Une enquête a été ouverte pour "violences en réunion" après l'agression de deux vacanciers gays en Corse. Plus d'une dizaine de personnes s'en seraient prises à un couple, devant la passivité des habitants du village.
La scène que Benoît et Mickaël ont décrite à TÊTU est insupportable. Alors qu'ils passaient la soirée en famille dans le bar d'un petit village du Cap Corse, ils ont été victimes d'une violente agression le soir de la fête nationale. Le lendemain, le procureur de Bastia a ouvert une enquête pour "violences volontaires avec interruption totale de travail inférieure ou égale à huit jours, en réunion et à raison de l'orientation sexuelle des victimes".
Des témoins passifs
Mickaël a raconté sa soirée à TÊTU : alors qu'il danse avec son compagnon, Benoît, "un groupe de jeunes adolescents de 15 à 20 ans se moquent de nous et nous insultent de pédés". Parmi ces jeunes, l'un les aurait pris à partie, notamment pour leur montrer une photo d'un homme urinant sur un drapeau arc-en-ciel. "À ce moment, il sort sa croix et me dit que c'est contre-nature", raconte Mickaël.
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Les deux hommes quittent le bar et croisent de nouveau l'adolescent un peu plus tard dans la soirée. Ils se disputent quand un homme "m'agrippe le bras et me demande de le laisser tranquille en me traitant de pédé. C'est à ce moment que c'est parti en cacahuète", raconte-t-il. Alors que les coups pleuvent, la soixantaine de personnes présentes ne seraient pas manifestée pour les aider. Et selon le couple, depuis l'ambulance qui les emmène à l'hôpital, ils peuvent entendre des insultes homophobes.
"Vers minuit trente, deux des membres de ce groupe, en couple, subissaient des insultes homophobes puis des violences à coups de pieds et poings de la part de plusieurs individus, leur occasionnant des interruptions totales de travail de 6 et 8 jours. Une troisième personne était blessée", a décrit le procureur de Bastia, Arnaud Viornery, dans un communiqué.
"Le symptôme d'un virilisme exacerbé"
Sur l'île, le visage tuméfié des deux hommes a beaucoup fait réagir. "Dans un territoire de liberté comme le nôtre, l'orientation sexuelle de toutes et tous doit être respectée. (…) Cette agression homophobe nous apparaît une fois de plus comme le symptôme d'un virilisme exacerbé, qui fait quotidiennement de nombreuses victimes", a dénoncé l'association LGBT Corse Arcu. Le maire de Rogliano s'est dit "scandalisé" par ces violences. "Ils les ont tabassés à dix, (…) ce n’est pas digne de la Corse, ça ! C’est dommage, car il y a une bonne jeunesse au village, mais il y en a certains qui sont visiblement frustrés et deviennent violents quand ils boivent", a-t-il déclaré au Monde.
"L'île de beauté vient de nous envoyer une carte postale terrifiante : celle d'un visage tuméfié par les coups, a réagi l'Inter-LGBT. Elle nous rappelle en plein cœur de l'été que l'homophobie ne prend pas de vacances et que les violences LGBTphobes doivent faire l'objet d'une prise de conscience des pouvoirs publics qui ont le devoir de s'investir concrètement pour faire reculer ce type d'infractions". Sur Twitter, le ministre de l'Intérieur a assuré que "ces actes infâmes ne doivent pas rester impunis". Et le préfet de Haute-Corse a dit son "indignation" pour dénoncer "avec la plus grande fermeté cette agression lâche et violente".
Une version "mensongère" pour l'association de la jeunesse locale
Mais l'association de la jeunesse de Rogliano réfute le récit des victimes. Elle déclare refuser "que l'opprobre soit jetée sur notre village". "Les faits en question ne relèvent en rien d'une quelconque homophobie", assure l'association qui croit que "la version de l'incident rapportée par les prétendues victimes est mensongère et calomnieuse à l’égard de la jeunesse du village". Il est par ailleurs reproché à l'une des victimes de s'être montrée "entreprenante à l'égard d'un mineur". Le gérant du bar, accusé de passivité face aux événements, assure que "au sein de l'établissement ou autour, aucune agression n'a eu lieu".
À la suite de ces accusations, Mickaël et Benoît ont relayé dimanche sur leur compte Instagram un long message, accompagné de trois captures d'écran de messages attribués à l'un des agresseurs présumés et publiés sur Snapchat. "On a frappé des PD ça part en couille", "1 PD à l'hôpital" ou encore "J'ai mis une droite à un PD je suis fier", peut-on lire sur les images. Une série de snap qui, s'ils s'avèrent avoir vraiment été publiés par l'un des agresseurs présumés, mettrait à mal la version de l'association de Rogliano.
Les victimes ont toutefois appelé à ne pas stigmatiser les Corses. "Ça aurait pu arriver n'importe où, et avant cette agression, nous avons passé des moments paisibles en Corse et à Macinaggio, sans avoir à nous cacher", écrit-il dans une story. Pour Mickaël, si "toute la foule présente à la soirée a été complaisante avec l'agression", "ce n'est ni un village, ni un peuple qui nous a lynchés. L'homophobie n'a pas de pays."
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