais que c’était un amour à sens unique qui le faisait beaucoup souffrir. Je ne peux pas m’empêcher de l’envier parce que je ne suis pas amoureuse et j’aimerais ressentir quelque chose de puissant qui me pousse. Souffrir, ça m’inspire", confie-t-elle avec un éclat de rire communicatif. Orphée des temps modernes, ses passions nourrissent son art. "C’est terrible, parfois je me demande si je provoque mes propres peines", s'interroge-t-elle. Pourtant, elle tire des leçons de chaque déception : "J’ai vraiment l’impression que je dois apprendre certaines choses de l’amour et que, justement, les écrire me fait vivre les choses plus intensément et entraîne des prises de conscience." La musique est son exutoire, et l’écriture sa catharsis. "Écrire me permet de me détacher, de dédramatiser ce qui m’arrive, lâche-t-elle. Mais bon, le risque, c’est d’utiliser les gens pour alimenter mes textes."
Afin de ne pas tomber dans cet écueil et de rester authentique, elle se remet continuellement en question, comme à travers "Ma Chérie" où elle décide d’endosser tous les torts de sa rupture. Mais parfois, les relations confortables durent un peu trop longtemps et deviennent lassantes : "Tu t’ennuies, tu te tournes vers la nouveauté. Ce serait injuste de rejeter la faute sur une tierce personne rencontrée, quand bien même elle serait malsaine et manipulatrice", note-t-elle. "Et je tombe encore plus bas", continue-t-elle ainsi sur "Poison".
Aller jusqu'au bout, sans se retourner
À travers cet album, la chanteuse réalise qu’elle est terrifiée à l’idée d'être seule. "Aujourd’hui, j’essaye de sortir de cet état d’esprit qui fonctionne comme une prison. D’autant que la peur de la solitude ne justifie pas de faire souffrir l’autre", retient-elle. Mais voilà, quand la jeune femme aime, elle y croit dur comme fer et espère que tout finira par s’arranger même lorsque les voyants sont au rouge : "J’ai toujours peur d’avoir des regrets si je ne vais pas au bout du bout." Le point positif, c’est que cette tendance jusqu’au-boutiste se ressent dans sa musique. L’artiste ne reste pas en surface mais explore et expose une myriade d’émotions quitte à ne pas se donner le beau rôle.
Peu importe les désirs qui embrasent son cœur et les doutes qui la traversent, Stéphane les explore à pleines mains. "Je crois qu’on a cette chance, quand on appartient à la communauté queer, de se sentir libres de réfléchir à d’autres schémas, de se poser mille questions puis de choisir ce qui nous correspond réellement. Il n’y a pas de chemin tout tracé", s'exalte-t-elle. Dans la chanson "Vice Versa", elle se pose des questions sur le polyamour : elle a bien compris qu’elle pouvait aimer deux personnes en même temps, mais, question logistique, ça lui semble tout de même compliqué de tout concilier... mais la porte n’est pas fermée.
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Crédit photo : Glen Travis pour NWSPK