Ministre délégué chargé de la Réussite scolaire, Alexandre Portier a lancé une nouvelle polémique sur une supposée "théorie du genre" à l'école. La députée PS Fatiha Keloua Hachi pointe des "petites manœuvres politiques" d'autant plus malvenues qu'il a participé avec elle aux travaux du Conseil supérieur des programmes.
Les couteaux sont de sortie au sein du gouvernement sur fond de nouvelle polémique concernant l'éducation à la sexualité. Alors qu'un nouveau programme prévoyant trois séances annuelles du primaire au lycée attend d'être adopté, le ministre délégué à la Réussite scolaire, Alexandre Portier (Les Républicains), a déclaré ce mercredi 27 novembre au Sénat qu'il n'était "en l'état pas acceptable", prétendant s'engager pour que "la théorie du genre ne trouve pas sa place dans nos écoles". Quelques semaines plus tôt, sa ministre de tutelle (Éducation nationale), Anne Genetet (Ensemble pour la République), avait pourtant affirmé que ce programme était "très complet".
Au lendemain de ce couac, la ministre a recadré publiquement Alexandre Portier, déclarant en sa présence lors d'un déplacement à Marcq-en-Barœul (Nord) : "La théorie du genre n'existe pas, elle n'existe pas non plus dans le programme". Et de réaffirmer que ce dernier "est très clair", "progressif" et "adapté à tous les âges", précisant en "piloter" la rédaction. "La « théorie du genre » n'existe pas, mais l'identité de genre est une notion qui doit être abordée au cours de la scolarité car c'est un programme qui doit permettre le vivre ensemble, de lutter contre le harcèlement et d'aborder avec les élèves des enjeux d'égalité", confirme ce jeudi auprès de têtu· l'entourage de la ministre, laquelle a publié sur son compte X (Twitter) une mise au point salutaire sur les programmes dont il est question.
Face à cette confusion, Fatiha Keloua Hachi, députée socialiste de Seine-Saint-Denis et membre du Conseil supérieur des programmes (CSP), dénonce le manque de cohérence du gouvernement et l'appelle à rendre effectifs sans plus tarder ces nouveaux programmes.
- Comment avez-vous réagi lorsque vous avez entendu le ministre délégué à la Réussite scolaire, Alexandre Portier, parler au Sénat de "théorie du genre" à l'école ?
Je suis très en colère car Alexandre Portier décrédibilise tout le travail qui a été fait concernant le programme d'éducation à la vie sexuelle, affective et relationnelle. Un travail auquel il a lui-même contribué, lorsqu'il était député du Rhône, en tant que membre du CSP. C'est déroutant que, sur un sujet aussi technique et précis, il s'emploie à caricaturer et à alimenter des contre-vérités diffusées en boucle sur les réseaux sociaux. Les enfants doivent être épargnés des petites manœuvres politiques visant à exister au sein d'un gouvernement faible. Ce nouveau programme dont il est question est très intelligent, complet, et il devrait déjà être en vigueur depuis plusieurs mois. Que de temps perdu pour nos enfants !
- Comment est modifié un programme scolaire ?
Normalement cela prend environ six mois, ici nous en sommes à un an et demi. Nous avons été saisis en juin 2023 par Pap Ndiaye, alors ministre de l'Éducation nationale. Une fois saisi, le CSP, instance qui réunit des parlementaires et des experts (inspecteurs, professeurs d'universités, pédagogues…) s'est mis d'accord sur les grandes orientations du programme. Puis des inspecteurs généraux élaborent les notions qui doivent être abordées à tel et tel âge, après de nombreuses auditions auxquelles le CSP participe. Les inspecteurs ont ainsi réalisé un programme qui a ensuite été soumis aux amendements et au vote du CSP, et enfin présenté au ministère de l'Éducation nationale en décembre 2023.
Aujourd'hui, le programme attend encore d'être présenté, mi-décembre, au Conseil supérieur de l'éducation (CSE), regroupant les syndicats de l'enseignement, les fédérations de parents d'élèves ou encore les collectivités territoriales. C'est une instance de consultation. Une fois le CSE consulté, le ministère peut publier un décret avec les nouveaux programmes qui entrent alors immédiatement en application.
- Les discussions au sein du CSP étaient-elles animées ?
Le vote était unanime ! Et Alexandre Portier, qui était donc membre de ce conseil, ne s'y est pas opposé. Parfois, les discussions étaient animées, par exemple lorsqu'on a entendu les associations de familles catholiques ou le collectif d'Éric Zemmour, Parents vigilants. Il me semble qu'Alexandre Portier n'est pas intervenu une seule fois et, en tout cas, il ne s'est pas manifesté en défaveur de l'inscription de l'identité de genre dans ces programmes.
- Que demandez-vous à la ministre de l'Éducation nationale ?
Le gouvernement ne doit plus tergiverser. La ministre devrait publier le décret d'application des programmes dès le lendemain de la consultation du CSE, et faire preuve d'autorité auprès de son ministre délégué. Le camp macroniste auquel appartient Anne Genetet s'était dit très favorable à ces séances, et notamment Gabriel Attal qui fut ministre de l'Éducation nationale, alors qu'ils le fassent savoir ! S'ils n'avaient pas autant procrastiné à faire adopter ce programme, on n'en serait pas là.
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