[Article à retrouver dans le dossier spécial "Avoir 25 ans en 2025" de votre têtu· du printemps] À chaque passage de témoin entre générations, les aînés vouent aux gémonies les plus jeunes ; ces derniers seraient à la fois trop naïfs et trop dévergondés, trop entreprenants et trop prudes… C’est justement parce qu’ils sont tout cela à la fois qu’ils s’amusent bien.
Illustration : Corentin Guillot pour têtu·
Il n’y a pas que la tour Eiffel que l’on découvre quand on s’installe à Paris. Guillaume, 19 ans, y a connu sa première fois, il y a six mois, à peine débarqué de sa Corrèze natale pour ses études. Après l’avoir chauffé par messages, un mec rencontré sur Grindr l’invite dans son appart de l’île de la Cité (chic), avec une demande bien précise : porter du cuir. "J’ai un peu bafouillé, et puis devant le gars j’ai fait comme si j’avais l’habitude, se souvient le jeune homme. J’ai bien aimé, mais sans plus." Bilan somme toute assez classique d’une première expérience. "Depuis, j’ai un peu enchaîné les plans, reprend-il avec un sourire timide. Un à deux par semaine, en moyenne… Il faut tester un maximum de choses pour ne pas mourir con !" Alors il tente, il tâtonne, il expérimente. Récemment, voilà qu’il s’est découvert une passion pour la soumission : "Un gars a commencé à me mettre des fessées et à mal me parler, et je me suis rendu compte que j’aimais ça." Prendre le temps de goûter à tout pour savoir ce qui nous plaît, les jeunes gays et lesbiennes en ont depuis longtemps compris l’intérêt. La différence c’est qu’aujourd’hui, tout est plus facile d’accès.
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"Cette génération a bouleversé son rapport aux fantasmes qui, d’une manière générale, sont plus acceptés et sans tabous. Portés par un fort questionnement sur le consentement, ces jeunes réfléchissent davantage à ce qu’ils acceptent de faire ou non", remarque Armelle Andro, démographe à l’université Paris Panthéon-Sorbonne et co-autrice de l’étude Contexte des sexualités en France. Après les boomers intarissables sur la libération sexuelle qui a pimenté leur jeunesse, puis les milléniaux (qui ont atteint leur majorité autour de l’an 2000) de la génération Britney, coquine et fière de l’être, la "gen Z" (née avant 2010) ne semble donc pas en reste…
"J’ai grandi avec Élite et Sex Education [deux séries qui abordent frontalement la sexualité adolescente], ça ouvre des perspectives", rappelle Guillaume. Là où ses aînés ont dû rembobiner des cassettes vidéo pour apercevoir un petit morceau de chair masculine ou appréhender leur désir au hasard d’un film érotique hétéro un dimanche soir sur M6 (Manuela ou l’impossible plaisir, Liaisons à domicile…), il a suffi à l’adolescent qu’il était de lancer Netflix pour découvrir la sexualité gay en toute sérénité. "C’est génial, et même inédit dans l’histoire ! Je ne cache même pas que je vais sur Grindr, et je peux parler librement de mes plans avec mes copains sans être mal regardé, se réjouit le jeune homme. Aborder la sexualité n’est pas un problème, notre liberté est quasi totale."
Bien informé = bien baisé
Ce qu’il adore, c’est que tous les kinks possibles et imaginables soient à portée de clic, notamment via des sites ou applications spécialisées comme Recon ou Sniffies. Felipe n’avait jamais couché avec un mec avant d’arriver en France. Pourtant, ce petit jeune homme très poilu avait déjà une idée bien précise de ce qui lui plaît : "Dès mes 12-13 ans, j’ai compris que j’étais intéressé par le BDSM. Je traînais sur des forums spécialisés dans le bondage et le fist." À Paris, il a voulu mettre en pratique son savoir théorique. "J’ai commencé par les insultes et le verbal, et puis j’ai beaucoup apprécié les châtiments, les coups de fouet, le travail des tétons…" liste-t-il. Il avait 21 ans la première fois qu’il s’est fait fister, et n’a pas tardé à recommencer. Depuis, trois ans ont passé, qui l’ont conforté dans ce qu’il aime, et assume d’ailleurs parfaitement. "Je mets facilement ma tête sur mon profil, souligne-t-il. Je ne vois pas en quoi je devrais avoir honte de mes kinks ; ils sont une partie intégrante de ma vie." Mais aussi de sa garde-robe, désormais garnie de divers harnais et jouets qu’il achète, de seconde main, sur Vinted et le site spécialisé secondskin.co.
