[Grandir gay en France 1/5] Comme beaucoup de jeunes provinciaux, Balthazar est "monté" à Paris pour ses études, mais aussi pour vivre plus librement son homosexualité. Il nous raconte ses jeunes années à grandir loin de la ville, pour lui en Bretagne.
16h30 pile, pas une minute de plus. Balthazar est ponctuel, et c'est autour d'un verre dans un bistrot du 11e arrondissement de Paris que la conversation s'enclenche avec le jeune homme de bientôt 22 ans. Étudiant en théâtre au cours Florent, il vient tout juste de terminer son service dans un restaurant japonais du quartier de l'Opéra, et démarre enjoué le récit de son adolescence queer en province. Après une naissance à Paris, la fratrie de triplés dont il est issu oblige sa famille à s'installer plus à l'aise, dans le calme d'une petite station balnéaire des Côtes-d'Armor, en Bretagne, dont son père est originaire.
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Les débuts de Balthazar dans la vie gay, c'est l'histoire de la naïveté touchante et désarmante d'un enfant qui demande un jour à ses copains de l'école primaire de quels garçons ils sont amoureux. "Pour moi, on pouvait aimer tout le monde", se souvient-il en évoquant cette scène qui avait laissé ses camarades plus que pantois. Comme pour beaucoup d'autres jeunes homos, c'est le passage au collège qui va marquer le début d'une prise de conscience réelle de son homosexualité. "J’ai vraiment appris qui j’étais, pas par moi-même mais par les remarques des autres", remarque-t-il au sujet de ces "autres" bien décidés à lui faire comprendre sa différence à force de : "Mais t'es gay ? t'es pédé ?". Des questions auxquelles il répond, par peur des réactions, par la négative jusqu'à son coming out en classe de troisième.
Les coming out
De son goût d'enfance pour les bijoux et les robes, Balthazar n'a rien perdu, et c'est paré de jolies petites boucles d'oreilles en or qu'il évoque ce coming out. "J'en avais marre des blagues de mecs sur les seins donc j'ai décidé de le dire à mon meilleur copain de l'époque... qui l'a dit à tout le collège, et tous les mecs se sont retournés contre moi", résume-t-il. C'est par le biais d'une lettre glissée sous l'oreiller de chacun de ses parents, alors séparés, qu'il a décidé de les mettre dans la confidence. Sa mère ne l'a pas accepté tout de suite, à sa surprise : "C’est elle qui m’achetait des petites paillettes ! J'ai été un peu surpris, je pensais que ce serait elle qui l'accepterait le mieux mais en fait, non." Du côté de son père, un texto tard dans la nuit affiche "pas de problème", confirmé le lendemain par un geste d'affection qui compte : "Il m’a fait un grand câlin".
"J’ai découvert le terme queer et ça m’a aidé dans ma construction de voir une série avec des personnes gays".
Grandir sur les côtes bretonnes, c'est aussi attendre impatiemment l'été avec ses grappes de vacanciers qui débarquent, amenant avec eux l'espérance d'un "summer love". "Avec un pote, on en rêvait grave mais ça n'arrivait jamais", rit-il aujourd'hui, avant de brosser le tableau d'une sociabilité gay qui se résume durant son adolescence à quelques contacts virtuels sur Grindr ou Hornet, uniques échappatoires d'un monde rural qu'il ressent comme hostile aux LGBTQI+. Seule une affiche contre l'homophobie placardée sur les murs de son lycée rappelle l'existence d'un sujet "dont on ne parle jamais à la campagne". Traîner sur ces applis de rencontre ne fut toutefois pas une expérience vaine : "Je parlais à un gars qui était un peu vieux mais sympa, et qui voulait grave m’apprendre des trucs sur la communauté. Il m’avait parlé de la série 'Queer As Folk', c’est comme ça que j’ai découvert le terme queer et ça m’a aidé dans ma construction de voir une série avec des personnes gays".
