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interviewAlice Coffin : "La lutte contre la réforme des retraites est un réservoir d’énergie pour la suite"

Par Nicolas Scheffer le 06/04/2023
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La conseillère écologiste de Paris Alice Coffin, militante lesbienne et autrice du Génie lesbien, se porte aujourd'hui candidate au sein de son parti, EELV, pour devenir sénatrice. Elle explique à têtu· sa volonté de changer cette institution de l'intérieur, et s'exprime sur la crise politique en cours autour de la réforme des retraites.

Propos recueillis par Nicolas Scheffer et Quentin Martinez

"Vous ça va de votre côté ?" À la veille de la onzième journée de mobilisation, ce 6 avril, contre la réforme des retraites, Alice Coffin nous reçoit chez elle. Notre ex-consœur n'a évidemment pas manqué la polémique médiatique autour de l'interview d'Olivier Dussopt à têtu·, et a compris nos explications quant à la démarche journalistique : "Mais bien évidemment, ça me paraît clair". La militante lesbienne et autrice du Génie lesbien a quitté le journalisme en 2020 pour se lancer dans l'aventure politique qui l'a menée au Conseil de Paris, où elle a été élue sous les couleurs écologistes dans la majorité d'Anne Hidalgo. Trois ans plus tard, la fidèle de Sandrine Rousseau se porte désormais candidate pour entrer au Sénat, hémicycle très critiqué, à gauche, pour être le bras institutionnel du patriarcat en étant composé à majorité écrasante d'hommes hétérosexuels de plus de 50 ans.

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À l'inverse, c'est toute la révolte d'une militante féministe et lesbienne qu'Alice Coffin veut faire entrer à la Chambre haute. Du 13 au 16 avril, les militants écologistes pourront départager, lors d'une consultation interne chez Europe Écologie-Les Verts, les profils qu'ils souhaitent présenter à cette élection après que ceux-ci auront été validés par un conseil fédéral d'EELV. Elle n'est pas la seule intéressée par une candidature : l'eurodéputé et candidat à l'élection présidentielle de 2022 Yannick Jadot, l'adjointe à la Santé à la mairie de Paris, Anne Souyris, ou encore Antoinette Guhl, également conseillère de Paris, sont également sur les rangs...

Alors Alice Coffin veut faire entendre la spécificité de sa parole, notamment concernant l'Europe. Elle souhaite, comme au Parlement européen, que le Sénat se dote d'un intergroupe LGBTQI+, à condition de se mettre d'accord sur des principes communs : facilitation de la PMA pour toutes, changement d'état civil simplifié pour les personnes trans, ou encore défense virulente des droits LGBTQI+ dans le monde. Entretien.

Pourquoi vous porter candidate pour devenir sénatrice ?

Alice Coffin : Il est primordial que les femmes soient candidates dans toutes les institutions. En l’occurrence, le mode de scrutin pour accéder au Sénat est particulièrement compliqué à comprendre et ce n’est pas anodin : il s’agit de réserver cette institution à certaines personnes qui auraient les bonnes informations pour savoir comment se faire élire. Il s’agit de casser cette logique. Ensuite, je souhaite que cette élection soit l’occasion d’une campagne à part entière, connue par la population et tout aussi importante que n’importe quelle autre. Or, il s’agit d’une campagne où l'on est censé parler aux grands électeurs, et non à l’opinion. Cela ne me convient pas du tout, et je souhaite m’en emparer pour faire entendre mes opinions.

"Je me considère davantage comme activiste et militante que comme politique, ainsi je cherche le lieu avec l’audience la plus forte pour faire entendre les causes qui me tiennent à cœur."

Corinne Bouchoux, Mélanie Vogel, aujourd'hui Alice Coffin… Pourquoi les militantes politiques lesbiennes aiment-elles tant le Sénat ?

Lorsqu’on voit l’état des débats sur nos sujets, on se rend compte de l’importance d’investir cette chambre. C’est politique d’être lesbienne dans une assemblée ou un parti, c’est une manière de dire que la politique n’est pas le terrain de chasse des hommes hétérosexuels. Notre simple présence permet de miner de l'intérieur le rapport de domination masculine. Je souhaite créer un point de jonction entre les élus dans les assemblées et les mouvements militants de l’extérieur. Je me considère davantage comme activiste et militante que comme politique, ainsi je cherche le lieu avec l’audience la plus forte pour faire entendre les causes qui me tiennent à cœur, car je suis persuadée que la gauche doit se réapproprier le narratif de l’agenda politico-médiatique. Alors, à chaque fois qu’il est possible de prendre la parole, il faut le faire.

Vous ne regrettez jamais d’être entrée dans la vie politique, en raison de sa violence ou de son impuissance ? 

Ce qui me sidère dans notre vie politique, c’est qu’elle tord les rapports humains. Pour l’instant, je n’ai pas eu à faire de concession, à changer mon rapport aux autres. Mais les pratiques sont dures et plutôt effrayantes. C’est exigeant de ne pas déroger à certains principes et de ce point de vue, cela aide d'être entourée de personnes qui ne sont pas en politique. On voit aussi l’impact de nos décisions. Récemment, il y a eu un féminicide à Paris et j’ai proposé à la maire du 12e arrondissement, Emmanuelle Pierre-Marie, de prendre la parole à chaque fois qu’un féminicide a lieu. Elle a accepté et repolitisé le fait divers en rappelant qu’il est le résultat d’un système patriarcal. C’est efficace.

