Interview - Fishbach : "On aura beau causer, c'est ceux qui aiment qui ont raison"

Par Julie Baret le 12/01/2017
Fishbach Flora Fischbach

Révélation annoncée des Trans Musicales de Rennes, Fischbach - de son vrai nom Flora Fischbach - sort un premier album taillé dans une pop troublante et fascinante.

Flora Fischbach, 25 ans, devenue Fishbach tout court flirte avec le bizarre, le tordu. Une chair de poule addictive qui rappelle une certaine Mylène, et qui envoie un présage étrange. Celui de croiser David Bowie, Catherine Deneuve, ou d'autres Prédateurs dans les dédales obscures. D'embarquer dans le Petit train de Catherine Ringer. L'artiste androgyne souffle une brise ardente sur l'héritage artistique des années 80 et en sort une nouvelle chimère hors du temps, faite de textes désenchantés et d'une électro-pop affolée. Depuis l'électrisant "Petit monstre" et un premier EP sorti en 2015, Fishbach a fait ses armes. En décembre 2016, le programmateur des Rencontres Trans Musicales de Rennes a confié à la jeune prodige les rênes de la création musicale, aux côtés de Rouge Gorge et Moon Gogo. Véritable anti-chambre du succès à la française, la scène a déjà vu passer Gaëtan Roussel, Stromae ou Jeanne Added. Comme ses aînés, Fishbach a assuré. Pour signer une performance de groupe, elle a réuni des copains musiciens, et a bousculé le Théâtre de l'Aire Libre avec sa verve électrique et son univers ténébreux. Aujourd'hui, "Fishbach devient un groupe, mais c'est toujours moi, parce que c'est quand même mon nom". Une artiste prometteuse qui sort son tout premier album le 27 janvier 2017.

Comment Flora Fischbach est-elle devenue Fishbach sans "c" ?

J'avais juste un petit duo punk avant et j'avais envie de donner de moi, sans tout donner de moi. Flora prend soin de Fishbach et Fishbach prend soin de Flora; c'est un peu schizophrène. Ce sont des chansons en français que j'ai composées et arrangées toute seule dans ma piaule, et que je joue sur scène depuis trois ans. Des chansons qui parlent de mort, d'amour, et de choses tristes mais romantiques.

On peut donc être une jeune femme de 25 ans et chanter des chansons eighties en français en 2017 ?

C'est eighties parce que j'utilise des synthés numériques qui sont apparus dans ces années-là. J'ai jamais cherché à recopier quoi ce soit, mais c'est vrai que tout le monde y fait référence. Et ce qui me plait beaucoup dans cette époque, c'est l'audace. On expérimentais des choses, il n'y avait pas non plus de complexe à chanter des paroles beaucoup plus frontales ou beaucoup plus "niaises". Quand j'ai commencé à faire de la musique, je ne voulais pas chanter en français. J'avais peur. Qui chantait en français ? C'était Brel, Edith Piaf, Balavoine, Gainsbourg... Des grands ! Enfin des poètes quoi ! Ou alors ce qu'on appelle la "nouvelle vague française" du début des années 2000. Mais avec internet j'ai découvert des musiques un peu plus obscures, qui n'ont pas eu forcément leurs heures de gloire. Où les mecs chantaient en français de manière totalement décomplexée, sans se fier au code des bonnes et des mauvaises choses qui ont été faites dans la langue française. Maintenant il y a plein de groupes qui se mettent à faire pareil, qui s'inspirent d'époques et d'endroits du monde pour faire leur propre musique. Tout ça en chantant en français. Pas forcément comme comme on l'entend ni comme on l'attend. C'est assez foutrac et assez riche. Aujourd'hui, ça n'existe plus de dire "t'écoutes quoi comme style ?" Le monde maintenant c'est d'écouter de tout ! C'est de prendre du bon partout, c'est de s'influencer de toutes les choses et de toutes les cultures du monde.

Sachant ça, comment décrirais-tu ta propre musique ?

Je dirais que c'est le panel des possibilités des émotions d'une... J'allais dire d'une femme mais pas forcément que ! J'ai mis douze morceaux dans mon album, douze morceaux qui ont chacun leur âme, où j'ai pris des voix différentes, où j'ai voulu accentuer certaines choses. Je dirais donc que c'est une palette d'émotions et d'époques aussi. D'ailleurs, j'aimerais qu'on ne puisse pas réellement daté ce que je fais. Même si c'est connoté 80, il y aussi des choses qui sonnent très années 70, qui sonnent assez "techno nulle" des années 90 et eurodance... C'est un espèce de truc à travers des âges et à travers des couleurs. Cette idée de multitude, de patchwork où il n'y a pas d'unité. Si ce n'est que c'est la même personne qui chante. Mais ce n'est pas que la même personne qui chante...

