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santéComment les (futurs) médecins se forment au soin des personnes LGBT

Par Laure Dasinieres le 23/03/2023
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L'épidémie de monkeypox à l'été 2022 a rappelé la nécessité de former les médecins aux spécificités de leurs patients LGBT. Si certaines universités proposent des formations et s'intéressent aux répercussions des LGBTphobies dans le domaine médical, ces initiatives, positives, sont encore trop rares.

Été 2022. Épidémie de monkeypox. Alors que les témoignages de malades affluent pour décrire les symptômes de la maladie, nombreux sont ceux partageant aussi les discriminations qu'ils rencontrent dans un système de soin traversé par les LBGTphobies. Pour certains, qui peinent à s'outer par peur d'être stigmatisés, c’est une présomption d’hétérosexualité qui retarde leur prise en charge. Pour d’autres, des stéréotypes associés aux gays diffèrent ou faussent leur diagnostic. Malgré les alertes lancées par les associations communautaires, ainsi que par certains médecins et universitaires au cours de la dernière décennie, un certain statu quo persiste. Alors nous échangeons des listes de soignants safe ou nions nos identités par crainte de stigmatisation, quant nous ne repoussons tout simplement pas nos rendez-vous. Tout cela, au détriment de notre santé.

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"Le médecin doit écouter, examiner, conseiller ou soigner avec la même conscience toutes les personnes, quels que soient leur origine, leurs moeurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, à une nation ou à une religion déterminée, leur handicap ou leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu'il peut éprouver à leur égard", peut-on lire dans le Code de déontologie médicale. Seulement dans les faits, les choses sont quelque peu plus complexes. Dans le Guide pour un meilleur accueil des minorités genrées, sexuelles et sexuées à destination des professionnel·le·s de santé ,Thibaut Jedrzejewski, médecin généraliste au centre de santé sexuelle Le 190, explique : "Les personnes LGBTQI+ ont des spécificités de santé respectives. Elles vivent aussi, sans généraliser, dans des contextes spécifiques. Leurs expériences du regard de l’autre, de l’enfance à l’âge adulte, sont toujours particulières. Aussi ces personnes sont toujours susceptibles d’être discriminées, mais aussi de rencontrer des difficultés, de se sentir mésestimées, d’être ramenées à une norme qui ne correspond pas à ce qu’elles vivent, que ce soit dans leur vie quotidienne ou dans les soins."

Manque de formation

Seulement les préoccupations autour des minorités, mais aussi l’intersectionnalité, n’ont pas franchement passé la porte des facs de médecines. "La question des discriminations envers les minorités est intégrée au programme des études de médecine en 4e, 5e et 6e années, mais ce sont des chapitres à apprendre par cœur, sans possibilité de poser des questions. Il existe aussi des cours de sciences humaines et sociales qui ne sont pas obligatoires. Dès lors, ce sont souvent celles et ceux qui sont déjà sensibilisés qui y participent", explique Myriam Dergham, interne en médecine générale et étudiante en M2 de sciences politiques. Elle complète : "Il faut bien se dire que les étudiants en médecine manquent de temps et ont un programme très chargé. Ce qui explique qu'ils sont peu susceptibles de s’investir dans des cours où ils ne vont ni être notés ni évalués. Entre assister à un enseignement sur le sexisme et aller dormir ou se détendre, le choix est souvent vite fait !" 

Des diplômes universitaires spécifiques

Certains médecins, militants et personnes concernées se sont donc emparés de ces questions pour tenter, doucement mais sûrement, de faire bouger les choses. "C’est tout un apprentissage que de déconstruire nos propres biais et d’accepter que l’on ne peut pas tout savoir. Il y a des réalités que l’on ne peut pas imaginer si on ne nous les met pas sous le nez", explique Myriam Dergham, qui est aussi membre du comité de pilotage du diplôme universitaire (DU) Accès à la santé et lutte contre les discriminations proposé par l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne depuis 2021. 

