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portraitDu journalisme au Conseil de Paris, Alice Coffin, itinéraire d'une militante

Par Nicolas Scheffer le 28/07/2020
Paris

La militante féministe élue au Conseil de Paris Alice Coffin a été victime d'une déferlante lesbophobe sur les réseaux sociaux après avoir demandé la démission de Christophe Girard, adjoint d'Anne Hidalgo, dans le sillage de l'affaire Gabriel Matzneff.

L'écologiste Alice Coffin a été élue au Conseil de Paris à la faveur de la "vague verte" qui a déferlé sur la France lors des dernières élections municipales. Et en à peine un mois, les Parisien·nes ont pu prendre conscience de sa pugnacité. Avec Raphaelle Rémy-Leuleu, elles se sont insurgées de la nomination de Christophe Girard comme adjoint à la Culture de la maire de Paris. L'élu est accusé d'avoir soutenu Gabriel Matzneff, mis en cause pour "viols sur mineurs", notamment après la parution du livre de Vanessa Springora, Le Consentement, un témoignage accablant contre l'écrivain.

En mars, Christophe Girard avait été interrogé par la police judiciaire en tant qu'ancien secrétaire général de la maison Saint-Laurent dans les années 1980. À l'époque, l'entreprise avait aidé financièrement Gabriel Matzneff. L'ancien co-fondateur de TÊTU n'a toutefois pas été poursuivi par la justice. Mais les conseillères féministes reprochent à l'élu des manquements moraux. "Il ne suffit pas d'avoir un casier judiciaire vierge pour être adjoint, il faut quelques qualités morales, éthiques et politiques. Le soutien de Christophe Girard à Gabriel Matzneff le disqualifie pour ce genre de responsabilité", a insisté Raphaëlle Remy-Leuleu auprès du Parisien. Les militantes féministes ont donc participé à une manifestation devant l'hôtel de ville qu'elles ont qualifié de "pédoland".

"La honte, la honte, la honte !"

Le 23 juillet, depuis la tribune du Conseil de Paris, le préfet Didier Lallement veut néanmoins adresser un "salut républicain" à Christophe Girard, qui a démissionné la veille. Alors que les élus parisiens se lèvent pour applaudir l'ancien adjoint, Alice Coffin fulmine. On la voit faire de grands gestes et crier "la honte, la honte, la honte !". Autour d'elle, la majorité grince des dents. Depuis, la maire de Paris a annoncé saisir la justice pour "de graves injures publiques" qui ont été prononcées pendant la manifestation sur le parvis. Dans un communiqué, la maire juge que Raphaelle Rémy-Leuleu et Alice Coffin "se placent ainsi d’elles-mêmes en dehors de la majorité municipale".

Selon les informations de Mediapart, révélées depuis, la mairie aurait découvert trois notes de frais de repas entre Christophe Girard et Gabriel Matzneff en 2016, 2017 et 2019 (avant la publication du livre qui incrimine Gabriel Matzneff). Le premier se défendait pourtant d'être un proche du second. L'hôtel de ville aurait découvert ces échanges la veille de la manifestation, et a donc demandé la démission de l'adjoint à la Culture. Alors qu'elle avait connaissance de ces repas, Anne Hidalgo ne mentionne que les manifestations lorsqu'elle s'indigne de la démission de son adjoint.

220.000 femmes victimes des coups de leurs maris

Ce week-end, des internautes ont fait remonter des propos vieux de deux ans qu'Alice Coffin a tenus sur la chaîne controversée Russia Today. Interrogée sur la PMA, la militante déclare : "Ne pas avoir un mari, ça m’expose plutôt à ne pas être violée, ne pas être tuée, ne pas être tabassée. Et ça évite que mes enfants le soient aussi". Ces propos avaient pour vocation de rappeler que chaque année, 220.000 femmes sont victimes des coups de leurs compagnons. Sur les réseaux sociaux, c'est la curée. "La tempête d'insultes et de haine a été tellement violente qu'on m'a proposé une protection policière", explique-t-elle dans Le Parisien. "Rien ne justifie ces actes lesbophobes. Alice s'inscrit dans une tradition militante qui s'inscrit dans l'histoire : d'Act-up aux anti-nucléaires. Ce mode d'activisme fait débat à gauche, mais il vise à provoquer une réaction", réagit David Belliard, tête de file de EELV à Paris, auprès de TÊTU