À quand un intergroupe LGBTQI+ au Parlement français, comme à Bruxelles ?

On y travaille beaucoup au sein de la European Lesbian Conference (EL*C). Il faudrait commencer par définir un socle de principes. Ce serait compliqué d’avoir un intergroupe avec des gens qui ne défendent pas les avancées concernant les enfants intersexes, les droits des trans, les avancées nécessaires sur la PMA pour toutes, notamment concernant les questions d’appariement obligatoire, une prise de parole beaucoup plus forte sur les sujets internationaux... 

"Les parcours de maternité hors de l’hétérosexualité sont-ils pris en compte dans la question des retraites ?"

Et sur la question des retraites, un tel groupe aurait-il quelque chose à dire ?

Un intergroupe LGBTQI+ pourrait mettre en lumière la situation d’immense précarité des lesbiennes retraitées. On a parlé de l’inégalité femmes-hommes mais les lesbiennes sont, toutes les études le montrent, celles qui s’occupent le plus de leur famille. Les parcours de maternité hors de l’hétérosexualité sont-ils pris en compte dans la question des retraites ? Apporter une expertise, c’est l’objectif que doit se donner un intergroupe, j’y suis extrêmement favorable !

Comment maintenir la lutte contre la réforme des retraites si le Conseil constitutionnel la valide le 14 avril ?

Cette date de la décision du Conseil constitutionnel n’est pas la fin de la lutte, il ne faut jamais se laisser imposer un agenda. Il y a une réelle mobilisation, je pense notamment à la caisse de grève queer du Pink Bloc. La lutte agrège beaucoup de monde, c’est un réservoir d’énergie pour la suite. Si je prends l’exemple du mariage pour tous, ce qu’on a fait avec le collectif Oui oui oui, ça a laissé des traces. Même si on n’a pas gagné la PMA à ce moment, nous avons construit des alliances, des manières de lutter. Une mobilisation est toujours une école de formation militante. D’ailleurs, de l’autre côté, on voit que les militants de Zemmour ont été formés dans les cortèges de la Manif pour tous…

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La vie politique doit-elle dans le même temps reprendre normalement, par exemple les responsables politiques doivent-ils se rendre aux consultations du gouvernement sur d’autres sujets ?

On doit toujours y aller, quitte à en sortir et utiliser les micros tendus pour dénoncer ce qu’il s’y est passé. C’est aussi ça la captation du moment médiatique pour encourager les grévistes. Le boulot des politiques, c’est de favoriser la visibilité médiatique du mouvement et de montrer que ce qui s’y passe leur donne de la force. C’est ce que je fais par exemple, à mon petit niveau, au Conseil de Paris en intervenant systématiquement pour défendre la réouverture de Violette and Co [librairie lesbienne à Paris, ndlr]. C’est un petit levier, mais c’est important.

Sophie Binet vient d'être élue secrétaire générale de la CGT et avant cela, elle pilotait au syndicat les questions d’égalité femmes-hommes. Vous comprenez les critiques qui lui sont adressées sur le fait de ne pas avoir un parcours ouvrier ? 

Je ne veux pas tomber dans l’opposition entre le combat social et le combat féministe. Pour Sophie Binet, l’une des façons de résoudre le déficit des retraites, ce serait de compenser les 15% d’écart entre les salaires des femmes et des hommes. Elle a raison. Une énorme partie des questions liées au travail sont des questions féministes, regardez le combat des femmes de chambre de l’hôtel Ibis-Batignolles. Les luttes sociales sont aussi liées au sexisme et au racisme. J’étais au piquet de grève de l’incinérateur d’Ivry le 27 mars, et un groupe de femmes a commencé à crier “Violents, violeurs, hors de nos luttes”, en parlant d’un homme qui prenait la parole et avait d’ailleurs été exclu de la CGT pour son comportement. Certains ne comprenaient pas et nous disaient qu'on divisait les luttes. Donc, une des représentantes de la CGT est montée sur la scène pour expliquer au micro les raisons de nos cris, et cela a été largement applaudi et soutenu. C’était un moment important.

Vous êtes favorable à une union des gauches mais pour les prochaines élections européennes, en 2024, Marine Tondelier, secrétaire nationale d’EELV, a déjà fermé la porte…

Les élections européennes ne peuvent pas être considérées isolément des autres. Je comprends que les enjeux européens sont particuliers, mais les européennes ne doivent pas être un blocage à l’union des gauches à l'échelle nationale. L’alternative à Marine Le Pen doit être une gauche convaincante et unie. Nous devons proposer aux gens une offre politique cohérente et surtout nouvelle, ambitionnant d'apporter un vrai changement à notre société. Ce n’est qu’à cette condition qu’on regagnera du terrain lors des élections.

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Crédit photo : JOEL SAGET/AFP