Victime d'agressions verbales et physiques depuis plus de deux ans, Lyès Alouane, 23 ans, vit un enfer. Il y a deux ans, cet enfant de Gennevilliers, en banlieue parisienne, a décidé d'afficher son homosexualité. Il témoigne depuis de la difficulté de s'assumer dans une ville qu'il qualifie de « no go zone » pour les LGBT+. À l'origine de plusieurs projets pour lutter contre les LGBTphobies à Gennevilliers, Lyès espère bien être entendu par les pouvoirs publics. TÊTU l'a rencontré pour notre série « Queertopie », consacrée à celles et ceux qui œuvrent au mieux-être des personnes LGBT+.
Son nom ne vous dit peut être rien, mais Lyès Alouane est connu de tous et de toutes dans la ville de Gennevilliers (92), en banlieue parisienne. Connu par ses agresseurs qui l'ont fréquenté à l'école primaire ou au collège. Connu par celles et ceux que lui ne reconnait pas et qui le pointent du doigt dans la rue en disant : « t'as vu c'est lui le PD ! ». Connu très certainement, aussi, par d'autres jeunes homosexuel.le.s qui choisissent de ne pas assumer leur orientation sexuelle, qui « se terrent, comme des souris ». Un sentiment qu'il connait bien, car lui aussi a vécu « dans une grotte ». Calfeutré.
Jusqu'au jour où il a décidé de s'afficher au grand jour. Une photo de lui avec son petit-ami de l'époque publiée sur Facebook aura suffi a faire de sa vie « un enfer ». Mais le jeune homme ne se laisse pas faire, bien au contraire. Il est à l'origine de plusieurs initiatives pour défendre les droits LGBT+ dans sa ville. Du jamais vu.
« On veut pas de toi ici, sale PD »
Déjà au collège, Lyès Alouane se faisait insulter à cause de son « physique efféminé ». Le jeune homme a même réussi à se persuader qu'il allait se marier avec une femme, « pour rentrer dans les cases ». Un « formatage en règle », selon lui. Il se rend finalement compte qu'il est homosexuel et finit par s'accepter. Puis il rencontre quelqu'un et décide d'afficher son amour au grand jour, sur Facebook. C'est à ce moment que sa vie a basculé.
« Je me suis fait agresser verbalement et physiquement dès la publication de la photo sur le réseau social. Dans la rue, les gens ont commencé à me reconnaître et à m'empêcher de passer dans certains quartiers de ma ville. Ils me disaient 'pourquoi tu passes par là, on veut pas de toi ici, sale PD'. »
De jours en jours, les agressions se font plus insistantes, plus violentes aussi. « On me crache dessus, on me balance des bouteilles en verre à la figure. Je suis tombé dans un guet-apens qui m'a causé quatre points de suture et cinq jours d'interruption temporaire de travail », confie-t-il, depuis au chômage. Et puis, on s'attaque à sa famille, notamment à sa soeur de trois ans sa cadette, qui a dû changer de lycée car victime de harcèlement. Aujourd'hui elle ne veut plus adresser la parole à son frère.
« Les jeunes de Gennevilliers me menacent constamment, c'est au moins trois à quatre fois par semaine, encore aujourd'hui, plus de deux ans et demi après avoir publié cette photo sur Facebook. C'est insupportable », clame-t-il. Et selon ce membre de l'association Stop Homophobie, les pouvoirs publics sont aux abonnés absents. À ce jour, Lyès a déposé une quinzaine de plaintes, toutes classées sans suite, comme il l'expliquait dans un précédent article de TÊTU. « Il m'est arrivé d'avoir des idées noires. J'ai l'impression de vivre dans une 'no go zone' », lâche-t-il dans un soupir.
Montrer que les LGBT+ existent
Tandis que le sentiment d'abandon se fait de plus en plus virulent, la colère le rattrape. « On m'a dit tellement de fois 'dégage, casse toi d'ici', que ça a fini par me mettre en rogne. Je me suis dit : non. Je suis chez moi, je suis français, je suis homosexuel, j'ai le droit de passer partout. » Lyès lance un appel à rassemblement sur le parvis de la mairie de Gennevilliers, le 9 novembre dernier. Un cri de rage pour montrer que les personnes LGBT+ existent.
