[Cet édito ouvre le magazine têtu· du printemps, disponible chez vos marchands de journaux ou sur abonnement] Entre le retour de Trump et les oukases de son avatar européen, Viktor Orbán, l'époque incite au désespoir. Mais lorsque le vent tourne mauvais, la communauté LGBT+ prouve chaque fois sa résilience. C'est bien, on va en avoir besoin…
Depuis la réélection de Donald Trump, a fortiori depuis son investiture fin janvier, chaque jour qui passe nous offre une occasion de désespérer. Au printemps 2022, alors que les troupes de Vladimir Poutine venaient à nouveau d'entrer en Ukraine, têtu· dénonçait à sa une "le vrai lobby", ou comment le délire anti-LGBT de l'autocrate russe était devenu un programme mondial, de Viktor Orbán au milliardaire orangé en passant par Marine Le Pen et Éric Zemmour, nos deux fervents admirateurs des trois précédemment cités. L'histoire ne nous a malheureusement pas démenti, et la situation s'est même aggravée puisque c'est le président des États-Unis – "du monde libre", disait-on jadis – qui revendique désormais le leadership de "l'internationale réactionnaire" qu'Emmanuel Macron s'est enfin décidé à nommer en face. Dans la guerre de civilisation que celle-ci mène bruyamment "contre tout ce qui est woke", la transphobie est son véhicule privilégié de propagation de la haine, selon un procédé que nous connaissons bien.
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En recevant, en décembre, un têtu· d'honneur pour sa vie inspirante de pionnière trans, Bambi, 89 ans, a salué la lutte de Coccinelle dès les années 1950 pour que les personnes trans puissent simplement exister, ainsi que le chemin parcouru depuis lors, grâce notamment aux associations LGBTQI+ : "Aujourd'hui tout est différent, je vois toute une population libre et conquérante, et ça donne de l'espoir pour les années qui restent…" Las, avons-nous atteint un sommet de la visibilité queer et des droits LGBTQI+, et la suite qui s'avance sous nos pieds n'est-elle plus qu'une pente descendante ? À travers le monde, nombreuses sont les forces à y travailler avec acharnement.
Mais la mémoire des luttes queers du XXe siècle, et des innombrables persécutions subies par les générations précédentes, nous interdit le découragement. L'administration Trump n'a rien trouvé de plus urgent que de renvoyer aux personnes trans un nouveau passeport affichant leur genre de naissance ? "Je ne cesserai jamais d'être trans, et une lettre dans un passeport ne pourra pas changer ça", balaie l'actrice Hunter Schafer. Viktor Orbán prétend interdire la Pride de Budapest ? "On marchera évidemment", confirme auprès de têtu· Viktoria Radvanyi, présidente de l'association organisatrice, prête à utiliser "toutes les voies légales" pour défendre la liberté d'expression et de manifestation.
Face au retour de "la nuit noire", il n'y a pas lieu de paniquer mais de s'informer, de mobiliser et de résister.
Le désespoir n'aiguillonne pas l'action, il l'étouffe. Face au retour de "la nuit noire" (comme dit François Ruffin dans notre interview), il n'y a pas lieu de paniquer mais de s'informer, de mobiliser et de résister. En Europe comme outre-Atlantique, la communauté LGBTQI+ est bien vivace, et s'organise en ce moment-même pour faire face à l'obscurantisme. Bien sûr, têtu· continuera de soutenir la lutte, mais aussi de porter nos regards vers le beau, vers l'art qui nous élève, vers la jeunesse qui ne baisse pas les bras et s'attelle au contraire, contre tous les pessimismes, à remonter le rocher sur la pente.
"Il arrive que la tristesse se lève au cœur de l'homme : c'est la victoire du rocher, c'est le rocher lui-même. L'immense détresse est trop lourde à porter", écrit Albert Camus dans Le Mythe de Sisyphe, avant de se reprendre : "La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d'homme." Action = vie. Il faut imaginer Sisyphe queer.
Crédit illustration : Creative Commons, par Serge Mazet, artiste-peintre membre de l'ADAGP