Après le succès de son premier spectacle La Lesbienne Invisible, Océanerosemarie est revenu avec Chatons Violents, une charge virulente et hilarante contre les « Bons Blancs Bobos » qui évoque tour à tour problèmes conjugaux, racisme et les chocs culturels entre Paris et la province. En abordant des thèmes à la fois hors du temps et ancrés dans l’actualité, Océanerosemarie nous fait réfléchir à la situation de la société française actuelle, sans jamais manquer de nous faire rire, avec ses propos parfois violents et faussement naïfs.
TÊTU : Votre spectacle nous parle aussi bien des lolcats et des disputes conjugales, que de la politique étrangère de la France et des problèmes sociétaux. Comment réussissez-vous à trouver ce subtil équilibre entre humour et réflexion ?
Océanerosemarie : Pour moi l’acte de monter sur scène implique d’avoir un message à faire passer, une vision du monde, et évidemment d’avoir envie de faire rire. C’est donc naturellement que je mélange les deux, l’humour aidant à faire entendre des choses pas forcément évidentes, l’autocritique permettant d’aller plus loin dans une critique globale, et l’humour permettant surtout de rire ensemble ! Dans ce spectacle je voulais relier l’intime (le couple, les chats…) au public (la politique, les phénomènes de gentrification…) parce qu’il me semble toujours bon de rappeler que nos expériences intimes et donc subjectives influent sur notre jugement du collectif, et que savoir « d’où on parle » permet d’accepter notre subjectivité et donc éventuellement nos erreurs de jugement.
TÊTU : Est-ce que vous vous inspirez principalement de vos propres expériences pour écrire le spectacle, où y a-t-il également une part importante d'imagination et d'exagération ?
Océanerosemarie : J’extrapole évidemment, mais je pars beaucoup de choses vécues ou observées. Certaines répliques ont été dites par des gens autour de moi, au mot près, et c’est tellement énorme que je suis obligée de les inclure dans le spectacle ! Comme par exemple « Chéri je suis désolée mais… je pense que j’aurai pas la force d’ouvrir la maison à Belle Ile ce week-end » à une terrasse de café après 4 mojitos :)
TÊTU : Vous avez su adapter votre one woman show aux récents événements liés aux attentats du 13 novembre, ainsi qu'aux attentats de Charlie Hebdo en janvier dernier. Comment s'organisent ces changements dans vos textes ? Sont-ils improvisés ?
Océanerosemarie : Je les ai écrits dans l’urgence, parfois juste quelques heures avant de monter sur scène comme ce week end quand j’ai réagi aux arrestations à République pendant la Cop21. J’essaye en général de fixer les choses en amont mais quand un truc me heurte particulièrement comme ça, je fixe juste une trame et j’improvise dessus le premier soir. Ensuite, j’aime bien structurer les nouveautés pour ne pas déséquilibrer le rythme du spectacle qui est très tendu.
TÊTU : Vous avez un humour à la fois intelligent, caricatural et sombre. Le Nord et Marseille en prennent pour leur grade. Avez-vous déjà eu affaire à des spectateurs vexés par vos propos ?
Océanerosemarie : Les gens du Pas-de-Calais ou de Marseille savent que je me moque avec tendresse, en riant aussi des clichés qu’ils subissent, et qu’au final, dans ce spectacle, les parisiens en prennent quand même plus pour leur grade que n’importe qui d’autre ! Donc non eux ne se vexent pas je crois... En revanche, certains BBB sont agacés par le spectacle, sans doute parce qu’ils ne sont pas prêts à rire d’eux-mêmes.
Les gens qui sont en profond désaccord avec mes positions sur la prostitution ou le voile me le font parfois bien sentir aussi, et j’ai remarqué aussi que quand je parle de la laïcité et que je me moque brièvement d’Elisabeth Badinter qui est une sorte de Dieu vivant et intouchable pour beaucoup de gens, certains le prennent assez mal. Les gens n’ont tout simplement pas l’habitude d’entendre qu’être de gauche ne suffit pas à les dédouaner de toute forme de racisme ou d’homophobie, et ça les déstabilise parfois.
