L'actrice Adèle Haenel accuse le réalisateur Christophe Ruggia "d'attouchements et de harcèlement sexuel" lorsqu'elle était âgée de 12 à 15 ans. Retour en cinq questions sur un témoignage poignant qui a bousculé la France.
C'est un témoignage puissant. Dans une longue enquête de notre consoeur de Mediapart Marine Turchi, publiée dimanche 3 novembre, l'actrice française Adèle Haenel accuse le réalisateur Christophe Ruggia "d'attouchements et de harcèlement sexuel". C'est lui qui lui avait donné son premier rôle au cinéma dans "Les Diables", en 2002. La jeune femme assure que les faits se sont déroulés alors qu'elle avait entre 12 et 15 ans. Têtu fait le point sur cette enquête.
1/ Quels sont les faits relatés par Adèle Haenel ?
Le 3 novembre dernier, Mediapart publie un article intitulé "#Metoo dans le cinéma : l'actrice Adèle Haenel brise un nouveau tabou". Une enquête de Marine Turchi, publiée sept mois après sa première rencontre avec l'actrice en avril dernier. Elle accuse alors le réalisateur Christophe Ruggia, qui lui a donné son premier rôle en 2002 dans "Les Diables", "d'attouchements et de harcèlement sexuel".
Outre le témoignage de l'actrice, Marine Turchi a examiné plusieurs documents écrits (lettres, journal intime...etc) et rencontré une trentaine de témoins, dont une vingtaine sont cités dans l'article (tous nommément). Plusieurs d'entre eux décrivent un Christophe Ruggia "tout puissant", "vampirisant" ou encore "invasif". La comédienne Hélène Seretti, engagée comme coach des acteurs sur le tournage, assure que le réalisateur "collait trop" l'adolescente. "Il était tactile, mettait ses bras sur ses épaules, lui faisait parfois des bisous."
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Selon Adèle Haenel, c'est après le tournage que leur relation aurait "glissé vers autre chose". Ils se seraient vus régulièrement le week-end, dans l'appartement du réalisateur, sous prétexte, notamment, de parfaire la culture cinématographique de la jeune fille. "Il venait sur le canapé, me collait, m’embrassait dans le cou, sentait mes cheveux, me caressait la cuisse en descendant vers mon sexe, commençait à passer sa main sous mon T-shirt vers la poitrine, explique l'actrice à Mediapart. Il était excité, je le repoussais mais ça ne suffisait pas, il fallait toujours que je change de place."
Une version en partie confirmée par l'ex-compagne de Ruggia, Mona Achache, a qui le réalisateur aurait raconté cette scène, confiant même avoir "des sentiments amoureux pour Adèle". Un peu plus loin dans l'article, l'actrice assure que des gestes similaires se seraient reproduits lors de festivals internationaux à Yokohama (Japon), Marrakech (Maroc) ou Bangkok (Thaïlande).
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Dans son témoignage, elle explique également que Céline Sciamma, avec qui elle a vécu une histoire d'amour, a été l'une des premières à qui elle en a parlé. La réalisatrice, alors âgée de 27 ans, l'aurait encouragé à "ne pas faire silence là-dessus, ne pas rester dans l’impunité, prendre la parole". "L’idée émerge d’en parler à Christophe Ruggia, mais aussi aux responsables autour de lui, et aux gens qui nous entourent", ajoute-t-elle à Mediapart.
2/ Qu'a répondu Christophe Ruggia ?
Dans un premier temps, le réalisateur a répondu par le truchement de ses avocats Jean-Pierre Versini et Fanny Colin le 30 octobre, soit quelques jours avant la publication de l'article. "Je souhaite (...) que vos lecteurs sachent que je réfute catégoriquement avoir exercé un harcèlement quelconque ou toute espèce d’attouchement sur cette jeune fille alors mineure." Comme l'a indiqué Marine Turchi dans une interview filmée le 4 novembre dans les locaux de Médiapart, elle avait envoyé "seize questions détaillées" au réalisateur, notamment pour savoir pourquoi il avait publié sur Facebook une photo d'Adèle Haenel accompagné d'un coeur un mois plus tôt.
