À 91 ans, Dominique Fernandez signe L’Homme de trop aux éditions Grasset. Son 57e livre, premier volet d’un dyptique romanesque qui retrace, à travers la vie d’un homme gay, quarante ans d’histoire.
C’est un immeuble comme un autre, quelque part du côté de Pigalle, entre le Moulin-Rouge et deux sex-shops. Le vieil écrivain nous répond à l’interphone d'une voix claire, nous accueille en chaussons, la porte ouverte. Il nous attendait sans manière, sourire aux lèvres et taille de guêpe. On avait presque le trac de le rencontrer. L’Académicien français s’empresse de nous assurer qu’il a reçu ses deux doses de vaccin, histoire de nous mettre à l’aise. On s’assoit à la table d’une salle à manger qui pourrait être une bibliothèque tant des centaines de livres y trônent en majesté. Partout dans la pièce, mais en fait partout dans l’appartement – un grand appartement-bibliothèque qui abrite quatre-vingts ans de littérature et plus encore – les livres de sa vie et ceux qu’il a hérités de son père, l’écrivain et critique collabo Ramon Fernandez, dépeint avec sa femme dans L’Amant de Duras.
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Dominique, miroir de ce père aussi aimé que détesté, a appelé son fils Ramon aussi pour perpétuer la tradition mexicaine. C’est pourtant vers l’Italie qu’il s’est tourné ensuite, agrégé d’italien, docteur ès lettres, auteur de dizaines de livres sur le pays de la ville éternelle. Des dizaines d’ouvrages surtout sur l’homosexualité, au premier rang desquels peut-être L’Étoile rose en 1978. Un titre qui renvoie sans détour à la barbarie nazie, étoile symbole de la persécution séculaire des homosexuels. Fernandez y racontait la traversée, sur plusieurs décennies, d’un homme qui en aimait d’autres. L’homosexualité masculine, c’est le grand sujet de l’auteur.
Il y eut Porporino ou les mystères de Naples sur un castrat, prix Médicis ; Dans la main de l’ange autour de Pasolini, prix Goncourt ; Tribunal d’honneur à propos de Tchaïkovsky ou La Course à l’abîme du Caravage… On était impatient d’écouter celui qui aime à se présenter comme « le premier immortel ouvertement gay », même si on ne sait pas ce que Marguerite Yourcenar et Jean Cocteau penseraient de cette assertion. Écouter les souvenirs de celui qui, du haut de ses 91 ans, a l’élégance de la sagesse. Apprécier l’esprit d’un homme qui se sent jeune et qui, jusque l’année dernière encore, continuait à nager tous les jours ou presque. Qui n’a pas oublié pour autant les épines des roses qu’il a reçues. Qu’il soit ici profondément remercié pour la parole et la plume qu’il a tenues.
L’Homme de trop est-il une suite de L’Étoile rose, votre livre paru il y a plus de quarante ans ?
Dominique Fernandez : J’avais écrit L’Étoile rose comme une histoire de l’homosexualité à cette époque, c’est-à-dire le début de la libération des homosexuels. J’ai eu l’idée d’écrire non pas une suite, car ce ne sont pas ici les mêmes personnages, mais un nouveau point sur la question gay. Il y a tellement de changements, c’est prodigieux ! C’est peut-être sur ce point, dans une société où tout va mal, que l’on a fait le plus de progrès. Je voulais voir justement où l’on en est, est-ce que tout va bien, est-ce qu’il y a encore des réserves… Sous forme romanesque toujours, non pas comme un essai. Je l’ai commencé il y a trois ou quatre ans, la seconde moitié est déjà écrite mais paraîtra dans un an et retracera l’histoire du mariage pour tous jusqu’à aujourd’hui. En décembre 2012 il me semble, j’avais défilé avec d’autres de la Bastille au jardin du Luxembourg. J’ai milité pour le mariage comme j’ai milité pour le Pacs. J’ai toujours voté socialiste, contre de Gaulle, mais les socialistes ont souvent été homophobes… François Hollande a attendu bien trop longtemps pour faire passer le mariage ! Il fallait le faire tout de suite après son élection. Pour revenir à ce livre, l’idée était de raconter un homme d’une soixantaine d’années qui dit je, qui n’est pas moi, mais qui raconte à un homme plus jeune qui ne sait pas. À un homme qui est né libre. Il y a un tel fossé entre mon époque, antédiluvienne, et les années quatre-vingts, quatre-vingt-dix… C’est effarant....