On pourrait, comme aiment à le faire les médias généralistes, se vautrer dans le cliché alarmant que les jeunes sont mal informés des risques en matière de santé sexuelle : d’après une étude de l’Ifop en 2023 pour le Sidaction, 30 % des 15-24 ans pensent que le VIH peut se transmettre en embrassant quelqu’un. Sauf que d’après cette même étude, 86 % savent qu’on peut désormais vivre avec le VIH. Pour la première fois en quarante ans, la découverte de la sexualité se fait donc sans l’épée de Damoclès du sida. "Je baisais pas mal, alors je me suis dit que ce serait mieux de prendre la PrEP, témoigne ainsi Guillaume, bien informé du haut de ses 19 ans dont seulement six mois de vie sexuelle. À l’hôpital, le médecin m’a demandé si j’avais été confronté au chemsex. Ce n’est pas du tout mon truc, mais il a quand même pris le temps d’aborder le sujet avec moi, et notamment des interactions à éviter." Si elles ne sont pas encore aussi nombreuses que têtu· pourrait le souhaiter, les ressources en matière de santé sexuelle se sont développées et diversifiées rapidement depuis que la gen Z est née : la PrEP est remboursée à 100 %, de même aujourd’hui que la capote pour les moins de 26 ans. Et pour se faire dépister (VIH et IST), il suffit désormais de pousser la porte d’un laboratoire d’analyses, sans ordonnance ni frais à avancer.
"La facilité des rencontres numériques est la révolution de cette génération, qui n’a jamais eu de difficultés à trouver d’autres personnes LGBTQI+ à qui parler", relève François Kraus, directeur d’études à l’institut de sondages Ifop. Grâce au développement de Grindr et consorts, on pratique avec plus de facilité le sexe à la chaîne, dont certains jeunes déplorent d’ailleurs les écueils. "On fait du cul comme on se brosse les dents, par habitude", remarque Alexandre, 20 ans, originaire de Troyes. Ça lui arrive de se taper deux à trois mecs dans la même journée, une logique addictive qui ne le satisfait pas vraiment. "À force de baiser à la chaîne, on devient des bouts de viande qui se séparent une fois vidés, souffle-t-il. Je n’ai jamais eu d’expérience vraiment mauvaise, mais ce n’est pas top pour l’estime de soi."
Coup de cul ou coup de cœur
"C’est comme avec Instagram : j’ouvre Grindr sans même m’en rendre compte, par réflexe et pour tuer le temps. Ça m’est arrivé plein de fois de me dire que j’avais perdu ma soirée à discuter avec des mecs qui ne me plaisaient pas", note Maxime, 26 ans. Le jeune homme regrette souvent le manque de richesse des relations avec ses plans cul : "Quand je fais des plans, il m’arrive en rentrant chez moi d’éprouver une sensation d’inassouvi, une frustration d’avoir fait ça en vingt minutes, douche comprise. C’est pas mal de coucher avec quelqu’un dont on connaît un peu plus que le prénom !"
"Ma génération n’a pas peur de s’affirmer, mais cela se fait au prix d’une surconsommation du cul et à la fin, c’est fade", considère Alexandre, qui préfère "se laisser surprendre, tâtonner, découvrir le plaisir de l’autre quand on trouve une de ses zones érogènes"… Peut-être est-ce pour cela que beaucoup de jeunes paraissent vanille, voire fleur bleue, à l’image des séries qui leurs sont adressées comme Heartstopper ou Young Royals, où les sentiments amoureux sont remis en avant comme précédant le sexe.
