école"Le premier qui bouge est gay" ou l'urgence d'une éducation inclusive

Par têtu· avec AFP le 16/12/2024
Cour d'école.

La diffusion dans les cours d'école d'un "jeu" homophobe intitulé "Le premier qui bouge est gay", popularisé par le réseau TikTok, rappelle l'importance de la mise en œuvre effective d'un programme ambitieux d'éducation permettant de lutter contre les LGBTphobies et de former une génération ouverte à l'altérité.

L'alerte est venue par la publication, le 3 décembre, d'un article de Renée Greusard dans Le Nouvel Obs : "« Le premier qui bouge est gay » : la phrase homophobe qui a envahi les cours de récré". Concrètement, il s'agit d'un "défi" popularisé depuis environ un an sur le réseau social TikTok, très prisé par la jeunesse, et qui s'est diffusé progressivement dans les cours de récréation des écoles et des collèges. Le principe du "jeu" : lorsqu'un enfant lance cette phrase, tous autour de lui s'immobilisent pour éviter de perdre et d'essuyer les moqueries des autres.

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Une mode moins innocente que l'énervante "quoicoubeh", et dont l'évident fondement homophobe incite à la stigmatisation voire au harcèlement, ce qui inquiète les associations concernées. Rappelant que cette tendance "stigmatise l'homosexualité en la transformant en insulte", Stop homophobie dénonce un "message toxique" qui peut entraîner chez les jeunes LGBTQI+ "une perte d'estime de soi, du harcèlement accru, voire de graves troubles psychologiques, comme la dépression".

L'homophobie à l'école

Sur internet, l'inconséquence de ce comportement est encouragée par des adultes, voire par des stars : ainsi, rapporte Le HuffPost, "le youtubeur américain IShowSpeed et le footballeur Zlatan Ibrahimović eux-mêmes ont contribué au succès de cette mode, en postant cet été sur TikTok une vidéo où ils se refusent à bouger pendant près de trois minutes"… S'il est difficile de mesurer l'étendue réelle du phénomène dans les établissements scolaires, l'Agence France-Presse (AFP) rapporte qu'il est aisé de trouver des témoignages d'ados sur le sujet. "Nous on fait ça tout le temps", admet auprès de l'AFP un élève parisien de quatrième, se défendant cependant de toute homophobie : "C'est juste pour rigoler." "Tout le monde y joue", abonde Elias, élève de cinquième dans un collège parisien, qui dit quant à lui avoir conscience du caractère homophobe de la pratique : "Il y en a qui disent « moi j'aime pas les gay donc le premier qui bouge est gay »."

"Cela confirme l'ampleur du travail à faire sur les questions d'éducation à la différence", souligne toujours auprès de l'AFP Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, premier syndicat des enseignants de collèges et de lycées. "Il faut parfois aussi faire prendre conscience aux élèves que ce qu'ils disent ou font est blessant et discriminant", car ils reproduisent des comportements "sans toujours réfléchir" à leur signification et à leur portée, abonde Jean-Rémi Girard, président du syndicat SNALC (personnels des collèges et lycées), insistant sur le fait qu'un tel jeu peut en particulier "avoir des répercussions sur certains élèves qui se cherchent, qui se savent, homosexuels". D'autant, complète Flora Bolter, codirectrice de l'Observatoire LGBT+ de la Fondation Jean-Jaurès, que ce phénomène s'inscrit dans un contexte scolaire où l'homophobie reste très présente : "Il y a encore beaucoup de témoignages d'insultes, de petites injures répétées" qui sont très "déstabilisantes" pour les jeunes victimes, décrit-elle.

Nouveau programme d'éducation

Cette tendance rappelle donc, s'il le faut encore, la nécessité de mieux éduquer notre jeunesse à la différence. "L'école est une solution pour combattre ces comportements homophobes", plaide Grégoire Ensel, vice-président de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE), qui renvoie la balle au gouvernement : "Tant que les pouvoirs publics ne prennent pas leurs responsabilités, je crains qu'il y ait régulièrement des jeux de ce type."

"L'homophobie n'est pas un jeu, c'est un délit", a réagi sur X (Twitter) la ministre démissionnaire de l'Éducation, Anne Genetet, ajoutant : "Le programme que je porte au ministère de l'Éducation nationale, consacré à l'éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité, doit voir le jour." Ce dernier, dont nous vous parlions longuement dans le dossier du magazine de l'automne consacré à l'éducation, traîne depuis un an sur la table du gouvernement. Reporté plusieurs fois en raison des péripéties de notre vie politique, ce nouveau programme d'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (Evars) vise à répondre à la loi qui, depuis 2021, prévoit au moins trois séances annuelles dans les écoles, collèges et lycées, mais qui est dans les faits peu respectée.

Sauf que, comme lors de l'épisode des ABCD de l'égalité il y a dix ans, le sujet suscite l'opposition d'élus de droite et d'associations conservatrices, parfois jusqu'au sein du gouvernement. Fin novembre, le ministre délégué à la Réussite scolaire, Alexandre Portier (aujourd'hui démissionnaire), a ainsi déclaré au Sénat que le nouveau programme n'était "en l'état pas acceptable", invoquant la "théorie du genre" chère à la propagande réactionnaire. Sa ministre de tutelle, Anne Genetet, l'avait recadré et réaffirmé au contraire son soutien à un programme "très clair""progressif" et "adapté à tous les âges". Les regards sont désormais tournés vers Matignon dont le nouveau locataire, François Bayrou, doit encore dévoiler la nouvelle équipe gouvernementale.

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Crédit photo : Loïc Venance / AFP

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