TÊTU : Dans votre spectacle vous vous moquez énormément des « Bons Blancs Bobos », tout en étant vous-même issue de ce milieu social. Comment avez-vous réussi à dépasser votre condition de BBB pour vous en moquer ?
Océanerosemarie : Justement en m’incluant et en rappelant toujours que je fais partie de ce milieu ! C’est grâce à ça que je peux aller très loin. Si je me désolidarisais complètement de ce groupe, je ferais exactement ce que je leur reproche : critiquer la violence des autres sans voir ma propre violence. Alors qu’en m’incluant et en montrant le chemin que j’ai fait pour aboutir à une autocritique, je peux inviter les gens à faire de même, en s’identifiant à mon personnage ou au moins à son parcours. Encore une fois je pense que toutes ces questions délicates (la politique étrangère, la laïcité, l’état d’urgence…) nécessitent de rire « ensemble » et pas « les uns contre les autres », comme la politique actuelle, du PS au FN, le fait largement et de façon plus ou moins claire, ou au contraire pernicieuse. On parle toute la journée d’unité nationale (dans les médias, les discours politiques) mais de plus en plus se distingue un « nous » qui se dresserait en opposition à un « eux ». Je préfère passer par un « je » singulier dans lequel les gens se reconnaissent partiellement, et qui permette de « se mettre en relation » les uns avec les autres plutôt que de faire croire à une fusion qui, derrière ses airs d’unité nationale, nie la diversité des points de vue, des histoires de chacun, des individus, et ne sert qu’à faire bloc contre un ennemi fantasmé.
TÊTU : Avez-vous écrit ce spectacle pour faire réfléchir le public et faire passer des idées, ou simplement pour vous défouler un grand coup ?
Océanerosemarie : Les deux ! Ca faisait un moment que j’étais travaillée par cette question du « privilège blanc » qui est une question politique souvent abordée par les humoristes anglo-saxons mais presque jamais en France, ainsi que du privilège économique, souvent nié par des gens qui pensent que vivre à Montreuil en plein « mixité sociale » efface la couleur de peau (et donc les difficultés ou au contraire les privilèges que notre société y associe). Beaucoup de choses m’agaçaient, voire me mettaient très en colère, comme ces « féministes » qui ont la plus grande place dans le paysage médiatique français (paysage qui est déjà assez minuscule au départ) et expliquent à toutes les femmes ce que c’est qu’être une femme libérée, comme si le schéma de la femme occidentale performative dans le système capitaliste était la seule façon d’être épanouie, « réussie ». Donc j’avais besoin de sortir tout ça, ne l’entendant pas assez dans les médias, dans les discours des politiques, ou sur les scènes de théâtre. Mais j’avais envie d’articuler mon discours avec humour, pour inviter les gens à réfléchir avec moi, avec légèreté aussi.
Un média gay ou LGBT tel que TETU n'entre-t-il pas un peu dans le cadre des fameux « replis communautaire » qui jalonne votre spectacle ?
Océanerosemarie : Je soulève brièvement les questions LGBT dans le spectacle parce que j’ai déjà fait un spectacle entier là-dessus et que je ne voulais pas me répéter. Mais pour moi critiquer l’organisation d’une solidarité chez un groupe discriminé relève avant tout de la mauvaise foi ! Les hétéros qui critiquent les replis communautaires des gays c’est aussi honteux et stupide que de parler de racisme anti-blanc. Pour moi on doit d’abord dénoncer le repli communautaire des privilégiés et dominants, qui porte en lui une violence (justement parce qu’il domine) plutôt que le repli communautaire des minorés qui reste avant tout une façon de survire à cette violence qui l’opprime. D’ailleurs dans le milieu LGBT on retrouve ces systèmes de dominations à une échelle plus petite en constatant que les LG peuvent être oppressifs avec les B et T, plus minoritaires encore. Et quand les LG sont aussi blancs et issus de milieu privilégiés, ce système de domination s’applique aussi parfois aux racisés et aux précaires.
Aurez-vous envie de continuer le one woman show après Chatons violents, ou souhaiteriez-vous partir sur de nouveaux projets ?
