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cinémaNos cinq films coups de cœur du Festival "Queer Lisboa" 2022

Par Franck Finance-Madureira le 29/09/2022
festival queer Lisboa, Follow the Protocol (Seguindo Todos os Protocolos), Brésil

L'édition 2022 du festival de cinéma queer de Lisbonne, l’un des plus anciens et des plus pointus d’Europe, vient de s'achever. Sexualité gay et covid au Brésil, recherches sur les transidentités aux États-Unis, homophobie en Géorgie, porno féministe et éthique en Suisse, récit autofictionnel en Espagne, voilà le programme des films présentés qui seront à suivre de près…

Follow the Protocol (Seguindo Todos os Protocolos), Brésil

Difficiles périodes que celles des confinements pour Chico, un "bear" passablement hypocondriaque vivant à Recife, au Brésil. Il entre en conflit avec tous ses contacts, dont il traque sur les réseaux les moindres manquements à la prudence sanitaire, rompt en visio avec son amant Ronaldo, qui ne se sent plus si bi que ça, et s’entête à composer des chansons avec un manque évident de talent. Sans parler du fait qu'il soumette ses amants, réguliers ou non, à un protocole strict lorsqu'il s’agit d’organiser leurs rendez-vous "sexe". Avec ce récit aux allures de film homemade et bricolé, le réalisateur Fábio Leal signe un premier long-métrage de fiction en forme de petit bijou de simplicité, d’intelligence et de drôlerie. Le film utilise cette période spéciale de pandémie comme un révélateur des angoisses amoureuses et des obsessions sexuelles d’un gay dépressif. Partant de ce cas (très) particulier, Follow the Protocol parvient à toucher à l’universel en pointant les paradoxes de cette crise et en explorant la façon dont l’intime peut être bouleversé par un événement mondial. Le film offre également quelques échappées érotico-lyriques tout simplement sublimes. Énorme coup de cœur pour cet ovni passionnant !

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Framing Agnes, USA

Alors que les documentaires de recherche sur les transidentités ont le vent en poupe dans les festivals LGBTQI+ (et c’est tant mieux), Framing Agnes est sans aucun doute l’un des plus passionnants visionnés cette année. Après avoir retrouvé dans les archives de l’université de Los Angeles des entretiens menés à la fin des années 1950 avec des personnes dont l'identité de genre ne correspondait pas au genre qui leur fut assigné à la naissance, Chase Joynt a décidé d’explorer cette matière en la donnant à réinterpréter à des comédiennes et comédiens transgenres, dans un cadre de talk-show propice au "story telling", au récit de soi. Entre ces entretiens rejoués et les réactions recueillies auprès des interprètes concerné.e.s, Framing Agnes offre une mise en abyme passionnante. Ce documentaire, objet hybride par excellence, permet à la fois d’entendre une parole précieuse qui nous informe sur la violence de l’époque contre les personnes trans et de mesurer le chemin parcouru au fil des années. Une démarche inédite réalisée et interprétée uniquement par des personnes concernées.

Wet Sand, Géorgie

Après qu'Eliko, un vieux villageois, est retrouvé pendu, sa petite-fille Moe, venue pour organiser ses obsèques, va découvrir les secrets de celui que tout le monde croyait connaître. Entre histoire amoureuse gay cachée pendant plus de 20 ans et rencontre entre deux jeunes femmes dans le monde clos d’un village de bord de mer, Wet Sand est un film surprenant qui déploie avec grâce des thématiques inflammables. Récompensé par le jury du festival du Prix de la meilleure fiction, ce film géorgien nous rappelle, trois ans après la découverte de Et puis nous danserons de Levan Akin, le premier long-métrage LGBT+ venu de ce territoire, l’enracinement profond de l’homophobie dans ce pays du Caucase qui vit sous le joug de son voisin russe et de ses lois stigmatisantes. Réalisateur.ice non-binaire, Elene Naveriani, qui fait preuve d’une très grande maîtrise de la mise en scène, nous transporte dans un village-microcosme aux allures de monde oublié, vivant selon ses propres règles, et crée un univers esthétique très particulier de station balnéaire terne et abandonnée. 

Ardent-x-s, Suisse

"Oil", c’est le nom de la boîte de production qu'une bande de filles vient de créer pour réaliser… des films pornos. Le documentaire de Patrick Muroni suit au plus près ces jeunes femmes qui se lancent à corps perdu dans la réalisation de leur projet. Essayer de définir et de mettre en pratique une forme de pornographie nouvelle, respectueuse, éthique, originale et féministe, c’est tout l’enjeu de la démarche des héroïnes du documentaire, et le sujet central de celui-ci. On assiste au tournage de quelques scènes, à la promotion de leur entreprise nouvelle, à la formulation de leurs envies de productrices, de leurs désirs de femmes, de leurs doutes aussi. Et loin du classique documentaire qui enchaîne les "talking heads" (plans serrés sur le visage des témoins), Ardent-x-s offre de magnifique scènes très cinématographiques, saisissant la beauté des situations et des êtres avec un œil particulièrement aiguisé. La dernière séquence, récit d'une échappée en van jaune pour tourner près d’un lac italien, sublimement réalisée, nous embarque aux côtés des protagonistes et nous permet de ressentir la sensation de liberté sauvage qu’elles éprouvent.

My Emptiness and I (Mi Vacío y Yo), Espagne

Raphi, jeune Française exilée à Barcelone, est perdue. Elle se sent artiste, travaille dans un call center et ne sait pas vraiment encore qui elle est. Un garçon gay androgyne, une femme trans ? En échangeant avec des amies et avec des femmes transgenres, mais aussi au contact de partenaires rencontrés sur Tinder, elle va petit à petit s’affirmer et prendre ses marques, malgré le mal-être qui l’empêche d’être heureuse. Au fil du temps, ses questionnements se précisent : vaginoplastie ou pas ? Peut-elle être aimée sans être fétichisée ? Quel est vraiment l’art qui lui permet de s’exprimer ? Ce film de fiction, inspiré des écrits de son actrice-personnage, tranche avec pas mal de fictions mettant en scène un ou une jeune trans en collant au plus près à la réalité et au point de vue de Raphi, et cela change tout. Une véritable réussite pour le réalisateur Adrián Silvestre, qui avait réalisé l’année dernière le documentaire Sedimentos, lequel mettait en scène plusieurs générations de femmes transgenres. 

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Crédit photo : Follow the Protocol (Seguindo Todos os Protocolos), Brésil, IMDB