"C’est agréable, aussi, de prendre le temps de discuter avec quelqu’un, de l’apprécier, avant de coucher avec", fait remarquer Maxime. Et ça n’empêche pas du tout d’être sur les applis : s’il traîne sur Grindr, Stephano, 26 ans, y cherche surtout des garçons avec qui échanger : "J’aime proposer aux mecs de se voir pour parler, ça permet de découvrir d’autres choses, ce qui nous fait kiffer dans la vie, etc." Sans que ce soit explicité sur son profil, il annonce rapidement la couleur et parvient souvent à vivre des moments plus profonds qu’une bonne sodo. Un soir, à 2 h du matin, alors qu’il peine à s’endormir, il allume l’appli pour trouver non pas un plan chems, mais un plan tisane : "Si si, on a bu de la tisane", insiste-t-il. Ce soir-là, il avait juste envie de discuter avec quelqu’un, et il s’est fait un nouvel ami. "J’essaie de ne pas avoir d’idée arrêtée sur le devenir de la relation, poursuit-il. Si on se parle pendant une heure, c’est bien, si on devient potes, c’est bien, si on devient amoureux, c’est bien aussi."
La notion même de sexualité a évolué en 25 ans. Si des hétéros matures continuent encore de découvrir que le sexe ne se résume pas à papa dans maman (un livre est même paru en 2019 pour le leur expliquer : Au-delà de la pénétration, de Martin Page), les cadets nés avec internet s’affranchissent facilement de la rencontre physique. "Les jeunes pratiquent aussi le sexe en ligne, et on constate dans les enquêtes que leur principale problématique c’est alors de savoir comment prendre un nude sexy sans être reconnaissable, rapporte Armelle Andro. Ils n’ont aucun problème à trouver des applications, plateformes et sites pour s’amuser." En fin d’adolescence, nous sommes beaucoup à ne pas être à l’aise avec notre corps : on envie celui des autres, on déteste le nôtre qu’on juge trop petit, trop grand, trop maigre, trop gros… Le cybersexe offre alors un moyen d’expérimenter sans trop se mouiller, et de donner accès à son intimité sans se dévoiler complètement. Parfois, on y prend goût et cela devient une part entière de la vie sexuelle.
Le sexe est un réseau social comme les autres
Ainsi, aux yeux de beaucoup, Kevin, 24 ans, ne baise pas lui-même dit avoir une "sexualité inexistante". Mais ce n’est pas ce que son profil sur Recon donne à voir : adepte "de nombreux fétiches", il aime discuter et envoyer des photos de lui en cuir, en puppy, avec sa cage de chasteté… Croisé sur la même application, Rayan, 22 ans, "plutôt soumis", fait pareil : il palabre, poste, se branle avec des partenaires connectés. Mais le sexe en ligne, c’est du sexe ! D’ailleurs, les inconditionnels de la masturbation revendiquent désormais une "solosexualité", et ce ne sont pas que des jeunes.
Mais n’allez pas croire pour autant que les jeunes ont fait une croix sur la rencontre "IRL" (dans la vraie vie). Pour Ben, 19 ans, un garçon trans d’Angoulême, le sexe virtuel a servi de tremplin : "Je n’ai pas démarré ma transition physique et j’ai du mal avec mon corps. Dans le sexe, je suis davantage branché cérébral que pénétration, explique-t-il. Ensuite, avec mon copain, on a vite été attirés par le furry." En costume d’animal (plus ou moins imaginaire, mais en tout cas avec de la fourrure), ils s’éclatent sans trop se poser de questions, et échangent avec d’autres passionnés sur la plateforme Fur Affinity. "Ce n’est pas systématique dans mes relations sexuelles", précise néanmoins cet adepte du bondage.
Et regardez ce grand timide de Felipe, c’est même son kink qui l’a amené à sortir de sa coquille. Il a désormais ses habitudes au Mensch et au OneWay, des bars parisiens et il se rend à Anvers pour la Darklands ou au week-end Hunter à Londres. Une autre manière de faire vivre l’idéal européen Ce n’est même pas que pour la baise : "Ça m’arrive d’aller dans des lieux de baise sans pratiquer, avec un ami, juste pour socialiser et boire une bière… autour d’un cul qui se fait fister." Comme aurait dit Oscar Wilde, la jeunesse, c’est tout un art.
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