sériesAvec "Askip", les préados ont enfin une série française progressiste et inclusive

Par Florian Ques le 25/09/2020
askip

Lancée au printemps, Askip, le collège se la raconte fait les beaux jours d'Okoo, la plateforme jeunesse de France Télévisions. Et, surtout, fait du bien à la représentation des minorités.

Les ados ont Skam France. Les préados, eux, ont Askip. Derrière ce mot d'argot banalisé par les jeunes générations – "askip" est le raccourci phonétique de l'expression "à ce qu'il paraît" –, la nouvelle série originale de l'écurie France Télévisions. À l'intersection entre le teen drama et le faux documentaire, elle expose les tribulations d'une bande de camarades de classe, tou·te·s inscrit·e·s au collège imaginaire François Truffaut. Prises de bec, premiers émois, débats houleux en classe ou encore humiliations navrantes dans la cour de récré… leur quotidien a été, un jour, le nôtre.

Après un break estival, Askip rempile avec une nouvelle salve d'épisodes inédits. Pour le public queer du programme, c'est l'occasion de voir le personnage de Lila, qui a un léger béguin pour son amie Efia, remettre doucement en question son orientation amoureuse. Un développement scénaristique rare, que le créateur de la série – par ailleurs réalisateur du film L'étincelle – défend aisément. "On est vraiment dans une quête constante de réalisme, et ce depuis le tout début", atteste Benoît Masocco à TÊTU.

Alors que la série est présentement en diffusion – et qu'une suite est en pleine écriture –, son créateur nous explique la génèse du projet, l'influence improbable de Friends mais, aussi, l'impact qu'Askip peut avoir sur ses jeunes téléspectateurs LGBT+. Rencontre.

Je ne sais pas si c'est volontaire, mais Askip me fait beaucoup penser à une sorte de nouveau Degrassi à la française.

Benoît Masocco : Quand j'étais ado, Degrassi s'appelait Les Années collège. C'était en effet quelque chose qui m'a totalement construit et qui m'a beaucoup aidé puisqu'à l'époque, c'était la seule série qui parlait vraiment de tous les sujets, notamment l'homosexualité. En la regardant, on n'avait jamais la sensation qu'on se moquait de nous, qu'on nous mentait ou que la réalité était enjolivée. C'était la seule série où il y avait des personnages avec de l'acné, qui n'étaient pas parfaits... C'est marrant que tu en parles, parce que c'était une référence méconnue que j'ai donnée très régulièrement sur le tournage et en amont à France Télévisions.

Quelle était ta volonté initiale avec ce projet ?

À la base, France Télévisions voulait un programme ciblant les préados. On aurait pu aller vers le documentaire, mais ç'aurait été partir sur quelque chose de difficilement racontable. D'une part, c'est très compliqué à filmer dès qu'il y a des mineurs impliqués. Mais surtout, c'est encore plus compliqué de capturer une forme de réalité à cet âge-là sans la trahir. J'avais le souvenir que la préadolescence est vraiment un âge où tout se joue. Aussi bien les amitiés, les histoires d'amour que les traumatismes, les humiliations mais aussi le début des convictions. Ce sont des choses qui prennent de la place et dont, bizarrement, peu de séries parlent. On voulait changer ça.

Askip joue à la fois avec les codes de la série pour ados mais aussi avec ceux du faux documentaire avec des passages face caméra. On sent l' influence de plusieurs séries comiques américaines...

Oui ! Il y a évidemment Modern Family et The Office, deux séries que j'aime vraiment parce qu'elles ne sont pas que des comédies. Elles sont fortes en termes visuels et en termes de jeu, mais elles disent aussi beaucoup de la société dans laquelle on évolue. Ce format était parfait pour nous car il nous aide à atteindre ce réalisme qui nous plaisait, mais aussi parce qu'on avait un tout petit budget et que ça nous permettait de tourner de manière beaucoup plus rapide.

Après, il y avait des références plus hétéroclites comme Les Années collège donc, mais aussi des séries comme Friends. Je regardais ça quand j'avais 17 ans et j'ai maintenant pas mal d'amis dans la vingtaine qui la visionnent aujourd'hui. D'un côté, ça ne m'étonne pas parce que c'est une série doudou qui réconforte, surtout pendant la période très compliquée qu'on traverse. Dans l'ensemble, on avait un peu cette même volonté.

En première partie de saison 1, Askip parle d'homoparentalité. Dans les épisodes inédits, une potentielle idylle se développe avec deux personnages féminins... C'est une manière de sensibiliser un public jeune à ces questions ?

