éditoTransidentité, cannabis… "Macron le moderne" semé par le chancelier allemand

Par Thomas Vampouille le 17/04/2024
Emmanuel Macron et Olaf Scholz

Pendant que la France mène la guerre au cannabis et reste immobile sur les questions de genre, l'Allemagne légalise et modernise…

"Olaf Scholz, ce chancelier que Macron ne comprend pas." Derrière ce titre, début mars, Libération faisait le constat qu'entre le dirigeant allemand, social-démocrate, et notre bon président, macroniste, le torchon brûle autour de la guerre en Ukraine. Rien de bien nouveau dans ce décalage : Angela Merkel non plus ne comprenait pas Nicolas Sarkozy. Le hiatus actuel ne devrait pas s'arranger après les dernières réformes de société engagées par la coalition du chancelier Scholz : pensez donc, la légalisation du cannabis ET le changement de genre à l'état civil sur simple déclaration ! À des années-lumière du tour donné par le Français à son second mandat présidentiel…

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Ainsi depuis le 1er avril, les adultes outre-Rhin ont le droit de détenir, consommer et cultiver du cannabis, dans des conditions limitées par la loi. L'Allemagne est le plus grand pays de l'Union européenne (UE) à avoir légalisé la beuh, avec l'une des lois les plus libérales d'Europe : la possession de 25 g de cannabis séché est autorisée dans les lieux publics, ainsi que la culture à domicile, jusqu'à 50 g et trois plants par adulte. De quoi ringardiser même les Pays-Bas, pourtant pionniers dans ce domaine, où la consommation de cannabis n'est pas légale mais tolérée ; de même, Malte a dépénalisé l'usage en 2021, et le Luxembourg l'an dernier.

Contre le cannabis, une guerre d'antan

Et pendant ce temps, qu'entend-on de notre côté du Rhin ? "La drogue c'est de la merde", refrain des années 1990 entonné à l'envi par notre ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, qui le lendemain de la légalisation allemande annonçait l'une de ses "opérations Place nette XXL" anti-drogue à Strasbourg, comme un pied-de-nez de boomer aux 1.500 personnes qui ont célébré, devant l'emblématique porte de Brandebourg à Berlin, la réforme dans les volutes de fumée de leurs joints devenus légaux.

Nos voisins, si souvent caricaturés en amoureux de l'ordre, auraient-ils soudain lâché la rampe ? Ou leur sens également connu du pragmatisme, si souvent érigé en vertu par Emmanuel Macron, leur aurait-il enfin permis de comprendre, comme tant d'États avant eux, que la guerre contre le cannabis était celle d'un autre temps, que les nouvelles générations ont bien le droit de préférer l'herbe à l'alcool, et surtout qu'une lutte efficace contre l'addiction ne saurait passer par la prohibition ? Nous avons déjà eu l'occasion de le dire, à têtu· : la guerre à la drogue a échoué, comme elle aurait échoué contre l'alcoolisme qui ravageait encore la France dans les années 1960. Or la consommation des Français est tombée de 200 l d’alcool par an à cette époque à 80 l aujourd’hui, et sans interdiction ! En sortant le cannabis "de la zone taboue", a fait valoir le ministre allemand de la Santé, Karl Lauterbach, médecin de profession, "c'est mieux pour une véritable aide aux toxicomanes, pour la prévention auprès des jeunes et pour la lutte contre le marché noir".

Olaf Scholz vs Emmanuel Macron

La coalition d'Olaf Scholz ne s'est pas arrêtée là dans les réformes audacieuses. Deux semaines plus tard, voici qu'elle vote la simplification du changement de genre, qui ne nécessite désormais qu'une simple déclaration à l'état civil. Une avancée réclamée par toutes les associations concernées, en Allemagne comme en France, et facile à mettre en œuvre. Chez nous, sur ce sujet, rien, silence radio. En 2022 pourtant, répondant aux questions de têtu·, le candidat Macron à sa réélection déclarait à ce sujet : "Les personnes qui s’engagent dans un processus de transition doivent être respectées dans leur choix et leur vie ne doit pas être rendue plus complexe par des procédures administratives si elles sont inutiles." Sur la légalisation du cannabis, en 2016, Emmanuel Macron ministre de l'Économie trouvait aussi à la légalisation "des intérêts" ainsi qu'une "forme d’efficacité" en termes de lutte contre le "financement de réseaux occultes".

"C’est ainsi que nous continuons à faire avancer la modernisation de notre pays."

Alors, qu'est-ce qui sépare aujourd'hui Emmanuel Macron d'Olaf Scholz ? Politiquement, pas un fossé, puisque les deux sont issus de la social-démocratie et à la tête d'un gouvernement également composé de libéraux… Et si le premier s'est notoirement éloigné de la gauche à l'exercice du pouvoir, il n'a jamais cessé de se proclamer réformateur et moderniste, "sans totem ni tabou" ; le disrupteur en chef a même nommé un Premier ministre de 34 ans, gay ! Las, la macronie n'a jamais été plus sépia que dans son acte deux. Le premier mandat nous avait apporté l'ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux femmes seules et aux couples de lesbiennes, l'interdiction formelle des "thérapies de conversion", la circulaire sur l'accueil des élèves trans à l'école. Le second nous pond un gouvernement composé d'anciens de La Manif pour tous et ne pense plus qu'à faire la police, évoquant même des tests salivaires sur les piétons pour détecter les consommateurs de cannabis…

Ce n'est pas non plus plus le contexte politique qui sépare les deux dirigeants. Les deux font face à une forte impopularité, ainsi qu'à une montée inquiétante de l'extrême droite. C'est sans doute dans la réaction à cette dernière donnée que réside l'alternative possible : se replier, céder le terrain aux populistes, flatter les instincts conservateurs quitte à nager à rebours de l'histoire, ou au contraire poursuivre vaille que vaille la marche du progrès. Le 12 avril, pour marquer la loi simplifiant les changement de genre à l'état civil, le chancelier allemand a tweeté : "Nous faisons preuve de respect envers les personnes trans, intersexuées et non-binaires – sans rien enlever aux autres. C’est ainsi que nous continuons à faire avancer la modernisation de notre pays. Cela implique de reconnaître les réalités de la vie et de les rendre légalement possibles." La différence entre l'auteur de Révolution et Scholz, c'est qu'Olaf choisit de mettre vraiment sa république en marche…

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Crédit photo : Tobias SCHWARZ / AFP

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