GPAGPA : pourquoi la décision du tribunal de Nantes n'est pas forcément historique

Par Rozenn Le Carboulec le 30/05/2019
GPA

Le tribunal de grande instance de Nantes a reconnu, le 23 mai dernier, la "mère d'intention" d'un enfant né de GPA à l'étranger. Une première ? Les avis des avocats divergent sur la question.

"Une première en France." C’est ainsi qu’a été présentée, dans de nombreux médias, la reconnaissance, par le tribunal de grande instance (TGI) de Nantes, le 23 mai, de la “mère d’intention” d’un enfant né via une gestation pour autrui (GPA) aux Etats-Unis. Mais dans les faits, c’est un peu plus compliqué. En démontrent, ces derniers jours, les désaccords de plusieurs avocats à ce sujet.

Une évolution "inédite" ?

"C’est la toute première affaire de ce type", affirme Matthias Pujos, avocat qui a défendu le couple et leur fille de trois ans. Pour lui, il s’agit d’une évolution “totalement inédite”. Mais concernant une configuration bien particulière : dans cette affaire, la mère dite “d’intention” (qui n’a pas porté l’enfant) a transmis ses gamètes à la femme porteuse. “La fillette a donc un lien génétique avec le père ‘biologique’, mais également avec la mère d’intention”, décrit-il.

En se prononçant pour la transcription intégrale (des deux parents) de l’acte naissance étranger, le TGI de Nantes a estimé que la solution de l’adoption n’était pas envisageable pour ce couple : “Pourquoi voulez-vous que la mère d’intention doive adopter son enfant alors qu’il a un lien biologique avec elle ? Ça n’a pas de sens”, complète Matthias Pujos.

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"Le lien génétique n’a aucun impact"

Or, pour son confrère Florent Berdeaux‏, co-président de l’association des avocats LGBT et spécialiste en droit de la famille, cette décision ne présente strictement aucune nouveauté. "Cela fait des années que le TGI de Nantes résiste à la Cour de cassation, en statuant sur la transcription totale de l’acte de naissance." A contrario, la plus haute juridiction française se prononce en effet systématiquement pour une transcription uniquement partielle (du père biologique). S'il s’agit donc peut-être, à ses yeux, de la première affaire de ce type, "le lien génétique n’a aucun impact sur la décision". "Il se trouve que la mère d’intention est aussi la mère biologique, mais ça ne change rien", insiste-t-il, affirmant que le TGI de Nantes aurait, dans tous les cas, reconnu la filiation des deux parents, en se fondant sur le simple fait qu’ils sont désignés en qualité de parents sur l’acte de naissance étranger.

Seul intérêt de ce jugement pour l'avocat ? "C’est le premier qui statue de nouveau après l’avis de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH)". Dans cette décision, rendue le 10 avril dernier, cette dernière impose la reconnaissance du parent d’intention d’un enfant né de GPA à l’étranger, mais laisse les modalités de reconnaissance de cette filiation à la discrétion des Etats, en favorisant notamment la voie de l’adoption. 

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"Un dossier-pilote" ?

Pour Matthias Pujos, il s’agit bel et bien "d’un dossier-pilote" en matière de GPA. "Nous sommes très confiants dans le fait que la jurisprudence de la Cour de cassation devrait évoluer en reprenant à son compte la solution du TGI de Nantes pour des affaires similaires à la nôtre : précisément car la mère d'intention, qui ne pouvait ici tomber enceinte pour des raisons médicales, est bien la mère biologique de l'enfant né sous GPA en raison du don de gamètes à la mère porteuse." Selon lui, la justice n’avait, jusqu’alors, jamais eu affaire à des configurations similaires. Et la Cour de cassation n’aura, en conséquence, "pas d’autre choix que d’approuver la retranscription intégrale" à l'avenir pour ce type de cas.

Une analyse que ne partage pas du tout Florent Berdeaux, qui répète que le lien génétique n’a aucune incidence sur la décision de justice, puisque le droit français ne reconnaît une mère qu’à travers l’accouchement : « Le tribunal prend bien soin de viser le fait que la maternité d’intention correspond à la réalité juridique (c’est-à-dire à ce que l’acte de naissance expose) et ne fait qu’ajouter, comme un détail, que, certes, en l’espèce, c’est aussi la mère génétique ».

Il reconnaît néanmoins un intérêt à ce jugement particulier : "S’il devait y avoir une situation pour laquelle cela pourrait faire infléchir la situation de la Cour, c’est pour les cas où le parent biologique n’est pas français (ce qui est le cas dans cette affaire)." Il ajoute : "Car il n’y a ici aucune possibilité de transcription partielle, ni, par conséquent, d’adoption postérieure. L’application stricte de l’avis de la CEDH imposait donc de trouver une autre solution, et le TGI de Nantes considère alors que cette solution ne peut être que la transcription totale"

Pour les couples gays, en tout cas, cette décision ne devrait rien changer dans l’immédiat. Même si Matthias Pujos est optimiste : "S’il y a appel, il y a aura un pourvoi en Cour de cassation qui pourra, à la faveur de ce dossier, peut-être assouplir sa position pour les couples hétérosexuels et homosexuels sans transmission génétique". Mais la justice semble avoir encore un bout de chemin à parcourir d’ici là.

Crédit photo : Pixabay/Creative Commons.

Article mis à jour le 31 mai à 12h10.