Anne Hidalgo a jugé qu'Alice Coffin et Raphaëlle Remy-Leuleu se sont exclues d'elle-même de la majorité. "On doit trouver une sortie par le haut. Ces deux élues font partie du groupe écologiste et le groupe fait partie de la majorité", pointe David Belliard. Malgré les vives tensions au sein de la majorité parisienne, Audrey Pulvar, proche d'Anne Hidalgo, a apporté son soutien à Alice Coffin. "La lesbophobie n'est pas une opinion, c'est un délit puni par la loi. L'injure publique à caractère sexiste est passible de 6 mois de prison", écrit l'ancienne présentatrice. En attendant, Alice Coffin a finalement accepté d'être encadrée par une sécurité.

Une militante de la cause LGBT+ et féministe

Les militants LGBT+ connaissent bien Alice Coffin. Cofondatrice de l'AJL (l'Association des journalistes LGBT), elle a étudié le traitement des questions LGBT+ dans les médias américains. En 2017, la journaliste en charge de la rubrique médias de 20 minutes présente la première cérémonie des Out d'or récompensant les initiatives donnant de la visibilité aux personnes LGBT+. À 42 ans, elle enseigne aussi le journalisme à l'Institut catholique de Paris et à la Sorbonne. En parallèle, elle cofonde la Conférence européenne lesbienne et fait partie de plusieurs collectifs féministes et lesbiens, notamment La Barbe et Les Dégommeuses. Elle avait également défendu la PMA pour toutes en 2013 au sein du collectif Oui Oui Oui, alors que le gouvernement de François Hollande, malgré sa promesse de campagne, l'avait retiré du projet de loi sur le mariage pour tous.

À la rentrée, la militante publie par ailleurs un livre intitulé Le Génie lesbien chez Grasset. "Je sais, un peu, je crois, penser et créer des outils qui n’existent pas encore et qui permettent de faire face à certaines oppressions", dit-elle dans National Geographic. Sa méthode ? Ne pas entrer dans les querelles internes aux femmes. Alice Coffin trouve ses inspirations du côté de Rokhaya Diallo, de Denise Ho, la pop star lesbienne qui a demandé à l'ONU de retirer la Chine du Conseil des droits de l'homme, ou encore de Marielle Franco, une élue noire et bi assassinée par la police brésilienne. "C’est un exercice difficile, car certaines n’agissent pas en féministes, mais il me semble indispensable, si nous ne voulons pas entretenir la misogynie. Concentrons, en public, nos attaques contre les hommes", poursuit-elle dans le magazine scientifique.

Une Ocasio-Cortez française ?

C'est son ami David Belliard qui l'a convaincue de s'engager en politique. "C'est une personne sincère dans ses convictions qui représente une tradition militante, à l'image d'une partie des Parisiens", fait-il valoir. Elle se fait élire dans le XIIe arrondissement, où elle a grandi. "J'ai longtemps hésité car je ne voyais pas comment rendre visibles mes combats en tant qu'élue", développe-t-elle dans le quotidien régional. Mais elle ne compte surtout pas abandonner son style pugnace. "Je ne vais pas renoncer à mon combat parce que j'ai endossé une écharpe tricolore. Il n'y a pas de frontière pour moi entre le militantisme et la politique".

L'écolo David Cormand la compare à Alexandria Ocasio-Cortez, la jeune parlementaire de New York connue pour sa liberté de ton. "Très très grosse pensée pour les grandes âmes de la gauche qui s’extasient devant AOC quand elle dénonce le patriarcat, signent des tribunes sur le féminisme, mais ont désigné Alice à la vindicte", écrit-il sur Twitter.

Dans National Geographic, Alice Coffin donne un précieux conseil aux femmes : "Soyez exigeantes, devenez lesbiennes ! Ou, du moins, apprenez à vous passer du regard des hommes. Le regard des hommes qui, lorsqu’il ne nous rabaisse pas, trop souvent nous fige dans un rôle, une apparence, que nous n’avons pas choisis".

Crédit photo : YouTube / Le Media