cinéma"Rivière" : deux ados blessées se prennent par la main

Par Tessa Lanney le 31/10/2024
"Rivière", le film.

Rivière, sorti au cinéma ce mercredi 30 octobre, traite des blessures adolescentes et de ces émois salvateurs qui nous font entrevoir un avenir plus serein. Rencontre avec Joanne Giger, scénariste du film de Hugues Hariche, et Flavie Delange, l'actrice qui interprète le personnage principal.

Rien à voir avec un documentaire sur la pêche à la mouche. Rivière, c’est l’histoire d’une adolescente de 17 ans, Manon, qui n’a pas de racines et se crée une famille sur la glace d’une patinoire, parmi les jeunes d’une petite ville des Alpes. À l’âge où les sentiments sont exacerbés, Manon, incarnée par Flavie Delangle, et une certaine Karine, jouée par Sarah Bramms, sont amenées à se rapprocher, réunies par les drames qui ont marqué leurs parcours respectifs. Un film réalisé par Hugues Hariche, main dans la main avec la scénariste Joanne Giger, et qui oscille entre amour salvateur et comportements auto-destructeurs, enjoignant à ses protagonistes de grandir en se délestant de leur passé douloureux.

À lire aussi : "Trois kilomètres jusqu'à la fin du monde" : rencontre avec le lauréat de la Queer Palm

"C’est une plongée dans le vécu des adolescents, sans le recul du regard adulte, développe pour têtu· la scénariste Joanne Giger. Il n'y a aucun contrepoids, c’est l’adolescence dans toute sa brutalité, ses erreurs, ses espoirs." De fait les adultes n’apparaissent qu’en filigrane, n’infiltrant jamais le microcosme adolescent, ce qui donne au film son caractère authentique. "Si les protagonistes ressentent les choses de façon dramatique, alors le récit va pousser le curseur à fond, taper dans les extrêmes. Karine ignore Manon ? La voilà prête à renverser les meubles, Manon répond trop froidement ? Karine la provoque de plus belle. Un ping-pong juvénile qui prête à sourire. Oui, nous avons tous été Manon et Karine, et il n’y a pas de quoi être fiers."

Des tournants fondateurs de l'adolescence

Rivière ne se contente pas de nous plonger le nez dans nos bisbilles de lycée, mais fait mûrir ses personnages au fur et à mesure. Manon est sur une pente ascendante, s’épanouissant via le sport et ses nouvelles amitiés tandis que Karine perd pied, entre désillusions sur sa carrière sportive, situation familiale conflictuelle et addiction. "Lorsqu’elles se trouvent, nuance la scénariste, elles retrouvent par la même occasion un peu de douceur et arrivent à se réparer mutuellement." Malgré leur grande gueule et leurs carapaces respectives, elles baissent la garde. "Se joue entre elles une espèce de reconnaissance. Ce sont des moments de fulgurance, des moments fondateurs de l’adolescence, analyse Joanne Giger. On ne sait pas comment leur histoire évoluera mais, qu’elle se poursuive ou pas, on s’en fiche finalement.” D'autant que les moments de tendresse sont entachés par des comportements destructeurs. "Quand deux personnes ne vont pas bien, elles ne peuvent pas s’aimer correctement", tranche Flavie Delange, qui interprète Manon.

Les personnages sont complexes et pétris de contradictions. En revanche, la question de leur orientation sexuelle ne vient pas compliquer davantage les choses. Lesbiennes, bi ? La question n’est jamais abordée frontalement, elle est dépassée, paraît surfaite. "J’ai l’impression que pour la jeune génération, le rapport à la sexualité est plus simple et moins prise de tête", reprend la scénariste. Bénéficiant des luttes de leurs aînés, Manon et Karine jouissent de cette liberté de vivre sans étiquette, privilège de l’insouciance. Le contraste est d’autant plus marqué entre Rivière et Le milieu de l’horizon, autre film lesbien scénarisé par Joanne Giger. "Dans ce projet, qui se situe en plein dans les années 70, l’homosexualité est un sujet en soi, explique-t-elle. Il y a un passage de relais entre ces deux films. Ce sont des femmes qui ont mené les luttes, comme le personnage joué par Laetitia Casta, qui permettent à Manon de jouir de cette liberté, qui lui permettent de ne pas se mettre d’étiquette."

Flavie Delange est d’ailleurs issue de cette génération, et n’a jamais fait de ses rôles queers un sujet. L’actrice est notamment connue pour son rôle de Lola Lecomte dans la série Skam France, où elle forme un couple passionné avec Maya Étienne, incarnée par Ayumi Roux. "La plupart des castings que je passe sont centrés autour de personnages lesbiens, confie-t-elle. Mais tant mieux. Je n’ai pas peur qu’on me catalogue. Je ne me suis pas inquiétée d’un potentiel ralentissement de ma carrière. Pourtant on me pose souvent la question, ça montre que ce n’est pas rien." Elle-même se sent en adéquation avec son personnage : "Garçon, fille, je tombe amoureuse d’un être humain."

À lire aussi : VOD : "I Saw the TV Glow", envoûtante allégorie trans

Crédit photos : Outplay Films