"J'ai mué comme un garçon quand j'avais 14 ans"

Est-ce qu'on t'as déjà fait des remarques sur ce "décalage" entre ton jeune âge et la maturité de ta voix et de ta musique ?

J'ai toujours traîné avec des gens plus âgés que moi. J'ai des amis qui ont 45 ans, des vrais amis qui ne m'ont jamais d'ailleurs appelé "la gamine" ou quoi que ce soit. Et à côté de ça j'ai des amis de mon âge ou même plus jeune. Je ne sais pas. Je ne sais pas si l'âge joue vraiment. Moi je crois que j'aurai 20 ans toute ma vie et que j'aurai une grosse voix toute ma vie. J'ai mué comme un garçon quand j'avais 14 ou 15 ans et j'ai très vite été autonome : je produis toute seule, je suis partie de chez mes parents à 17 ans. Et arrivé 25 ans je suis la plus immature de tous ! Je joue à la Game Boy, je ne sais pas faire mes impôts... Et donc il y a une maturité et à la fois une non-temporalité. J'espère être toujours la femme que je suis aujourd'hui. Un peu comme le Portrait de Dorian Gray.

Et ton tableau alors où est-il ? C'est ton album ?

Peut-être que c'est ça. D'ailleurs j'ai choisi un portrait pour la pochette - chose que je ne voulais pas trop faire au début. J'ai repensé à ces vinyles que tu prends dans les mains et que tu places devant ta gueule pour faire croire que c'est ton visage. Et je me suis dit "tient, si on faisait ça avec ma gueule."

Justement cette identité visuelle, elle est très ascétique. Est-ce que c'est le message de ton premier album cette espèce d'élagage du superflus ?

Oui car tout ce que je voulais c'était présenter brut le personnage, bien qu'il y a quand même une réflexion autour de ce visuel. Ce côté clair-obscur comme dans les peintures que j'aime beaucoup. Comme la dualité qu'on peut avoir en nous. Il y a un côté un peu hautain dans mon air, et à la fois je dis "à ta merci" ce qui veut dire "coupe moi la gorge". Les yeux pétillent mais le teint est blafard : est-ce que c'est la vie ? Est-ce que c'est la mort ? C'est toutes ces petites dualités que je voulais mettre en avant.

"Au début, Mylène Farmer me dégoûtait. Aujourd'hui, je l'admire"

Lorsqu'on t'écoute, on pense toute de suite à Mylène Farmer ou aux Rita Mitsouko. Comment appréhendes-tu cette comparaison ?

Au début ça fait bizarre ! La première fois qu'on m'a dit "dis donc, vous avez du beaucoup écouter Catherine Ringer !" j'avais simplement répondu "C'est qui ?". Parce que mes parents avaient rapidement écouté "Marcia Baila" mais c'est tout. Et quand j'ai découvert j'ai adoré. Mais je ne suis pas mise à chanter comme ça parce qu'elle chantait comme ça. Je me suis mises tout simplement. Par contre, Mylène Farmer, elle me dégouttait. Vraiment une répulsion. J'ignore pourquoi elle me faisait un tel truc. J'avais une super nourrice quand j'étais petite, vraiment la maman respectable, très droite, bienveillante, etc. Et elle était fan de Mylène Farmer. Mais pour moi ça ne collait pas ! Je la voyais à fond devant les clips de "Libertine" avec des trucs en cuir. Pour moi ça ne marchait pas : maman, Mylène, non. Et depuis quelque temps, j'admire Mylène Farmer pour plein de raisons. Je n'aime pas toute sa musique par contre j'aime énormément le personnage, tout ce qu'elle a créé, la fascination. Et puis surtout, elle m'a fait quelque chose Mylène. J'avais une espèce d'attraction-répulsion comme un enfant qui voit un monstre, qui se cache les yeux mais qui entrouvre les doigts pour regarder. Et j'ai un profond respect pour cette femme qui sans promo sans rien remplit des stades. Que ce soit du mal ou du bien, Mylène, tu ne peux pas passer à côté. Moi par exemple, beaucoup de gens m'ont dit qu'ils n'aimaient pas ma musique à la première écoute. Même mon attachée de presse. Je n'en veux pas à ceux qui n'aiment pas, qui me trouvent insupportable, qui trouvent que j'en fait des caisses. J'espère juste qu'ils sauront se dire que ça ne les laisse pas indifférents.

T'aimes chanter mais tu aimes aussi partager ce que tu fais, puisque tu as déjà animé des ateliers de musique à destination des personnes âgées n'est-ce pas ?

