Depuis son coming-out, les relations de Franck avec son père était compliquées. Et puis, au fur et à mesure, leur relation s'est améliorée. Jusqu'à cette Marche des Fiertés qu'il n'est pas prêt d'oublier...
"Je m'appelle Franck, j'ai 18 ans. Je viens de finir mes épreuves de bac, je crois que ça s'est bien passé. Pourtant ce n'était pas gagné, parce que j'ai beaucoup souffert dans ma scolarité. Au début du collège, je me suis fait harceler, tabasser parce que j'étais homo. Je me revois, du sang plein le visage, rampant sur le bitume de la cour de récréation. Nous habitions Porto-Vecchio à l'époque. Peu après ça, mes parents ont décidé de déménager sur le continent.
Une première pride inoubliable
J'ai fait mon coming-out en 2016. J'avais alors 14 ans et demi. Ma mère a fait semblant de ne rien comprendre, elle disait que c'était une mode, une lubie de ma génération. Mon père, c'est le stéréotype du paternel viril. Il voulait me voir jouer au foot. Du coup il a arrêté de me parler un moment, mais avec le temps, il s'est radouci, même si je sais qu'il avait toujours l'espoir de me voir devenir hétéro.
En 2017, ils ont accepté de m'emmener à la marche de Marseille. Dans la voiture, je portais sous mes vêtements un mini-short rouge, des bretelles et un noeud papillon de la même couleur. C'était comme une métaphore : j'étais obligé de cacher qui j'étais, de me conformer à ce que mes parents attendaient de moi. Une fois que j'ai enlevé ce costume, dans le cortège, c'était comme une libération. Crier, chanter, rire sans jugement, être soi le temps d'une marche et se sentir soutenu... La première pride, c'est comme la première fois : on s'en souvient toujours.
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"Mon fils n'est pas un monstre"
Mais quelques semaines plus tard, pour la Pink Parade de Nice, l'expérience s'avère différente. Après les attentats qui ont frappé la promenade des Anglais, toutes les manifestations sont extrêmement encadrées. Nous sommes fouillés, enfermés sur une place entourée de grillages. Les touristes nous prennent en photo de l'autre côté, comme dans un zoo. A la fin de la journée, j'ai honte. J'ai l'impression d'être une bête de foire. Ma mère, qui a assisté au spectacle est en larmes. "Mon fils n'est pas un monstre, il est comme les autres." J'ai su qu'elle commençait à comprendre.
Pour mon père, c'est plus compliqué. Il m'a vu en train d'embrasser un garçon. Une dispute éclate : il m'annonce que plus jamais, il ne m'accompagnera à une Pride.
Et puis finalement, l'année dernière ils m'emmènent tous les deux à la marche de Marseille, et décident de m'attendre à l'arrivée, sur le port. Je suis derrière le camion de tête, décoré aux couleurs du drapeau LGBT, je danse, je chante et je ris : je suis fier. Mais je ne suis pas le seul. Alors que le cortège arrive sur le port, je reçois un message de ma mère qui me dit « nous sommes dans la foule. » A ce moment là, j'ai compris que quelque chose avait changé. Qu'ils n'étaient pas là pour visiter le port. On se tombe tous les trois dans les bras, en larmes. « On pleure parce qu’on est fiers de toi » me dit ma mère.
"Je te soutiendrai toujours"
Mais c'est le 4 août 2018 qui restera à jamais gravé dans ma mémoire. De nouveau à la Pink Parade de Nice. La chaleur était harassante, mais je dansais quand même, en suivant le cortège. Et puis j'ai entendu quelqu'un dire "et maintenant, Jean-Pierre Colacicco veut faire un discours." C'est le nom de mon père. Je l'ai vu monter sur le char derrière lequel je dansais, devant les centaines de personnes qui étaient là. Je fonds en larmes. Il attrape le micro, et commence à dire tout ce que je n'aurais jamais espéré qu'il me dise.
"J'ai voulu faire une surprise à mon fils qui est présent avec vous, il a 17 ans, il a beaucoup souffert durant sa scolarité où il a été agressé, humilié par des jeunes qui s'en prenaient à lui gratuitement ! Il a vécu des moments très difficiles mais il a toujours gardé la tête haute car il est d'une intelligence extraordinaire. Cette méchanceté des autres, il a su en faire sa force, son courage. Pour moi, c'est un exemple, et aujourd'hui je veux lui dire que je l'aime très fort, je serai toujours là à ses côtés, je te soutiendrai toujours, vis ta vie, reste comme tu es, toi même, sois heureux, continue à nous rendre fier !"
Au milieu du discours, il a du s'arrêter pour pleurer. Je suis monté le rejoindre, je l'ai pris dans mes bras. La foule nous a applaudi tellement fort. Toute la ville semblait vibrer. Quatre ans après mon coming-out, je ne ressentais enfin plus aucune honte. C'était tout ce qu'il me manquait."
Vous pouvez suivre Franck sur sa chaîne Youtube, "Un Garçon Stupide".
Crédit photos : Franck Colacicco