Réforme de la justice : "On doit interdire la possibilité de consigner l'orientation sexuelle!"

Par Nicolas Scheffer le 08/07/2020
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La réforme de la justice prévoit la création d'un dossier pénal numérique. L'orientation sexuelle des justiciables - et notamment des victimes - pourra y être consignée. Les associations y voient un "flicage inutile".

Quatre associations de défense des droits LGBT+ (Mousse, Stop Homophobie, ADHEOS et Familles LGBT+) ont déposé un recours devant le Conseil d'État contre une disposition de la réforme de la Justice votée entrée en vigueur le 25 juin. Elles regrettent la possibilité offerte aux enquêteurs d'inscrire l'orientation sexuelle d'une personne dans un dossier pénal. L'avocat des associations, Étienne Deshoulières, répond aux questions de Têtu.

Vous dénoncez la création d'un dossier pénal numérique permettrait la consignation de l'orientation sexuelle des justiciables. Comment est-ce possible ? 

Avant, lorsqu'un avocat, un juge du siège ou un autre magistrat voulait accéder à un dossier, il devait se rendre au Palais de justice. Pour rendre la procédure plus efficace, un décret prévoit la création d'un dossier pénal numérique (DPN). Il doit permettre de transférer des pièces facilement. Ce décret prévoit la possibilité de l'inscription de l'orientation sexuelle dans ce dossier. C'est aux forces de l'ordre ou aux magistrats d'interpréter de l'utilité de l'atteinte à la vie privée. Mais les enquêteurs ne sont pas assez formés sur les questions d'atteinte à la vie privée. Une ligne claire doit être tracée, elle doit aller dans le sens de la protection des personnes. Le décret doit non seulement retirer la possibilité de consigner l'orientation sexuelle, mais même l'interdire !

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Cette inscription ne pourrait-elle pas être utile pour caractériser l'homophobie d'un délit, par exemple ? 

L'orientation sexuelle d'une personne n'est jamais un élément constitutif d'une infraction. On n'a pas à demander à une victime si elle est homo, bi ou autre ! Ce qui nous intéresse, c'est ce que pense l'agresseur. Une injure homophobe reste homophobe que vous soyez LGBT+ ou non. Les seuls cas où l'orientation sexuelle peut avoir un intérêt, c'est si elle porte sur l'auteur ou un complice présumé d'un crime à caractère sexuel. Par exemple, dans une affaire de pédophilie. Dans les autres cas, c'est un flicage inutile qui peut conduire à des discriminations.

Vous craignez l'instauration de fichiers de personnes LGBT+. Pourquoi ? 

Ce ne serait pas un fichier comme il y a pu en avoir de la police de Paris au milieu du XIXè siècle. En revanche, il y a des failles importantes de sécurité. Actuellement, au tribunal judiciaire de Paris par exemple, pour obtenir des pièces, les avocats doivent fournir une clef USB, qui est utilisée pour le transfert. Or, l'Anssi (l'agence de sécurité des systèmes d'information) dit clairement que c'est une pratique qui est fortement risquée. Actuellement, il y a un risque de vol de données. Imaginez qu'un pays comme la Russie ait accès à l'orientation sexuelle des justiciables, cela pourrait mettre en danger la vie de LGBT+. Des hackers pourraient demander une rançon pour restituer de telles données. Ne mettons pas en danger des personnes en consignant des données inutiles pour l'enquête.

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