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dossierGPA : les 20 années de combat de la famille Mennesson

Par Nicolas Scheffer le 27/11/2023
Le couple Mennesson

[Article à retrouver dans le dossier spécial GPA du têtu· de l'hiver] Figures emblématiques du débat sur la gestation pour autrui (GPA) en France, les époux Mennesson auront mis près de vingt ans à faire reconnaître leurs deux filles nées en Californie.

Photographie : Mylène Comte pour têtu·

"GPA : victoire pour l’emblématique couple Mennesson." Le 4 octobre 2019, le quotidien Libération titre sur l’épilogue d’un combat commencé en l’an 2000 et qui a fait d’un couple hétérosexuel, Sylvie et Dominique Mennesson, le visage pour tous les Français du débat sur la gestation pour autrui (GPA). Car avant qu’elle ne serve d’épouvantail à La Manif pour tous dans sa guerre contre l’homoparentalité, la GPA n’était pas un sujet gay.

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À la fin des années 1990, ne pouvant concevoir d’enfant, les Mennesson se rendent dans un pays où la pratique est légale, comme quelques centaines de couples hétéros et homos chaque année (la dernière statistique disponible, portant sur 2011, fait état de 200 enfants français nés d’une GPA à l’étranger). Le 25 octobre 2000, les jumelles Valentina et Fiorella naissent en Californie. Confiants dans la reconnaissance de leur modèle familial, les Mennesson n’imaginent pas l’enfer administratif que leur réserve leur mère patrie. La France refuse en effet de transcrire à l’état civil les actes de naissance des enfants nés d’une GPA à l’étranger : les documents américains des filles désignent Sylvie et Dominique comme parents, mais elles sont absentes du livret de famille français et n’ont pas droit à la nationalité française. “On cherchait à punir nos filles de la manière dont elles avaient été conçues, souligne aujourd’hui Dominique Mennesson. L’administration française nous avait plongés dans des limbes.”

Vingt ans de procédures judiciaires

Dans le pavillon de la famille, en banlieue parisienne, le couple se prépare à fêter les 23 ans de Valentina et Fiorella, devenues deux étudiantes épanouies, quand nous les contactons pour revenir sur cette longue lutte. “Pas une seule seconde, je n’ai été en colère d’être née de cette manière, pas une seconde, je n’ai eu un doute”, écrit la première dans un livre témoignage paru en 2019, Moi, Valentina, née par GPA (éd. Michalon). Mais leurs parents n’ont pas oublié l’épreuve, ni combien celle-ci a pesé sur leur santé mentale et les a aussi inquiétés quant aux conséquences possibles, sur l’équilibre de leurs enfants, de leur non-reconnaissance forcenée. “Lorsqu’elles avaient 10 ans, un pédopsychiatre a estimé que nos filles étaient parfaitement équilibrées et qu’elles savaient parfaitement qui étaient leurs parents, mais que la remise en cause de ce fait par la justice pourrait entraver leur développement en les empêchant de se projeter, se remémore Sylvie Mennesson. C’est le moment où j’ai eu le plus peur de ma vie.”

En 2002, l’administration accepte la transcription à l’état civil des jumelles. Mais le droit français interdit la GPA à deux titres. Si le Code pénal punit la provocation à l’abandon d’enfant de six mois d’emprisonnement et de 7.500 euros d’amende, les Mennesson ne sont pas concernés : leurs filles sont nées à l’étranger. En revanche, le Code civil spécifie quant à lui, depuis la première loi de bioéthique en 1994, que tout contrat portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nul : le parquet l’invoque pour considérer caduc l’accord entre le couple et la femme porteuse. Cette décision du procureur de Créteil ouvre près de deux décennies de procédures judiciaires jusqu’à ce 4 octobre 2019 où la Cour de cassation, la plus haute juridiction française, valide définitivement la transcription de l’état civil des jumelles et reconnaît Sylvie comme leur mère. “Nos enfants ne sont plus des fantômes”, peut enfin souffler le couple.

