billetLa Russie quitte le Conseil de l’Europe : une sortie logique mais inquiétante

Par Olivier Baillet le 22/03/2022
Vladimir Poutine

[Billet] Après le déclenchement de la guerre dans l'est de l'Europe par son invasion de l'Ukraine, la Russie de Vladimir Poutine a quitté la Convention européenne des droits de l'homme. L'aboutissement logique d'une confrontation qui durait depuis des années.

Le 15 mars 2022, le Conseil de l’Europe, organisation distincte de l’Union européenne comprenant 47 États, a exclu la Russie. En réalité, le même jour, celle-ci lui avait notifié son intention de le quitter et de dénoncer la Convention européenne des droits de l’homme, que la Cour du même nom est chargée d’appliquer. Une telle sortie est presque sans précédent – seule la "dictature des colonels" en Grèce avait quitté le Conseil en 1969 avant que le pays n’adhère de nouveau cinq ans plus tard, en 1974. 

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Ce choix vient couronner un conflit larvé entre la Russie de Vladimir Poutine et le Conseil. C’est Boris Eltsine, ancien président russe qui, soutenu par la France, avait déposé une demande d’adhésion en 1992. Celle-ci fit immédiatement consensus au sein des États membres, mais restait conditionnée à ce que la Russie satisfasse aux critères d’entrée, à savoir être "capable" ou avoir "la volonté" de "reconnaître le principe de la prééminence du droit et le principe en vertu duquel toute personne placée sous sa juridiction doit jouir des droits de l’homme". Déjà, en 1994, l’Assemblée du Conseil avait constaté que ce n’était pas le cas, ce que confirma tragiquement en 1995 la première guerre de Tchétchénie. Malgré tout, la Russie fut acceptée et devint membre en 1998 – 18 mois avant que Vladimir Poutine ne devienne Premier ministre.

La Pride interdite depuis 2006

Mais ce dernier n’a cessé de bâtir une stratégie de confrontation avec le Conseil et la Cour, particulièrement au sujet des droits LGBTQI+. La Russie détient le record des condamnations – 14% de l’ensemble en seulement 24 ans d’appartenance. Alors que la criminalisation de l’homosexualité avait été sanctionnée par la Cour dès 1981, la Russie a progressivement rogné des droits qu’on pensait – à tort – acquis. À partir de 2006, les marches des Fiertés sont interdites à Moscou au nom d'une prétendue "protection des enfants". Interdiction que la Cour a condamnée en 2010 sur saisine du militant LGBTQI+ Nikolaï Alekseïev.

Au niveau international, la Russie ne remettait pas en cause l’arrêt, prétendant même vouloir s’y conformer. Mais au plan interne, les autorités et les juridictions interprètent la décision de manière à ne pas modifier leur pratique. Pire, en 2013, la Russie a adopté une loi contre "la promotion de l’homosexualité", condamnée par la Cour en 2017 mais toujours appliquée. Le premier conflit ukrainien avait d’ailleurs marqué un tournant. En 2015, une révision constitutionnelle permet à la Cour constitutionnelle russe de choisir quelles décisions respecter, ouvrant la voie à une participation "à la carte". Dans ce même esprit, la Russie a suspendu en 2017 le versement de sa part du budget en réaction à la condamnation de l’annexion – illégale – de la Crimée.

La Russie reviendra-t-elle ?

Quelles conséquences, alors ? La Convention restera applicable aux faits antérieurs à la dénonciation, celle-ci étant effective six mois après sa notification. Les affaires pendantes devraient donc être théoriquement jugées, notamment celles impliquant des condamnations de militants ou encore la dissolution d’ONG LGBTQI+. Mais malgré tout, la Cour a préféré en suspendre temporairement l’examen, et leur exécution sera plus que jamais incertaine. Par ailleurs, saisie par l’Ukraine le 2 mars, la Cour avait ordonné à la Russie de s’abstenir de toute attaque contre les civils et d’assurer la sécurité des personnels et bâtiments médicaux. Mais en l’absence d’une "police" internationale et parce que les États peuvent abuser de leur souveraineté même quand ils agissent dans l’illégalité, la Russie ne s’y conforme pas.

Pour ce qu'il est des situations postérieures à la dénonciation, l’ensemble des personnes sous la juridiction russe perdront la protection de la Convention – y compris pour les exactions éventuellement commises dans une Ukraine occupée. La perte définitive d’environ 10% d’un budget déjà étroit (496 millions en 2020 pour le Conseil) aura aussi un impact certain. Un changement de régime pourrait ramener la Russie dans le giron du Conseil, comme la Grèce autrefois, mais est-ce probable ?

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Crédit photo : Capture d'écran YouTube / Le Parisien