Il sera soutenu par plusieurs associations comme l'InterLGBT ou Stop Homophobie. Au total, une trentaines de personnes étaient présentes ce samedi 10 novembre, dont le maire de la ville accompagné par trois adjoints. Lyès s'attendait à « un peu plus », mais ce n'est pas grave.
« J'étais un peu déçu sur le coup, mais je me dis que les gens n'ont pas l'habitude de ce genre de rassemblements et que c'est bien de l'avoir fait. C'est une première et c'est surtout symbolique, ça permet de montrer qu'on existe. »
Un événement que le jeune homme compte bien réitérer ailleurs en banlieue. « Bondy, Saint-Denis, Bobigny, sont des villes dans lesquelles j'aimerais beaucoup organiser de tels rassemblements », explique-t-il.
La machine est lancée. Lyès, lui, toujours très en colère. Le sentiment de vivre dans un territoire « abandonné » dans lequel « personne ne fait rien », ne le quitte plus.
« À Paris on peut être visible, même si on risque de se faire agresser. Ici c'est impossible. L'homosexualité est taboue, elle n'existe pas. C'est le Moyen-Âge. »
« Nos banlieues ne sont pas des placards »
Changer la donne. Faire en sorte que la honte change de camp. Voilà l'objectif de Lyès qui ne veut plus céder à ses bourreaux. Le jeune homme s'est récemment fait interdire d'entrer dans un quartier de la ville, la cité du Luth. Soit. Il ira donc y faire une opération de tractage d'ici la fin de semaine, avec des militants de Stop Homophobie. « Je compte rentrer dans la cité, même si je prend un risque. Je vais aller dans les tours pour y déposer des tracts dans les boîtes aux lettres. J'ai un peu peur mais si je devais faire en fonction de ça, je ne ferais jamais rien. »
Sur les tracts, Lyès a inscrit son slogan : « Nos banlieues ne sont pas des placards. » La ligne d'écoute de Stop Homophobie figure en bas.
Une opération très importante pour le jeune homme, qui espère toucher d'autres personnes LGBT+.
« Je veux me rapprocher de ces jeunes. Leur dire d'appeler les lignes d'écoute, de choisir de se défendre plutôt que de ne rien faire. C'est en en parlant qu'on va pouvoir régler ce problème. »
Fuir à contre coeur
D'autres projets sont en cours de réflexion. Une campagne d'affichage dans les rues de sa ville, avec un numéro d'urgence pour les victimes. Mais aussi la création d'un centre LGBT au sein d'une structure jeunesse. L'objectif affiché est d'accompagner les victimes de LGBTphobies en leur mettant à disposition un réseau d'avocats et de psychologues LGBTfriendly qui travaillent déjà avec Le Refuge ou Stop Homophobie.
« C'est important de créer un lieu de ce type à Gennevilliers, car cela va permettre de sortir les jeunes de leur grotte et de les visibiliser. En montrant qu'on est là et qu'on ne changera pas, on aura déjà fait un grand pas dans la lutte contre l'homophobie dans les banlieues », abonde-t-il.
Malgré tout, Lyès est las. Il s'est encore fait agresser il y a deux jours. « Je me suis fait cracher dessus par un homme. Tout cela est tombé dans la banalisation la plus totale. Je suis consterné », soupire-t-il. À la question de savoir s'il souhaite déménager, Lyès répond : « Je ne veux pas déménager, je veux fuir. C'est contre mon gré, mais je privilégie ma santé physique et mentale au fait que j'aimerais rester vivre dans ma ville ». Il continuera de s'engager pour la lutte contre l'homophobie dans sa banlieue : « Cela ne fait que commencer, et comme les pouvoirs publics ne font rien, il va bien falloir que quelqu'un tente de régler ce problème, avant que la situation n'empire encore plus ».
Chaque mercredi, retrouvez «NRV ET TÊTU », la chronique de TÊTU dans « Le Nouveau Rendez-Vous », l’émission de Laurent Goumarre sur France Inter. Ce 21 novembre, elle est consacrée au témoignage de Lyès Alouane :
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Crédit photo : Marion Chatelin.