[Article à retrouver dans le magazine têtu· de l'automne ou sur abonnement] Le 22 octobre 2022, l'extrême droite emmenée par Giorgia Meloni prenait le pouvoir en Italie. Et si depuis, la présidente du Conseil des ministres a adouci son discours sur plusieurs sujets, elle n'a pas arrêté de s'acharner contre les familles homoparentales.
Il n’y a qu’à parcourir sa page Instagram pour observer le visage avenant qu’elle veut donner à l’extrême droite. Giorgia Meloni, à la tête du gouvernement italien depuis les élections législatives de 2022, y apparaît constamment souriante, ses cheveux blonds parfaitement coiffés, avec souvent l’air espiègle. D’ailleurs, si l’on en croit son profil, la présidente du Conseil des ministres fréquente du beau monde : on l’aperçoit la main dans le dos de Tom Cruise ou d’Elon Musk, blaguant avec le pape François, donnant un cours d’histoire de l’art à son homologue britannique, Rishi Sunak, ou encore dans le bureau ovale du président américain, captant de ses yeux bleus le regard de Joe Biden.
À lire aussi : "C'est la première loi anti-gay en Italie" : Giorgia Meloni, la haine en actes
Bref, la classe internationale. Entre les selfies avec sa grand-mère ou devant son sapin de Noël, on en oublierait presque que la présidente du parti Frères d’Italie est à la tête d’une extrême droite qui revendique l’héritage du fondateur du fascisme, le dictateur Mussolini, dont elle disait en 1996 devant les caméras de la télévision française qu’il avait été un "bon politicien" . Mais en 2023, les chemises brunes, c’est démodé. Pour gagner la guerre des idées, il faut montrer patte blanche. Et si Giorgia Meloni n’a jamais renié la filiation fasciste de son camp, sa première année au pouvoir l’a montrée moins autoritaire que conservatrice. En un an, elle a su faire des concessions sur l’Union européenne ou l’immigration, mais s’est montrée intraitable dans son offensive contre les familles homoparentales. Soutien des anti-avortement Giorgia Meloni avait lancé sa petite musique anti-LGBT dès sa campagne électorale, placée sous la devise "Dieu, patrie, famille". "Non au parent 1 et au parent 2, nous défendons nos noms parce que nous ne sommes pas des codes. Je suis une femme, une mère et une chrétienne, et vous ne me l’enlèverez pas , déclare-t-elle en 2019 devant quelque 200.000 personnes. J’ai honte de cet État qui oppose le désir des homosexuels d’adopter un enfant au droit de cet enfant d’avoir un père et une mère simplement parce que les homosexuels votent et que l’État ne protège plus les plus faibles.”
Soutien des anti-avortement
Un clip dénonçant cette homophobie décomplexée aura tellement de succès – 13 millions de vues sur YouTube – que la candidate a soutenu qu’il avait aidé son parti, passé de 4 à 10% dans les sondages : "Si le clip est un tube, c’est que j’avais des choses à dire." Aux élections législatives de 2022, c’est un triomphe. Frères d’Italie remporte la majorité (26%), donnant à Giorgia Meloni la charge de former un gouvernement. Elle doit en partie sa victoire au soutien des mouvements anti-avortement italiens qui, en 2015, organisaient à Rome une "Journée de la famille" (hétérosexuelle, évidemment) avec un mot d’ordre : "Non aux unions civiles." Ce n’est même pas le mariage des couples homos que les 400.000 participants refusent alors, mais bien leur simple reconnaissance administrative, qui sera malgré tout actée en 2016.
Porte-parole de cette "Journée de la famille", Eugenia Roccella est devenue en 2022 la ministre de la Famille et de la Natalité de Meloni. "La branche italienne de La Manif pour tous, Pro-vie et famille, a grandement contribué à écrire le programme de cette coalition de gouvernement. Sur les questions de genre, de sexualité, d’avortement, d’euthanasie, etc., on retrouve toutes ses revendications", souligne Massimo Prearo, politologue, qui a publié cet été L’Hypothèse néocatholique, politique, mouvement et mobilisations anti-genre en Italie . Dès son arrivée au pouvoir, le gouvernement de Giorgia Meloni déroule son programme destiné à rogner les maigres droits des personnes LGBTQI+, dans un pays où il n’existe pas de loi interdisant l’incitation à la haine homophobe ou transphobe, et où mariage et PMA sont réservés aux hétéros.
