Une enquête de Mediapart révèle une incroyable affaire à la mairie de Saint-Étienne dont le maire LR, Gaël Perdriau, est soupçonné d'avoir fait pression sur un adjoint piégé en compagnie d'un escort lors d'une soirée filmée à son insu.
"Une fois que les choses seront sur la table, il est mort." Selon Mediapart, c'est par ces mots que Gaël Perdriau, le maire Les Républicains (LR) de Saint-Étienne (Auvergne-Rhône-Alpes), commente en avril 2022 le piège tendu huit ans plus tôt à Gilles Artigues, ancien député alors premier adjoint du maire. Ce dernier a été filmé à son insu, à l'hiver 2014, lors d'une soirée intime avec un escort organisée par ses alliés politiques. Pendant des années, selon l'enquête de nos confrères, cette vidéo aurait été utilisée pour faire chanter l'élu en le menaçant d'outing ; sur la scène publique, Gilles Artigues est un père de famille en couple hétérosexuel, catholique pratiquant et conservateur. Le maire de Saint-Étienne nie être impliqué dans le kompromat révélé par le journal d'investigation, mais des enregistrements également révélés par Mediapart le contredisent.
Revenons en arrière : en 2014, Gaël Perdriau est élu maire de Saint-Étienne sous l'étiquette UMP (aujourd'hui Les Républicains). Dans un paysage politique local délicat, il accède au pouvoir grâce à une alliance de circonstance avec l'élu UDI Gilles Artigues, qui devient son premier adjoint. Mais l'ambition de ce dernier, particulièrement conservateur notamment concernant l'homosexualité, fait de l'ombre au maire. C'est alors qu'un piège lui serait tendu : selon Mediapart, au cours d'une réunion à Paris, Samy Kéfi-Jérôme, un autre élu municipal, et le compagnon de celui-ci Gilles Rossary-Lenglet, auraient organisé une soirée, filmée à l'insu du premier adjoint, pendant laquelle celui-ci a reçu un massage érotique de la part d'un escort embauché par les deux hommes.
Plainte pour chantage aggravé
Ces images auraient ensuite permis, à partir de 2015, de faire pression contre Gilles Artigues et de freiner ses ambitions politiques durant des années. Depuis les révélations de Mediapart fin août, la victime présumée a déposé plainte contre le maire de Saint-Étienne qu'il accuse de chantage aggravé. Le 2 septembre, le parquet de Lyon a ouvert une information judiciaire et plusieurs perquisitions ont eu lieu le 5 à la mairie de Saint-Étienne ainsi qu'aux domiciles des protagonistes, rapporte Le Progrès. Quant au maire, il a dénoncé des accusations "ignobles". "Tout est faux. Tout est faux. J’ai hâte que la justice m’entende pour que tout ça s’arrête le plus vite possible, et ça s’arrêtera très vite", a-t-il commenté sur France 3. Ses avocats ont indiqué son intention de déposer plainte pour dénonciation calomnieuse, assurant dans un communiqué : "Gaël Perdriau n'a jamais pris part à un quelconque chantage, directement ou indirectement".
Deux enregistrements, publiés ce mardi 6 septembre par Mediapart, laissent toutefois penser que le maire a bel et bien été informé de l'affaire avant qu'elle soit rendue publique. Le premier daterait du 12 avril 2022 ; on y entend le directeur de cabinet du maire échanger avec Gilles Rossary-Lenglet pour lui proposer un emploi. Au cours de cet entretien, les deux interlocuteurs discutent de certains détails concernant le traquenard présumé : "Quand il y a eu le fiasco du barbouzage de Gilles Artigues, Samy n'était pas en odeur de sainteté et pour se sauver le cul, il a dû bien me charger", dit notamment Gilles Rossary-Lenglet.
Surtout, dix jours plus tard, Gilles Rossary-Lenglet rencontre le maire et évoque des différends avec Samy Kéfy-Jérôme. Gaël Perdriau dit alors : "Le coup d'Artigues, vous étiez deux". Puis, à propos d'une potentielle révélation de toute l'histoire, le maire déclare : "La première victime, ce sera lui [Gilles Artigues], sauf qu'une fois que les choses seront sur la table, il est mort. Même s'il y est pour rien, il est mort". Analyse de ses avocats : "Monsieur Gaël Perdriau ne découvre pas l'existence du film : il découvre l'usage que son interlocuteur peut en faire et les conséquences désastreuses qui pourraient en découler".
Crédit photo : Capture d'écran Instagram / @GaelPerdriau