Ma maman bosse en maison de retraite depuis toujours. Je l'accompagnais et même je l'aidais, le mercredi, quand je n'avais rien à faire après l'école. J'ai toujours cru que la musique, les gens en avait besoin. Et ces personnes-là, en maison de retraite, elles en avaient besoin. Au début je n'intervenais que pour chanter mais je voyais qu'elles avaient envie de participer, même si elles ne savaient pas comment le dire. Alors j'ai monté un atelier, d'abord pour les faire chanter mais elles étaient toutes Alzeihmer ; c'était un peu ambitieux. Par contre, on faisait des exercices de prononciation, des vocalises, des jeux du corps. Des choses extrêmement simples mais qui leur faisait regagner confiance en eux et ouvrir la bouche, parce que certains ne voulaient même plus parler. J'ai dû arrêté parce que Fishbach a pris un tournant auquel je ne m'attendais pas. Mais si tout s'arrêtait là, j'ai déjà un plan B : je monterais ma boîte avec ma maman. Parce que c'est bon de se sentir utile pour les autres et d'apporter de la joie aux gens. De se dire "voilà, je suis dans ce monde-là, et j'y participe."

"J'ai jamais connu un public plus incroyable qu'en soirée lesbienne"

En parlant d'engagement, t'es dans le même label que Bagarre qui s'est produit à la Marche des fiertés parisiennes cette année. Est-ce que tu partages cet engagement en faveur de la communauté LGBT ?

Absolument ! Un jour je discutais avec Judah Warsky, un artiste que j'aime beaucoup, on parlais de culturel et il m'a dit : "Tu sais Flora, on aura beau causer, c'est ceux qui aiment qui ont raison". Et je trouve ça absolument juste. Bon ça ne marche pas pour tout évidemment. Mais moi je suis pour l'amour et pour les libertés. Merde ! Chacun fait ce qu'il lui plait. Et il y a des combats qui doivent être menés. Je trouve ça aberrant qu'il y ait encore de l'homophobie en France. J'ai déjà joué pour des soirée lesbiennes et je n'ai jamais vu un public aussi incroyable de ma vie ! Complètement oufissime, d'une fidélité incroyable... Ils sont géniaux. Après je n'aime pas trop le communautarisme en général - et je ne suis pas non plus une engagée - mais si on m'avait invité à la Marche des fiertés je serais venue avec plaisir. J'aurai porté les couleurs et j'aurai porté le drapeau.

"Je ne suis pas là pour faire bander les mecs"

D'autant qu'avec ta musique hors des cases et ce côté androgyne que tu cultives, on pourrait presque dire que tu es un artiste queer.

Pour moi c'est un honneur. Mylène avait ce côté-là aussi. Et justement je trouve qu'en ne se positionnant pas, en étant complètement asexué, c'est là qu'on voit la personne. Moi je ne suis pas une fille qui est là pour être bonne ou pour faire bander les mecs. On aime l'artiste dans sa globalité, homme ou femme ou dans ce truc où on ne sait pas trop. Entre les deux. Moi ça me plait beaucoup, et j'aime beaucoup les garçons qui chantent très très haut perché et les filles qui vont chanter très très bas, parce que c'est prendre à revers certaines choses. Mais j'aime aussi les filles qui sont très féminine et les garçons qui sont très masculins. Il y a plein de choses, mais c'est vrai que les personnages un peu entre-deux... Mykki Blanco par exemple ! Il est pas incroyable lui ? Moi je ne sais pas où le foutre. Il me fait un truc ce mec, et ça fait du bien de se requestionner un petit peu dans sa position.

Sur Facebook tu as raconté à tes fans que tu avais enregistré "A ta merci" d'une seule traite ?

"A ta merci" à la base, je ne la faisais qu'en guitare-voix. Je ne l'avais jamais vraiment enregistrée et je ne voulais même pas la mettre sur l'album. Finalement, on l'a fait mais je ne voulais pas me prendre la tête ; il fallait que ça reste brut. Alors je l'ai chantée allongée dans le studio. On a essayé plusieurs prises de voix et on s'est rendu compte que c'était le mieux, quand j'étais complètement affalée par terre. Je voulais un truc un peu mal branlé parce que la difficulté et la douleur c'est bien aussi. Les faussetés, les erreurs, les imperfections je voulais qu'il y en ait aussi sur ce disque. Et "A ta merci" pour moi, c'est une imperfection.

Fishbach sera en concert à la Cigale le 14 mars prochain.
Fishbach Flora Fischbach
 
Couverture : © YANN MORRISON