[Article à retrouver dans votre têtu· du printemps] Si l'internationale réactionnaire est notre ennemie déclarée, des digues cèdent à gauche en Europe, où l'on voit des élus et des partis reprendre les idées LGBTphobes de Vladimir Poutine et Donald Trump…
L'Américain Donald Trump, l'Italienne Giorgia Meloni, l'Argentin Javier Milei, le Hongrois Viktor Orbán… Parvenue au pouvoir dans de nombreuses démocraties, l'extrême droite y a vite mis en place des politiques LGBTphobes. Personne ne s'en étonnera. Mais à gauche aussi, des lignes bougent : un peu partout en Europe, des courants remettent en cause le statut d'allié que cette grande famille politique avait fini par adopter à la fin du XXe siècle.
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On sent chez certains une forme d'opportunisme électoral. En Allemagne, le parti "Alliance Sahra Wagenknecht – Pour la raison et la justice" (BSW) brouille le paysage politique depuis sa scission en janvier 2024 avec les anticapitalistes de Die Linke (équivalent de La France insoumise). À telle enseigne qu'on ne sait même plus vraiment s'il faut le placer à gauche. "Les gens ne se reconnaissent plus dans les étiquettes traditionnelles", balaie la créatrice du BSW, qui lui a donné son nom.
Aux ordres de Moscou
On lui reproche d'être proche du parti d'extrême droite Alternative für Deutschland (AfD), sur les questions de société ? "Si l'AfD dit que le ciel est bleu, mon parti ne prétendra pas qu'il est vert", réplique-t-elle. Pour elle, la gauche, c'est la justice sociale et non le "mode de vie gauchiste" qu'elle dénonce : pro-écologie, pro-migrants, pro-LGBTQI+, etc. Ainsi Sahra Wagenknecht a-t-elle voté en avril 2024 contre la loi simplifiant le changement d'état civil : "Ce texte va transformer les parents et leurs enfants en souris de laboratoire pour une idéologie qui ne bénéficie qu'aux lobbies de l'industrie pharmaceutique", lance-t-elle auprès du site T-online. Le magazine queer et berlinois Siegessäule a repéré que dans son programme, le changement d'état civil devrait se faire sur avis médical et serait interdit aux "délinquants sexuels"… Avec l'AfD, son parti est en outre le seul à ne pas avoir voulu répondre au questionnaire de l'Association allemande des gays et lesbiennes concernant les droits LGBTQI+. Mais les électeurs allemands ont visiblement préféré l'original à la copie : lors des élections fédérales de février, ils ont largement voté pour l'AfD et totalement oublié le BSW, qui n'a remporté aucun député.
À ses déclarations réactionnaires, Sahra Wagenknecht ajoute un positionnement pro-russe en réclamant la suppression de l'aide européenne à l'Ukraine. Elle n'est pas la seule : un fort vent d'Est souffle sur certains pays d'Europe et fait tourner les girouettes politiques, qui malheureusement arrivent parfois au pouvoir. En 1999, Robert Fico unifiait les gauches slovaques sous une bannière sociale-démocrate. Après les élections législatives de 2023, le voilà revenu pour la troisième fois à la tête du pays. Mais le ton a changé. Si, en 2006, on lui reprochait déjà son gouvernement de coalition avec l'extrême droite, on est désormais sur une alliance idéologique : anti-immigration, anti-Roms, anti-LGBT… "La liberté vient de l'Est tandis que la perversion progressiste vient de l'Occident", déclare-t-il carrément, menaçant de sortir son pays de l'Union européenne et saluant les échanges unilatéraux entre Donald Trump et Vladimir Poutine sur le sort de l'Ukraine. Ce chantre du "bon sens" qui appelle de ses vœux "un barrage constitutionnel face au progressisme" avait dû démissionner en 2018, sous la pression de la rue, après l'assassinat d'un journaliste qui enquêtait sur les liens entre le pouvoir et la mafia calabraise.
Rentrant d'une visite au président russe en décembre 2024, Robert Fico a ramené en souvenir de son voyage la brillante idée d'inscrire dans la Constitution le nouveau mantra du lobby réactionnaire international, traduit en décret par Donald Trump dès le jour de son investiture : "Nous avons deux sexes, masculin et féminin." Et puis tiens, pourquoi ne pas réserver l'adoption d'enfants aux couples mariés ? Ça tombe bien, en 2014 Robert Fico avait déjà constitutionnellement restreint le mariage aux hétéros. Mais s'il fait tout ça, assure-t-il en écho à son voisin d'extrême droite hongrois, Viktor Orbán, c'est pour protéger "les traditions, l'héritage culturel et spirituel de nos ancêtres". C'est d'ailleurs pour cela qu'il ne veut plus subventionner toutes ces associations LGBTQI+ qui conduisent, selon lui, à "une extinction de la race blanche".