Je prépare actuellement un long métrage pour le cinéma que nous devrions tourner au Printemps et sortira a priori début 2017. Mais je continue avec les chatons jusqu’en 2018 en parallèle, et pour la suite on verra bien.
Océanerosemarie, dans Chatons violents
TÊTU : Votre spectacle nous parle aussi bien des lolcats et des disputes conjugales, que de la politique étrangère de la France et des problèmes sociétaux. Comment réussissez-vous à trouver ce subtil équilibre entre humour et réflexion ?
Océanerosemarie : Pour moi l’acte de monter sur scène implique d’avoir un message à faire passer, une vision du monde, et évidemment d’avoir envie de faire rire. C’est donc naturellement que je mélange les deux, l’humour aidant à faire entendre des choses pas forcément évidentes, l’autocritique permettant d’aller plus loin dans une critique globale, et l’humour permettant surtout de rire ensemble ! Dans ce spectacle je voulais relier l’intime (le couple, les chats…) au public (la politique, les phénomènes de gentrification…) parce qu’il me semble toujours bon de rappeler que nos expériences intimes et donc subjectives influent sur notre jugement du collectif, et que savoir « d’où on parle » permet d’accepter notre subjectivité et donc éventuellement nos erreurs de jugement.
TÊTU : Est-ce que vous vous inspirez principalement de vos propres expériences pour écrire le spectacle, où y a-t-il également une part importante d'imagination et d'exagération ?
Océanerosemarie : J’extrapole évidemment, mais je pars beaucoup de choses vécues ou observées. Certaines répliques ont été dites par des gens autour de moi, au mot près, et c’est tellement énorme que je suis obligée de les inclure dans le spectacle ! Comme par exemple « Chéri je suis désolée mais… je pense que j’aurai pas la force d’ouvrir la maison à Belle Ile ce week-end » à une terrasse de café après 4 mojitos :)
TÊTU : Vous avez su adapter votre one woman show aux récents événements liés aux attentats du 13 novembre, ainsi qu'aux attentats de Charlie Hebdo en janvier dernier. Comment s'organisent ces changements dans vos textes ? Sont-ils improvisés ?
Océanerosemarie : Je les ai écrits dans l’urgence, parfois juste quelques heures avant de monter sur scène comme ce week end quand j’ai réagi aux arrestations à République pendant la Cop21. J’essaye en général de fixer les choses en amont mais quand un truc me heurte particulièrement comme ça, je fixe juste une trame et j’improvise dessus le premier soir. Ensuite, j’aime bien structurer les nouveautés pour ne pas déséquilibrer le rythme du spectacle qui est très tendu.
TÊTU : Vous avez un humour à la fois intelligent, caricatural et sombre. Le Nord et Marseille en prennent pour leur grade. Avez-vous déjà eu affaire à des spectateurs vexés par vos propos ?
Océanerosemarie : Les gens du Pas-de-Calais ou de Marseille savent que je me moque avec tendresse, en riant aussi des clichés qu’ils subissent, et qu’au final, dans ce spectacle, les parisiens en prennent quand même plus pour leur grade que n’importe qui d’autre ! Donc non eux ne se vexent pas je crois... En revanche, certains BBB sont agacés par le spectacle, sans doute parce qu’ils ne sont pas prêts à rire d’eux-mêmes.
Les gens qui sont en profond désaccord avec mes positions sur la prostitution ou le voile me le font parfois bien sentir aussi, et j’ai remarqué aussi que quand je parle de la laïcité et que je me moque brièvement d’Elisabeth Badinter qui est une sorte de Dieu vivant et intouchable pour beaucoup de gens, certains le prennent assez mal. Les gens n’ont tout simplement pas l’habitude d’entendre qu’être de gauche ne suffit pas à les dédouaner de toute forme de racisme ou d’homophobie, et ça les déstabilise parfois.
TÊTU : Dans votre spectacle vous vous moquez énormément des « Bons Blancs Bobos », tout en étant vous-même issue de ce milieu social. Comment avez-vous réussi à dépasser votre condition de BBB pour vous en moquer ?