Ce mercredi 6 novembre, le réalisateur a finalement demandé un droit de réponse à Mediapart. Il commence par retracer l'histoire de leur rencontre, évoquant notamment une "relation particulière qui nous a unis autour de notre amour commun du cinéma a duré plusieurs années". Avant d'affirmer : "Je n’ai jamais eu à son égard (...) les gestes physiques et le comportement de harcèlement sexuel dont elle m’accuse, mais j’ai commis l’erreur de jouer les pygmalions avec les malentendus et les entraves qu’une telle posture suscite (..) A l’époque, je n’avais pas vu que mon adulation et les espoirs que je plaçais en elle avaient pu lui apparaître, compte tenu de son jeune âge, comme pénibles à certains moments. Si c’est le cas et si elle le peut je lui demande de me pardonner."
3/ Pourquoi Adèle Haenel ne porte-elle pas plainte ?
Dans une interview en direct, réalisée au lendemain de la publication de l'article de Médiapart, Adèle Haenel est revenue pendant plus d'une heure sur cette affaire. Elle a notamment expliqué pourquoi elle refusait de porter plainte, bien que les faits ne soient pas prescrits. "Je n’ai jamais pensé à la justice car il y a une violence systémique qui est faite aux femmes dans le système judiciaire. C’est aussi de ça dont il faut parler (...) Je crois en la justice mais elle doit se remettre en question pour être représentative de la société."
.@NBelloubet "choquée" par les révélations de #AdèleHaenel : "Elle a tort de penser que la justice ne peut pas répondre à ce type de situation" #harcèlementsexuel #violencesfaitesauxfemmes@LeaSalame #le79Inter pic.twitter.com/EAfFCwnXsR
— France Inter (@franceinter) November 6, 2019
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Interrogée à ce sujet ce mercredi 6 novembre, la ministre de la Justice et Garde des Sceaux Nicole Belloubet a estimé qu’Adèle Haenel "devrait saisir la justice". "Elle a tort de penser que la justice ne peut pas répondre à ce type de situations", a-t-elle expliqué au micro de France Inter, saluant au passage le caractère "très courageux" de sa démarche de témoigner.
4/ Pourquoi la justice a-t-elle quand même ouvert une enquête ?
Quelques heures après l'intervention de Nicole Belloubet sur France Inter, l'AFP a appris de source judiciaire que le parquet de Paris avait ouvert une enquête des chefs d'"agressions sexuelles sur mineure de 15 ans par personne ayant autorité" et de "harcèlement sexuel".
Pourtant, l'actrice n'a pas porté plainte. En fait, c'est le parquet de Paris qui a finalement décidé de s’autosaisir du dossier. La ministre de la Justice avait pourtant jugé qu'il était "difficile" pour le parquet de se saisir d'un tel dossier. L’enquête a été confiée à l’Office central de la répression de la violence faite aux personnes (OCRVP).
5/ Quelles ont été les réactions politiques et médiatiques ?
Le témoignage d'Adèle Haenel a entrainé de nombreuses réactions. Au lendemain de la publication de l'article, la Société des réalisateurs de films (SRF), une association professionnelle de cinéastes qui compte quelque 300 adhérents, a annoncé la radiation de Christophe Ruggia. Elle a assuré à l'actrice "son soutien total, son admiration et sa reconnaissance. "Nous tenons à lui dire que nous la croyons et que nous en prenons acte immédiatement, sans nous dérober à notre propre responsabilité."
La SRF apporte son soutien total à Adèle Haenel. @Mediapart @marineturchi #AdeleHaenel Communiqué: pic.twitter.com/VQ9XehYyBv
— LaSRF (@LaSRF1968) November 4, 2019
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Adèle Haenel a reçu le soutien de plusieurs de ses consoeurs, dont l'actrice oscarisée Marion Cotillard. "Ton courage est un cadeau d’une générosité sans pareil pour les femmes et les hommes, pour les jeunes actrices et acteurs, pour tous les être abimés qui savent maintenant grâce à toi qu’ils n’ont pas a subir cette violence", a-t-elle écrit sur Instagram avant de la remercier.
Crédit photo : wikimedia commons.