"Il s’agit aussi de faire réfléchir à comment il est possible de consulter différemment en prenant en compte les spécificités des patients."

Cette formation universitaire, qui s’adresse aux étudiants mais aussi aux médecins diplômés, ainsi qu’aux autres professionnels de santé, vise à explorer le sujet des discriminations sous les angles juridiques, sociaux et spécifiques à la santé. Le Dr Rodolphe Charles, membre de l’équipe pédagogique, explique : "Nous nous efforçons de sensibiliser aux discriminations et de faire prendre conscience aux étudiants de leurs biais. Il s’agit aussi de faire réfléchir à comment il est possible de consulter différemment en prenant en compte les spécificités des patients."

Alors, pour ce qui relève des personnes LGBTQI+ sont sollicités des intervenants aux compétences particulières, comme des médecins exerçant dans des centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD) et des militants engagés dans des associations de santé communautaire. Des soirées thématiques – par exemple autour du chemsex – ou des journées de rencontres avec des associations sont également proposées. Un bon moyen de se frotter à la réalité, de lutter contre la méconnaissance des sujets propres à la communauté et de faire en sorte que les soignants participants adoptent a minima des conduites safe et respectueuses. Mais aussi des pratiques qui, en reposant sur des connaissances médicalement fiables et des expériences de personnes concernées, ne risquent pas de mettre en danger la santé de leurs patients.

Un DU plus spécifique à la santé sexuelle LGBT

À Paris, c’est un DU plus spécifique aux questions de santé sexuelle "pour tous·te·s" qui a été lancé en 2021 par la Dre Laura Berlingot, gynécologue. Cette formation s'adresse aux soignants déjà en exercice, ainsi qu'à certains professionnels du monde associatif, social ou éducatif. "Être capable de s’adresser à tous, quels que soient leur assignation de sexe, leur identité de genre, ou leur orientation sexuelle, à tout âge", peut-on lire dans les compétences visées. Le programme explore des thématiques telles que la santé sexuelle des personnes trans, lesbiennes et gays, ou encore les questions de prévention et de soin des IST et du VIH, le tout en "mobilisant des savoirs provenant des sciences médicales et des sciences humaines et sociales"  avec "une attention particulière pour les publics vulnérables ou du moins particulièrement discriminés"

 "C’est long de faire ainsi changer les mentalités, mais ces formations parviennent néanmoins à faire avancer les choses."

"C’est long de faire ainsi changer les mentalités, mais ces formations parviennent néanmoins à faire avancer les choses", souligne Rodolphe Charles, qui explique qu’à l’issue du DU certains médecins participants se sont mis à prescrire la PrEP ou à renouveler des traitements d’hormonothérapie pour les personnes trans"Ce type de formation permet non seulement de déconstruire ses biais, mais aussi de s’armer face à des collègues qui pourraient être discriminants", souligne quant à elle Myriam Dergham. Notons, en plus des deux jeunes formations sus-cités, l'existence du DU Santé sexuelle et droits humains proposé par l'Université Paris Cité depuis 2007.

Évidemment, les choses iraient plus vite si la formation initiale des soignants intégrait d’emblée davantage d’inclusivité. Si cela semble encore bien figé, on peut néanmoins saluer le lancement, à l’automne 2022, du Serment d’Augusta, un podcast dédié à la relation soignant/soigné créé par le neurologue et professeur Emmanuel Flamand-Roze et par l’autrice et réalisatrice Olympe de Gé. Les étudiants en médecine que cela intéresse peuvent choisir d’intégrer son écoute au sein d’une unité d’enseignement optionnelle qui leur apporte des points de parcours. Une petite carotte qui leur permettra peut-être de trouver du temps pour déconstruire certains de leurs présupposés. Si la saison 1 évoque par ricochet la question des discriminations envers les personnes LGBTQI+, la saison 2 devrait aborder le sujet plus avant, promet Olympe Gé.  On espère voir se multiplier et fleurir les petites graines de la sorte.

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