Dès le départ, on s'était mis d'accord sur le fait qu'on ne voulait pas se censurer. Donc évidemment, les sujets LGBT+ nous semblaient intéressants et méritaient d'être traités. Alors oui, les choses ont évolué mais dans mes souvenirs, 13 ans était un âge compliqué car tu ne peux pas parler de tes questionnements autour de toi. Tu sais qu'il y a des gens qui sont homosexuels mais ça reste quelque chose d'abstrait. Ce n'est pas ton quotidien donc c'est difficile de te projeter. Tu ne t'imagines pas aller voir ton meilleur ami au collège et lui dire "dis, ça te dirait d'aller au bal de fin d'année avec moi ?". Là-dessus, on a eu envie de se dire : pourquoi pas.

Si on ne montre pas l'exemple, on sait clairement que ça ne se fera pas dans d'autres séries. Il y avait une vraie volonté d'être des éclaireurs, avec toute l'humilité du monde, c'est-à-dire d'ouvrir un peu la voie et de montrer que c'est possible. Depuis la diffusion, Rita [Foudali, qui joue Lila dans la série, ndlr] a reçu beaucoup de messages de jeunes LGBT+, parfois très jeunes qui la remercient d'être un modèle pour eux. Je me suis dit que c'était mission accomplie, ou en tout cas un début de mission accomplie car on n'a traité qu'une petite frange des thèmes LGBT+.

Y a-t-il d'autres thématiques queers que tu aimerais aborder dans la suite de la série ?

On n'a pas encore abordé la question des jeunes transgenres et c'est quelque chose que j'ai très envie de traiter. C'est une réalité. De plus en plus jeunes réalisent qu'ils ne sont pas nés dans le bon corps. On n'a aussi tout bêtement pas abordé la thématique de l'homosexualité masculine, ni celle du polyamour. La grosse mise en garde qu'on se donne, c'est qu'on a conscience du public auquel on s'adresse. Par exemple, la sexualité ne fait pas trop partie des interrogations de notre cible. En priorité, on s'adresse à des 9-14 ans, donc on est davantage sur un éveil aux sentiments plus qu'autre chose. C'est pour ça qu'on n'aborde pas toutes les thématiques. D'autres séries comme Skam France s'en chargent très bien par exemple.

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Mais dans les épisodes qu'on est en train d'écrire pour la suite, il y a des thématiques très importantes sur l'homophobie avec des interventions en milieu scolaire. Un garçon est la cible de moqueries homophobes parce qu'il est un peu maniéré alors que lui-même ne sait pas s'il est gay ou pas. Il n'a même pas eu le temps de se poser la question qu'on a déjà décidé pour lui. On a une vigilance constante tout au long du processus d'écriture, de tournage et de montage, que ce soit sur ces questions-là ou sur les questions de représentation des personnes racisées. Chez les comédiens comme les figurants, on sait qu'on se force à aller chercher de la diversité parce qu'on pense, là encore, avoir un rôle d'éclaireurs. C'est une vigilance que je ne retrouve pas toujours dans tous les programmes télévisés, malheureusement.

As-tu eu recours à l'expérience de véritables pré-ados pour écrire la série et penser les intrigues ?

On fait appel à des préados, à des profs de collège qui viennent en atelier d'écriture pour nous raconter un peu leur quotidien. Certains nous ont d'ailleurs raconté les interventions de SOS Homophobie par exemple. Ils ont également raconté comment ça se passait lorsqu'un professeur était soupçonné d'être gay. On a fait appel aussi à des CPE, à des surveillants. Donc oui, on a recours à tout ça et c'est indispensable à mes yeux. C'est pour ça que les jeunes se retrouvent autant dans la série, ils voient quelque chose qui leur ressemble. Il y en a plein sur les réseaux sociaux qui ne comprennent pas qu'il s'agit d'une fiction totale et qui nous demandent les contacts des personnages [rires].

Comment aborde-t-on ces sujets-là pour une cible aussi jeune  ?

C'est un peu un système d'entonnoir. Au début, on ne se censure pas. On pense à tous les thèmes qu'on a envie d'aborder. Ensuite, on réfléchit à la manière dont on peut les aborder pour notre cible. Donc là, on privilégie la douceur. On sait très bien qu'on pourrait parfois le faire de manière plus rapide, mais ça brusquerait le public, voire certains parents qui regardent, et ce n'est pas le but. Puis, il y a un vrai échange permanent entre les auteurs et France Télévisions.

Parfois, ils nous disent qu'on va un petit peu trop loin et d'autres fois, ils nous trouvent trop prudents et nous encouragent à nous lâcher un peu plus. Entre le moment où on commence à réfléchir en atelier d'écriture et le moment où on va tourner, on a entre neuf et douze versions d'un même texte. Et la version que tu vois ensuite à l'image, elle est encore différente parce qu'elle est passée au montage. C'est un vrai cercle vertueux et j'en suis très, très heureux.

Crédit photo : France Télévisions