Océanerosemarie : Justement en m’incluant et en rappelant toujours que je fais partie de ce milieu ! C’est grâce à ça que je peux aller très loin. Si je me désolidarisais complètement de ce groupe, je ferais exactement ce que je leur reproche : critiquer la violence des autres sans voir ma propre violence. Alors qu’en m’incluant et en montrant le chemin que j’ai fait pour aboutir à une autocritique, je peux inviter les gens à faire de même, en s’identifiant à mon personnage ou au moins à son parcours. Encore une fois je pense que toutes ces questions délicates (la politique étrangère, la laïcité, l’état d’urgence…) nécessitent de rire « ensemble » et pas « les uns contre les autres », comme la politique actuelle, du PS au FN, le fait largement et de façon plus ou moins claire, ou au contraire pernicieuse. On parle toute la journée d’unité nationale (dans les médias, les discours politiques) mais de plus en plus se distingue un « nous » qui se dresserait en opposition à un « eux ». Je préfère passer par un « je » singulier dans lequel les gens se reconnaissent partiellement, et qui permette de « se mettre en relation » les uns avec les autres plutôt que de faire croire à une fusion qui, derrière ses airs d’unité nationale, nie la diversité des points de vue, des histoires de chacun, des individus, et ne sert qu’à faire bloc contre un ennemi fantasmé.
TÊTU : Avez-vous écrit ce spectacle pour faire réfléchir le public et faire passer des idées, ou simplement pour vous défouler un grand coup ?
Océanerosemarie : Les deux ! Ca faisait un moment que j’étais travaillée par cette question du « privilège blanc » qui est une question politique souvent abordée par les humoristes anglo-saxons mais presque jamais en France, ainsi que du privilège économique, souvent nié par des gens qui pensent que vivre à Montreuil en plein « mixité sociale » efface la couleur de peau (et donc les difficultés ou au contraire les privilèges que notre société y associe). Beaucoup de choses m’agaçaient, voire me mettaient très en colère, comme ces « féministes » qui ont la plus grande place dans le paysage médiatique français (paysage qui est déjà assez minuscule au départ) et expliquent à toutes les femmes ce que c’est qu’être une femme libérée, comme si le schéma de la femme occidentale performative dans le système capitaliste était la seule façon d’être épanouie, « réussie ». Donc j’avais besoin de sortir tout ça, ne l’entendant pas assez dans les médias, dans les discours des politiques, ou sur les scènes de théâtre. Mais j’avais envie d’articuler mon discours avec humour, pour inviter les gens à réfléchir avec moi, avec légèreté aussi.
Un média gay ou LGBT tel que TETU n'entre-t-il pas un peu dans le cadre des fameux « replis communautaire » qui jalonne votre spectacle ?
Océanerosemarie : Je soulève brièvement les questions LGBT dans le spectacle parce que j’ai déjà fait un spectacle entier là-dessus et que je ne voulais pas me répéter. Mais pour moi critiquer l’organisation d’une solidarité chez un groupe discriminé relève avant tout de la mauvaise foi ! Les hétéros qui critiquent les replis communautaires des gays c’est aussi honteux et stupide que de parler de racisme anti-blanc. Pour moi on doit d’abord dénoncer le repli communautaire des privilégiés et dominants, qui porte en lui une violence (justement parce qu’il domine) plutôt que le repli communautaire des minorés qui reste avant tout une façon de survire à cette violence qui l’opprime. D’ailleurs dans le milieu LGBT on retrouve ces systèmes de dominations à une échelle plus petite en constatant que les LG peuvent être oppressifs avec les B et T, plus minoritaires encore. Et quand les LG sont aussi blancs et issus de milieu privilégiés, ce système de domination s’applique aussi parfois aux racisés et aux précaires.
Aurez-vous envie de continuer le one woman show après Chatons violents, ou souhaiteriez-vous partir sur de nouveaux projets ?
Je prépare actuellement un long métrage pour le cinéma que nous devrions tourner au Printemps et sortira a priori début 2017. Mais je continue avec les chatons jusqu’en 2018 en parallèle, et pour la suite on verra bien.