Marche des fiertésA Marseille, les bars gays et lesbiens se battent pour leur survie

Par Elodie Hervé le 28/07/2020
marseille

Peu nombreux et assez discrets, dans la cité phocéenne, les lieux LGBT comptent sur la solidarité pour boucler la saison.

Des notes d’électro envahissent la ville. Une soirée DJ sur un bateau, une terrasse qui s’étale sous les feuilles des arbres, un pique-nique organisé par un bar… A l'exception du gel hydroalcoolique distribué et du masque porté sur le coude, à Marseille on oublierait presque l’épidémie de Covid-19. Presque. Parce que les dettes se sont accumulées. 

“En général l’été, on a beaucoup de touristes étrangers, raconte Charles, gérant du Play bar. Ce soir, ce ne sont que des habitués”. Un verre à la main, le regard au loin, il raconte les derniers mois, la fermeture, les pertes financières, l’envie de réouvrir, et la crainte du Covid-19. Mais sans terrasse ni extérieur, son bar est resté fermé jusqu’à fin juin. “

Depuis, les clients sont vraiment au rendez-vous, le redémarrage est très bon, continue Charles. Beaucoup de gays viennent et consomment plus pour nous soutenir et nous permettre de garder la tête hors de l’eau. Y’a une vraie solidarité, ça fait chaud au cœur !”. 

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Le bar dansant

A cette consommation solidaire s’ajoute celle d’un nouveau public : celui des boîtes de nuit. “On récupère une partie de cette clientèle”, explique Romain, fondateur du Pulse, un bar situé au cours Julien. “Aujourd’hui, on a des hétéros qui viennent prendre des verres en terrasse chez nous parce qu’on est ouverts jusqu’à 2h du matin.”

En trois ans, l’espace lounge à l’étage et sa piste de danse au rez-de-chaussée avaient trouvé leur public. Aujourd’hui, les lumières fluo et le DJ ont été remplacés par une enceinte qui lance de l’électro vers la terrasse. “J’ai obtenu des aides de l’Etat, mais clairement ça couvrait pas les frais, détaille-t-il. Personne n’a fait de cadeau. Ni les assurances, ni le bailleur. On va pas se mentir, j’ai été aidé par les commerçants du coin, par les voisins et par le coiffeur d’à côté. Ce sont eux, en partie, qui m’ont permis de passer ces derniers mois.” Car si son employé était au chômage partiel, lui comme gérant n’a pas pu se verser de salaire. 

Le regard songeur, il décrit les difficultés de lancer un bar à Marseille. Entre les fermetures administratives parce que les voisins se plaignent du bruit, l’ambiance pas toujours très LGBT friendly et le Rainbow que l’on affiche peu en extérieur, sauf pendant la Pride. “Il y a une vraie demande pour des lieux gays à Marseille, et on fonctionne tous. J’espère juste que l’on ne reconfinera pas. Sinon, ça va être la catastrophe.” 

Des clubs en difficulté

Car dans la ville de Jul et de l'OM, les bars gay ne sont pas nombreux. “La nuit a changé ces dernières années, explique Eric Seroul, président de la Pride Marseille. Aujourd’hui, il y a plus de soirées qu’avant mais moins de lieux attitrés gays.” Dans cette ville qu’il décrit comme “macho”, il rappelle la difficulté d’avoir une terrasse pour un bar gay. “Jusque dans les années 2000, les bars étaient plutôt cachés et on a souffert d’un manque d’établissements. Cela commence à changer un peu mais c’est long.” 

Reste que, pour l’heure, côté boîte de nuit, seul un établissement est enregistré : le New Cancan, fermé pour cause de crise sanitaire depuis mars. Son co-gérant, Julien attend la réouverture avec impatience. “Partout on voit des fêtes privées, des bateaux qui partent pour la nuit, et nous on ne sait même pas si en septembre on pourra rouvrir”, peste Julien. Si les frais sont couverts par les aides étatiques, le manque à gagner est lui colossal : “On fait une grande majorité de notre chiffre d’affaires l’été. On réouvrira ça c’est sûr. Mais la question c’est quand.”

Avec son mari, Michel, il co-gère aussi L’Annexe, un bar gay situé aux Réformés. Ce samedi soir, à l’ombre des arbres, on y fête un anniversaire. Les chaises disposées en cercle resteront en place jusqu’à 22h, avant de s’entasser à l’intérieur du lieu, où un DJ prendra la relève. Et transformera, le temps d’une soirée, ce bar en boite de nuit.

Une Pride très attendue

Plus haut, du côté de la Plaine, le bar lesbien associatif les 3G peine, lui, à reprendre pied. Sans les soirées à thème et après le confinement, les rentrées d’argent manquent. “Nous n’avons pas de subvention, raconte sa fondatrice Sylvie. Et comme nous ne sommes pas une entreprise, nous n’avons pas pu bénéficier des aides de l’Etat.” Derrière elle, la piste de danse est à l’arrêt et la rue sert de mini-terrasse improvisée.

“Les filles sont là, elles viennent parce que c’est un peu comme une deuxième maison ici, ajoute Karine une des membres du conseil d’administration. Mais financièrement c’est compliqué.”

Depuis la fin du confinement, les 3G n’ouvrent que deux jours par semaine, en soirée. Les dettes se sont accumulées et cette institution marseillaise lancée en 1996 pourrait fermer en septembre. On a mis en place une cagnotte en ligne pour faire appel à la solidarité”, souligne Karine. “Mais en attendant, on ouvre peu.” Elles disent maintenant attendre la Pride prévue en septembre, “un bol d’air bienvenu !” Car si le défilé et les grosses soirées ont été annulés, une série d'événements dans les lieux LGBT de Marseille a été programmée.

“Ces lieux sont une vraie source d’oxygène pour beaucoup de personnes, raconte Eric Séroul. Il serait vraiment dommage de les voir disparaître”.  “Sincèrement, la Pride ça va sauver la saison, ajoute Romain. Depuis le déconfinement il y a des habitués que l’on ne voit plus du tout. Entre la peur du virus et le côté populaire de Marseille, c’est compliqué pour beaucoup.” L’an passé pour la première fois de son histoire, Marseille avait affiché le Rainbow sur le fronton de la mairie centrale.

Depuis la ville a changé de mains. Jean-Claude Gaudin a laissé sa place à Michèle Rubirola, et beaucoup de gérants attendent désormais que cette initiative soit reconduite cette année. “On aimerait aussi vraiment marquer le coup, continue Eric Séroul, et illuminer un ou deux lieux emblématiques de Marseille pour montrer qu’on existe, qu’on persiste et qu’on résiste.”

 

Contactés à de nombreuses reprises, la mairie de Marseille, Michèle Rubirola et son adjoint à la diversité n’ont pas souhaité répondre à nos questions.