Abo

cinémaSix films queers repérés à la Berlinale cette année

Par Franck Finance-Madureira le 01/03/2022
cinema,berlinale,berlinale 2022,festival berlin,festival berlin 2022,festival cinema,films queers

Du plus fou au plus déchirant en passant par le plus dérangeant, notre envoyé spécial au festival de Berlin 2022 vous présente sa sélection de films à voir absolument. 

Si le Peter von Kant de François Ozon, qui devrait sortir l’été prochain, a ouvert en beauté l'édition 2022 du festival de Berlin, le cinéma queer y est toujours très présent notamment depuis la création des Teddy Awards, les prix LGBT+ du festival, en 1987. Un road movie urbain déjanté et radical venu du Brésil, un documentaire colombien d’une grande force, l’histoire d’amour déchirante entre deux femmes qui se sont rencontrées en déportation, un film israélien singulier et dérangeant, un "coming of age" argentin moderne et touchant, et un court métrage français érotico-poétique, notre envoyé spécial à Berlin a choisi six films à voir absolument. 

À lire aussi : "Peter von Kant" : les amours gays de Fassbinder vues par Ozon ouvrent la Berlinale

Le plus fou

>> Trois tigres tristes (Three Tidy Tigers Tied a Tie Tighter), de Gustavo Vinagre (Brésil)

Gustavo Vinagre expérimente depuis de nombreuses années un cinéma queer hors des cadres commerciaux. Avec ce long-métrage au titre de comptine enfantine et qui se déroule dans un futur proche bousculé par une nouvelle pandémie, il créé une forme de "Magicien d’Oz" radical, drôle, foutraque mais avec du sens et du fond. Ce n’est pas sur une "yellow brick road" que vont s’embarquer nos trois héros mais sur l’asphalte de São Paulo et du capitalisme tout-puissant. Pedro, cam boy queer branché BDSM, son neveu Jonata, drag queen en devenir, et sa coloc trans Isabella, vont errer de rencontre en rencontre dans ce road movie urbain qui mixe l’art vidéo expérimental, les ambiances de cabaret queer et une imagerie foisonnante. Dans ce film, récompensé par le Teddy Award de la meilleure fiction, Gustavo Vinagre dresse le portrait sans détour d’une société brésilienne gangrenée par l’homophobie, la sérophobie et la peur de l’autre en rendant hommage, notamment, à celles et ceux qui furent les pionniers des combats LGBT+. Un tourbillon créatif, radical et fondamentalement politique !

À lire aussi : "À nos enfants" : rencontre avec Maria de Medeiros pour son film sur la PMA et le Brésil

Le plus étonnant

>> Alis, de Clare Weiskopf et Nicolás van Hemelryck (Colombie/Chili/Roumanie)

Dix jeunes filles d’un foyer de Bogota pour enfants, en rupture familiale, sont assises chacune à son tour face à la caméra. En leur demandant de fermer les yeux et d’imaginer une camarade imaginaire, Alis, leur interlocutrice va ouvrir un champ de parole incroyable. Chacune va projeter sur Alis ses peurs, ses fantasmes, ses rêves mais aussi ses souvenirs et ses traumas. Du récit de la vie de cette amie imaginaire mi-miroir mi-transfert, naît une parole d’une liberté absolue et émergent des sujets puissants : les viols et abus divers, les pères violents, les situations familiales complexes, la difficulté de vivre son homosexualité. Entre pudeur et impudeur, le film offre un moyen singulier et surprenant à ces jeunes filles de se réapproprier le récit, leur histoire. Un documentaire féministe d’une originalité et d’une puissance folle récompensé par le prix du meilleur documentaire par le jury des Teddy.

Le plus déchirant 

>> Nelly & Nadine, de Magnus Gertten (Suède/Belgique/Norvège)

Le documentariste suédois Magnus Gertten se plonge dans ce film, fait d’images d’archives et de témoignages au présent, dans la magnifique histoire d’amour entre Nadine, intellectuelle d’origine chinoise familière des salons féministes parisiens, et de Nelly, résistante et espionne née à Bruxelles, qui se sont rencontrées en déportation dans le camp de concentration de Ravensbrück. L’histoire se dévoile, détail après détail, témoignage après témoignage et gagne en ampleur, en puissance et en émotions au fil du récit. Prix du jury aux Teddy, Nelly & Nadine est un documentaire déchirant qui éclaire d’un jour nouveau la Seconde Guerre mondiale et ses drames tout en célébrant l’amour comme moteur de vie essentiel. 

À lire aussi : "Paragraphe 175" : l’indispensable parole des survivants homos au nazisme

Le plus dérangeant 

>> Concerned Citizen, de Idan Haguel (Israël)

Ben et Raz, couple gay israélien, mènent une vie confortable : smoothie le matin, salle de sport le soir et projet de GPA… Seule ombre au tableau : leur magnifique nouvel appartement se trouve au sein d’un quartier pas assez "gentrifié" à leur goût. Quand Ben voit deux migrants érythréens s’appuyer sur l’arbre qu’il vient de planter en bas de l’immeuble, il appelle la police et provoque une escalade qui aura des conséquences graves. Film dérangeant, ramassé (moins d’1h30) et précis sur la prise de conscience des privilèges, les doutes sur le sens de la vie, Concerned citizen soulève sans didactisme et sans évitement des questions passionnantes sur l’altérité. 

Le plus romantique

>> Sublime, de Mariano Biasin (Argentine)

Depuis tout petits, Manu et Felipe ont une belle relation d’amitié mais, à l’adolescence, Manu se rend compte que, pour lui, Felipe est plus qu’un ami. Joli film argentin mettant en scène deux amis d’enfance de 16 ans qui partagent un groupe de rock et une caravane aménagée pour y amener leurs conquêtes féminines, Sublime est sur le papier un film gay relativement classique. Mais, au-delà de sa mise en scène élégante et créative et de son utilisation tout en finesse de la création musicale au cœur du récit, Sublime renouvelle le genre grâce à quelques détails d’une belle modernité. Le dialogue entre Manu et ses parents, celui avec ses copines et même ses échanges avec Felipe sont très différents de ce qu’on a pu voir avant. Sous ses atours classiques de "coming of age", Sublime réussit le pari de la modernité : la prise en compte de l’évolution de la société et de la normalisation de l’homosexualité offrent un angle nouveau et des émotions inédites.

Le plus court

>> Mars exalté, de Jean-Sébastien Chauvin (France)

Quatre bobines de pellicule 16 millimètres offertes par ses amis et producteurs Yann Gonzalez (Les Rencontres d’après minuit, Un couteau dans le cœur) et Flavien Gordia et une règle du jeu : filmer deux minutes tous les jours en mars dernier au crépuscule ou à l’aube. Jean-Sébastien Chauvin relève le défi en poursuivant ses obsessions photographiques et offre un peu plus de 17 minutes de pure beauté, récompensées comme meilleur court-métrage par les Teddy. Les paysages urbains presque déserts alternent avec des plans sur un jeune homme qui dort. Fin de confinement, réveil après une hibernation, rêve ou cauchemar érotique ? Le corps exulte dans un demi-sommeil, souffle, se meut et se libère de ses fluides comme pour renaître. Une petite mort comme une prémisse du retour à la vie.

À lire aussi : "Les Affluents", portraits croisés de la jeunesse cambodgienne

Crédit photo : "Trois tigres tristes", de Gustavo Vinagre - Cris Lyra - Carneiro Verde Filmes