"La GPA est encore plus grave que la pédophilie"
Première brique de l’offensive conservatrice italienne : viser directement l’homoparentalité. Progressivement, mais au karcher : d’abord, le Sénat italien a refusé en mars une proposition de l’Union européenne de créer un "certificat européen de filiation", censé faciliter la circulation des familles homoparentales entre les États membres. Puis le gouvernement a demandé que sur les actes de naissance d’enfants nés d’une PMA ou d’une GPA à l’étranger soit effacé le parent non-biologique. Avec des conséquences délétères pour les familles concernées : impossibilité d’aller chercher l’enfant à l’école sans autorisation écrite du parent biologique, mais aussi de prendre des décisions concernant sa santé, de voyager avec lui, et surtout, aucun droit sur sa garde en cas de décès du parent biologique.
En guise de troisième acte, Frères d’Italie a proposé de pénaliser les gestations pour autrui (GPA) à l’étranger de deux ans de prison et un million d’euros d’amende. "La GPA est encore plus grave que la pédophilie" , justifie un député de Frères d’Italie avec le sens de la nuance qui caractérise son camp. "Giorgia Meloni a une véritable fascination pour le Premier ministre hongrois, Viktor Orbán, dont elle s’inspire ouvertement depuis au moins deux ans , décrypte Simone Alliva, journaliste pour l’hebdomadaire de gauche L’Espresso , en charge du suivi des sujets LGBTQI+ . Comme lui, elle teste jusqu’où elle peut aller dans le grignotage patient des droits civiques." Et ce, alors même que la non-inscription du parent non-biologique sur les actes de naissance est massivement rejetée : "Autour de 70 % des Italiens y sont défavorables, y compris la majorité de l’électorat de Frères d’Italie" , fait remarquer Marc Lazar, professeur émérite de sociologie politique et d’histoire à Sciences Po.
Mais le manque de popularité de ces mesures ne nuit pas à la stratégie politique de Giorgia Meloni. "Aux yeux de son électorat, elle a échoué sur la question migratoire et sur l’opposition à l’Union européenne, note depuis Rome Gianfranco Rebucini, chargé de recherche au CNRS, anthropologue du genre et des sexualités . Alors pour reprendre pied, elle a besoin de faire contre-feu." L’offensive tonitruante contre les familles homoparentales est une diversion parfaite pour faire passer ces pilules et radicaliser son électorat. "L’extrême droite tente par tous les moyens d’idéologiser la société, de s’adresser aux tripes des Italiens en leur faisant miroiter un modèle de famille traditionnelle, en réponse aux angoisses réelles liées à la précarité ou au changement climatique" , analyse sur tetu· le député de gauche ouvertement gay Alessandro Zan, qui tente de faire adopter une loi interdisant les discriminations LGBTphobes.
Le baiser de deux rappeurs
L’arbitrage est rapide à faire : en s’en prenant aux personnes LGBTQI+, Giorgia Meloni gagne bien davantage en sympathie dans l’électorat ultraconservateur qu’elle ne s’aliène la droite plus modérée. Le ciment de son électorat, c’est l’hostilité absolue à la gauche et aux valeurs progressistes qu’elle porte. D’ailleurs, Elly Schlein, la nouvelle patronne du Parti démocrate (centre gauche), est en couple avec une femme. "Il est temps de changer de récit" , proclame le sous-secrétaire d’État à la Culture Gianmarco Mazzi quand, en février, le gouvernement menace de virer le Conseil d’administration de la télévision publique, la Rai, après la retransmission du baiser entre deux rappeurs lors du festival de chansons de Sanremo. "Il y a par ailleurs une dérive pas dictatoriale mais autoritaire qui souhaite donner davantage de pouvoir à l’exécutif au détriment de tout ce qui fait barrage à son idée de la nation" , remarque David Broder, historien spécialiste de l’extrême droite et auteur de Mussolini’s Grandchildren : Fascism in Contemporary Italy ( Les Petits-Enfants de Mussolini : le fascisme dans l’Italie contemporaine, non traduit).
Un discours et une méthode qui, en France, résonnent avec ceux de l’extrême droite française, en particulier à la sauce Zemmour. D’ailleurs, l’une de ses fidèles, Marion Marechal, est mariée avec un eurodéputé italien élu sous la bannière de… Frères d’Italie. Début juillet, la nièce de Marine Le Pen publiait une tribune : "Je suis une femme, je suis une mère. Est-il encore possible de le dire ?" Comme un air de déjà-vu.
À lire aussi : Intégristes cathos et musulmans s'allient contre l'éducation sexuelle en Belgique
Crédit photo : Ludovic Marin / AFP