Électoralisme
L'influence de Vladimir Poutine s'est également fait fortement sentir lors de la dernière élection présidentielle en Roumanie, au point qu'elle a été annulée en décembre en raison des soupçons de manipulations russes. Après quelques tentatives dans les années 2010 de légaliser les unions entre personnes de même sexe, le Parti social-démocrate (PSD), qui règne sur la politique nationale depuis vingt-cinq ans, a abandonné l'idée. En mai 2023, le Premier ministre, Marcel Ciolacu, par ailleurs président du PSD, a renvoyé le sujet aux calendes grecques. "La société roumaine n'est pas encore prête pour une décision en ce moment. Ce n'est pas ma priorité et je ne crois pas que les Roumains soient prêts, a-t-il développé à la radio. Je ne suis pas une personne étroite d'esprit. J'ai des amis homosexuels. Je n'ai pas de problème personnel avec ça. Là, je parle du point de vue du Premier ministre." Si son meilleur ami est gay, tout va bien.
Dans un Royaume-Uni sacrément secoué ces dernières années par le populisme de droite (qui a arraché le Brexit en 2016), le retour aux affaires du Parti travailliste après quinze ans de règne conservateur laissait espérer un changement de pied notable sur les questions LGBTQI+. D'autant que le précédent Premier ministre, Rishi Sunak, avait fait de sa transphobie un point de programme : "La loi devrait utiliser le sexe à la naissance pour définir si une personne est un homme ou une femme." A contrario, pendant la campagne pour les élections législatives de juillet 2024, son futur successeur, le travailliste Keir Starmer, s'était engagé à "moderniser, simplifier et réformer la loi obsolète de reconnaissance de genre" : "Nous supprimerons les indignités que subissent les personnes trans qui méritent la reconnaissance et l'acceptation ; en même temps que nous lèverons le besoin d'un diagnostic de dysphorie de genre de la part d'un spécialiste, nous permettrons l'accès au parcours de soins."
Mais les promesses n'engagent que celui qui les croit. En mars 2024, le gouvernement travailliste a supprimé le seul département du service public de santé dédié aux enfants et adolescents transgenres, laissant sur le carreau les 6.000 personnes qui y étaient suivies. Le ministre de la Santé, Wes Streeting, bien qu'ouvertement gay, est allé plus loin en maintenant l'interdiction des bloqueurs de puberté pour les mineurs mise en place par le gouvernement conservateur. "Il n'y a pas encore assez de preuves sur l'impact à long terme des bloqueurs de puberté pour savoir s'ils sont sans danger ou non", a-t-il justifié, alors que ces traitements – réversibles – sont expérimentés depuis 2011 au Royaume-Uni. "Cette restriction ne fera qu'augmenter le sentiment de détresse et risque de saper la confiance que ces jeunes placent dans le système de santé, ainsi que leur possibilité d'accéder au soutien dont ils ont besoin", s'est insurgée Stonewall, la principale association LGBTQI+ du pays.
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Vieille garde transphobe
Au pouvoir depuis 2018, la coalition des gauches en Espagne a placé le pays à la pointe des avancées en matière d'auto-détermination de genre en Europe. Mais le poison de la division menace… Ministre de l'Égalité de 2020 à 2023, Irene Montero, 36 ans, issue de Podemos, l'équivalent espagnol de La France insoumise, a fait adopter une loi permettant de changer librement son état civil dès 16 ans. Mais sa prédécesseuse, la socialiste de 57 ans Carmen Calvo, aujourd'hui présidente du Conseil d'État, ne l'entend pas de cette oreille et a pondu un livre de 200 pages où elle refuse l'auto-détermination et appelle à séparer le féminisme des revendications queers. "Le mouvement féministe a été un creuset pour les droits des mineurs, des minorités racialisées et des groupes LGBT, mais cette sororité ne fonctionne que jusqu'à ce que des intérêts contradictoires émergent", affirme-t-elle dans son essai, citant notamment la prostitution, la gestation pour autrui (GPA), etc.
Et ses petites idées transphobes ont réussi à trouver leur place lors du congrès du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) en décembre 2024. Un amendement proposé par ses proches a été adopté : désormais, le parti souhaite "qu'aucune personne de sexe masculin ne puisse participer [aux compétitions sportives dans les] catégories féminines". Soit l'une des premières décisions prises par Donald Trump cette année. En parallèle, le texte final du congrès revendique de lutter contre les discriminations transphobes dans le sport… Ou quand l'esprit de synthèse vire au chat de Schrödinger.
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