TÉMOIGNAGES. Exerçant un métier déjà difficile, des médecins LGBT décrivent en plus une ambiance délétère, à base d'humour de caserne et de préjugés LGBTphobes dans les services. Au point, pour certain.e.s, de quitter l’hôpital public.
“Je me souviens de ce chef de service qui commençait toutes ses réunions en s’adressant à nous par ‘salut les PD’”, explique un interne. Pour beaucoup, devenir médecin est un accomplissement professionnel. Une façon de gagner en prestige et en statut social tout en s’assurant un salaire correct, sans crainte du chômage. Jack*, 30 ans, rêvait de porter la blouse blanche. Autour de lui, personne n’était médecin. Son père, ouvrier algérien, était fier de voir son fils se lancer dans ces études. “Quand je suis arrivé à la fac, ça se voyait qu’on ne venait pas du même monde, note-t-il, décrivant une culture hétérocentrée, misogyne et raciste où tout rappelle que si tu n’es pas blanc, hétéro et bourgeois, tu n’as pas ta place ici. Les remarques sont quotidiennes. On va t’accuser de vol parce que tu n’es pas blanc, ou te dire de faire attention aux patients gays parce qu’ils ont probablement le sida. C’est très pesant.”
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Propos LGBTphobes
De nombreux témoignages recueillis par TÊTU décrivent des discriminations omniprésentes, qui vont des propos LGBTphobes aux documents de cours reprenant les photos de La Manif pour tous. “Parfois, dans ton service, tu n’as même pas de nom, décrit un second étudiant. On m’a appelé ‘l’interne’ pendant longtemps, avant que je ne devienne ‘l’interne gay’.” Antony* se souvient des cours où les médecins parlaient de “transexualisme” en disant : “Tant que tu n’as pas couché avec une femme, tu ne peux pas savoir si tu es vraiment gay, ou trans.” D’autres encore, comme Fabrice*, 38 ans, aujourd’hui médecin aux États-Unis, décrivent des soirées où règne la culture du viol : “On a tous vu, je pense, des simulations de viol sur des hommes, voire des agressions sexuelles.”
"Lors des études de médecine, les violences ont un peu un côté ‘passage obligé’."
Cette violence à l’encontre des étudiants et des jeunes médecins commence à être documentée depuis la parution, en 2017, d’omerta à l’hôpital, de Valérie Auslender. Fin octobre 2020, à la Sorbonne, les internes Sara Eudeline et Amélie Jouault ont chacune présenté une thèse sur le sujet. Sur les presque 2.200 internes en médecine générale (soit 20% des effectifs) qui ont répondu à leur questionnaire, la quasi-totalité (93,6%) disent avoir subi des violences psychologiques de façon occasionnelle ou répétée, ce qui conduit 95,6% d’entre elles/eux à penser quitter la fac. “On ne s’attendait pas à un chiffre aussi élevé, raconte Sara Eudeline. Notre enquête met en évidence que, lors des études de médecine, les violences ont un peu un côté ‘passage obligé’. Il est temps que cela change.” Les deux médecins ont par ailleurs découvert que 62% des étudiants interrogés ont été victimes de discriminations sur l’apparence physique, le genre et/ou l’orientation sexuelle : 10% des cas concernent des LGBTphobies, et presque 30% des hommes gays déclarent en avoir subi.
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Humour carabin
Pour Myriam Dergham, étudiante en médecine et chercheuse en sociologie, c’est l’humour carabin qui permet de maintenir cette culture de l’humiliation homophobe et sexiste. “Ce n’est pas propre à la médecine, ajoute-t-elle. Tous les milieux corporatistes créent un esprit de corps fondé sur les dominants, et donc sur les discriminations. En médecine, cela se caractérise par l’humour carabin. Sous prétexte de rire de tout, il est possible de discriminer et d’agresser. Résultat, tous ceux qui ne sont pas d’accord finissent par se retrouver dehors.” Laurie-Anne Galiby, ancienne interne devenue sociologue de la santé, livre une analyse similaire : “Dès le début, on nous apprend que pour réussir il va falloir écraser les autres. Et, par ricochet, un bon interne, c’est celui qui accepte la culture dominante tout en allant vite dans la prise en charge des patients.” De fait, pour survivre, les victimes deviennent aussi des bourreaux. “Je sais que j’ai été discriminant sans même m’en rendre compte”, admet Fabrice.
“Heureusement que je n’étais pas out, sinon jamais ils ne m’auraient écouté.”
Ces discriminations LGBTphobes se répercutent aussi sur les patients. Aux urgences, certains, parce que LGBT+, ne sont pas écoutés. “Je me souviens d’un patient qui était immunodéprimé à cause d’une greffe, continue Fabrice. Puis on a découvert ce qui pouvait ressembler à une tumeur anale. L’équipe médicale, soit une vingtaine de personnes au total, s’est réunie pour savoir qui allait annoncer à sa femme que cet homme était un ‘gay passif’. Parce que, oui, pour les médecins, c’était un cancer réservé aux homosexuels passifs.” Dans ce grand hôpital parisien, Fabrice a dû batailler pendant plusieurs jours pour déconstruire ce préjugé : “Heureusement que je n’étais pas out, sinon jamais ils ne m’auraient écouté.” Finalement, cette grosseur s’est révélée être un effet secondaire du traitement.
Préjugés envers les patients gays
“Ce qui m’a surtout marqué, c’est cette façon de juger tout le monde, raconte un autre étudiant en médecine. Un homme gay était arrivé aux urgences avec une IST à l’anus, et tout l’hôpital en avait été informé et s’était moqué de lui avec des propos ultra-homophobes.” Une autre interne décrit la façon dont l’équipe médicale mégenre de façon systématique les personnes trans. “Une fois, une personne a demandé à être appelée ‘il’, et l’interne lui a répondu ‘aucun souci, madame’. Quand il l’a raconté, tous ses collègues étaient morts de rire. Pendant toute la durée de l’hospitalisation de cette personne, c’est resté un gag pour l’équipe.”
En France, le Conseil national de gestion estime qu’environ 30% des postes de praticiens hospitaliers sont vacants. Combien sont les professionnel·les qui, à cause des LGBTphobies, quittent l’hôpital public, partent à l’étranger ou s’orientent vers la santé publique, une spécialité qui permet de rester loin des médecins et des patients ? “Le plus souvent, quand on dénonce un acte de violence ou une discrimination, rien ne se passe, raconte un praticien hospitalier de l’est de la France, en poste depuis plus de dix ans. Les postes sont souvent à vie, donc les praticiens hospitaliers peuvent quasiment faire ce qu’ils veulent sans être inquiétés. C’est ça qui dégoûte les jeunes médecins.”
Face à l’omerta, le Syndicat national des jeunes médecins généralistes a mis en place un pôle discriminations, qui recueille les témoignages et accompagne si besoin les victimes. “Aujourd’hui, il est impossible de dénoncer un confrère, car l’Ordre pourrait nous condamner pour non-confraternité”, explique le syndicat. Jack a préféré quitter l’hôpital et devenir médecin de santé publique. “Chaque matin, je me demandais comment j’allais faire pour tenir un jour de plus. Entre les propos racistes et ceux LGBTphobes, je n’en pouvais plus. Plus jamais je ne travaillerai à l’hôpital ou avec des médecins”, lâche-t-il, amer.
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*Ces prénoms ont été modifiés
Texte Élodie Hervé / Photo Jonathan Borba on Unsplash