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Crédit photo : Dominique et Sylvie Mennesson

Si l’arrêt rendu par la Cour de cassation, très spécifique à l’affaire, ne peut s’appliquer à tous les enfants nés d’une GPA à l’étranger, il pose une pierre importante : l’intérêt de l’enfant suppose que sa filiation soit établie avec ses deux parents, quand bien même ils ont eu recours à la GPA. C’est cette logique qui avait inspiré le 25 janvier 2013 la circulaire du ministère de la Justice, sous l’égide de Christiane Taubira, qui avertissait les parquets que “le seul soupçon du recours à une convention [de GPA] conclue à l’étranger ne peut suffire à opposer un refus” à la délivrance d’un certificat de nationalité française.

“L’arrêt de la Cour de cassation a permis à notre famille de faire un pas en avant, puis la France a fait deux pas en arrière.”

Dominique Mennesson

En 2017, dans les colonnes de têtu·, Emmanuel Macron, alors candidat à la présidentielle, affirme qu’“il faut permettre la reconnaissance des enfants nés par GPA à l’étranger”. Mais en 2021, lors du vote de la nouvelle loi bioéthique, l’Assemblée nationale revient à une transcription de l’état civil limitée au seul parent biologique. Pour être reconnu, celui non biologique a deux options : il peut adopter son propre enfant, une procédure longue, ou faire appliquer en France une décision de justice étrangère le reconnaissant comme parent. “C’est un coup dur. L’arrêt de la Cour de cassation a permis à notre famille de faire un pas en avant, puis la France a fait deux pas en arrière”, regrette Dominique.

L'extrême droite à l'assaut de la GPA

Car l’exécutif est sensible aux coups de boutoir de la droite réactionnaire qui a fait de la GPA un épouvantail anti-LGBT. En Italie, le gouvernement d’extrême droite de Giorgia Meloni a demandé à la justice d’effacer la mère d’intention sur l’état civil des enfants nés d’une procréation médicalement assistée au sein d’un couple de femmes. Fin juillet, la chambre des députés vote une proposition de loi des Frères d’Italie, le parti de la Première ministre, faisant de la GPA un délit universel, ouvrant ainsi la possibilité de poursuivre les Italiens qui y auront recours à l’étranger. “Cette loi est contraire au principe fondamental de réciprocité selon lequel un ressortissant ne peut pas être poursuivi par son pays d’origine pour des faits autorisés dans le pays où ils sont produits. Par exemple, vous ne pouvez pas être poursuivi en France pour avoir fumé du cannabis aux Pays-Bas, où c’est légal. Cette loi est juridiquement bancale. Elle ne s’appliquera qu’un temps mais va plonger les familles dans l’incertitude”, note Clélia Richard, avocate membre de l’Association des parents gays et lesbiens.

“La droite et l’extrême droite en France sont capables du pire…”

Sylvie Mennesson

Et la droite française veut creuser le sillon italien. Début octobre, l’eurodéputé Les Républicains François-Xavier Bellamy fait passer en commission un amendement pour inclure la GPA dans la traite des êtres humains et assure sur tous les réseaux que celui-ci vise à “interdire la GPA dans toute l’Union européenne”. Certes ce n’est pas de la compétence de l’Europe, le texte est loin d’être adopté, mais le député européen multiplie les effets de manche et se pose en rempart des bonnes mœurs. “La droite et l’extrême droite en France sont capables du pire. Nos valises sont toujours prêtes pour partir à l’étranger si la situation l’oblige”, confie Sylvie Mennesson. Pour l’heure, le couple poursuit son combat, comme présidents d’honneur de l’association Clara (Comité de soutien pour la légalisation de la GPA et l’aide à la reproduction assistée), qu’ils ont fondée et qui accompagne des centaines de familles, essentiellement hétéroparentales. “Quand on voit des personnes dire n’importe quoi sur la GPA, on se sent obligés de prendre la parole, résume Sylvie. Subrepticement, c’est devenu le combat de notre vie.” 

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