Premières rencontres
Si Balthazar n'est "jamais sorti avec un gars en Bretagne", il y a bien eu cette fois avec un "mec des réseaux" auquel il a donné rendez-vous à quelques dizaines de bornes de chez lui, au bord d'un étang, ou encore cette soirée pyjama avec son "crush" et une pote, qui n'a malheureusement débouché sur rien. Et puis de toute façon, "les gars en Bretagne, c’était plus par message parce qu’on avait peur de s’assumer, donc ça n’aboutissait jamais à rien".
Fustigeant un environnement "hétéroland" dans lequel seuls dénotent, au lycée, "trois gays, deux lesbiennes et un mec trans", il ressasse le souvenir de cette ancienne bande du collège, celle de l'option musique, dans laquelle les seuls mecs se sont finalement avérés être tous gays : "On était un peu la queer team sans le savoir", se marre-t-il. Avant de se rappeler cet autre souvenir : "Il y avait un gars au lycée, c’était l’Américain, il était bi ! Il voulait trop que je le suce dans les toilettes, il m’envoyait toujours des snap de sa bite".
Éclat de rire, bref : compliqué pour un jeune gay de se construire sans représentation et sans pairs, ou si peu. Quoiqu'il y avait aussi ce cousin de Lille qui était gay et, au fil de la discussion, l'image des deux amies de ses parents qui resurgit, en couple et mères de deux enfants nés d'une PMA : "En fait, c’était juste Anne-So et Béa avec leurs enfants, pour moi c’était normal, c’était la vie, c’était ça aussi la vie. Je suis trop heureux d’avoir eu ce modèle, c'est le seul que j'ai eu".
Les études et Paris
Animé très jeune par l'envie de déménager à Paris pour quitter sa campagne qu'il considère comme "un frein à l’épanouissement des personnes LGBT", la passion que Balthazar voue au théâtre apparaît comme une porte de sortie : "Je savais que je voulais faire du théâtre, car j’en fait depuis que j’ai dix ans donc mon rêve, c’était de venir sur Paris, d’être comédien". S'il est soutenu par sa professeure de théâtre, les enseignants de son lycée lui projettent un avenir bien moins glamour : "Si tu veux faire du théâtre, tu vas aller faire art du spectacle à St-Brieuc ou Rennes, pourquoi tu irais jusqu’à Paris ?", les imite-t-il, encore consterné.
C'est donc "sans faire exprès", affirme-t-il ironiquement, qu'il a supprimé toutes ses candidatures, ne conservant que celle pour une licence de théâtre à l'Université Sorbonne-Nouvelle où il sera reçu. N'en déplaise à son grand-père, artisan à la retraite issu de la paysannerie bretonne pour qui "faire du théâtre ce n'est pas un métier", mais qui se trouve aujourd'hui sans doute rassuré que son petit-fils goûte à la sacro-sainte valeur travail en servant dans un resto en parallèle de ses études.
"C’est là que j’ai compris ce que c’était d’être LGBT, j’ai été entouré de gens comme moi."
18 ans, l'âge de raison, mais surtout de la liberté et le début de la grande vie pour Balthazar, qui emménage à Paris et découvre chaque jour un peu plus l'univers estudiantin ainsi que les milieux queer et militants. "En Bretagne, je savais que j’étais gay mais l’arrivée à la fac, c’était incroyable, c’est là que j’ai compris ce que c’était d’être LGBT, j’ai été entouré de gens comme moi", conclut-il, ému, en remerciant ses nouveaux amis qui lui ont tant apporté. Aussi récent soit son emménagement parisien, Balthazar nous donnerait presque l'impression que son époque bretonne ne lui appartient pas, en tout cas plus. Il contredit lui-même ce détachement en déclarant, en bon Breton, avoir "gardé un lien très fort là-bas", ce "là-bas" où il finit toujours par revenir au gré des confinements, des vacances mais aussi de ses souvenirs.
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