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cultureExposition "Cabarets !" : les plus beaux costumes de scène sont à Moulins 

Par Stéphanie Gatignol le 10/01/2024
exposition Cabarets

Le Centre national du costume et de la scène de Moulins, dans l'Allier, n’expose pas seulement les plus belles tenues du Lido, du Paradis Latin ou de Chez Michou. Il salue aussi la créativité des artistes qui dynamitent les "nouveaux" cabarets interdisciplinaires. Wilkommen ! 

L’entrée dans l’exposition Cabarets !, qui se déroule jusqu'au 30 avril au Centre national du costume et de la scène (CNCS), à Moulins (Allier) s’effectue par une porte dérobée, histoire de suggérer aux visiteurs qu’ils pénètrent dans un univers clandestin. Suspendue dans les airs au-dessus d’un escalier en pierre, une étrange forme pailletée attire les regards… Avec ces cache-tétons XXL, le scénographe François Gauthier-Lafaye annonce la couleur et résume, en un symbole, tout l’esprit du cabaret : "Il incarne la fête, la tolérance, le non-genre, un espace de totale liberté dans une société où l’individu n’est pas toujours accepté pour ce qu’il est." Les esprits facétieux trouveront assez savoureux de voir cette liberté prendre d’assaut un bâtiment militaire, puisque c’est dans une ancienne caserne du XVIIIe siècle que le CNCS a élu domicile, en 2006, sur les bords de l’Allier. 

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Voué, à l’origine, à conserver et à valoriser les costumes de l’Opéra de Paris, de la Comédie-Française et de la Bibliothèque nationale, le musée a peu à peu élargi son registre à tout le spectacle vivant. Enrichies il y a trois ans par une donation de Line Renaud, ses collections, qui comptent plus de 10.000 costumes et le triple d’accessoires, devraient encore s’étoffer grâce à Jean-Luc Choplin, le président de son conseil d’administration et nouveau directeur du Lido, qui a promis d’y verser certains des plus beaux atours de l’ancien temple de la revue. En célébrant les frous-frous du cabaret avec les mêmes égards que ceux des opéras Garnier et Bastille ou du Théâtre-Français, le CNCS souligne à quel point ces costumes contribuent à la magie des shows, à l’incarnation de leurs créatures sensuelles ou fantasques, au grain de folie de leurs personnages délicieusement allumés ou délurés. 

Un mannequin noir vêtu d'une robe longue à traîne dorée, un autre entièrement recouvert d'une résille dorée, dans une posture de show, vêtu d'un corset rose et tenant deux grands éventails à plume de même couleur

Moulin Rouge, Lido, Crazy Horse… et Chez Michou

Mais nous voilà entraînés entre les murs du "foyer". Autour d’un canapé rond surplombé d’une boule à facettes, la première salle du parcours rappelle la convivialité du cabaret. En son sein, pas de barrière ; on apostrophe le spectateur, on le taquine, on cultive la porosité entre la scène et la salle. La silhouette familière de Michou est là, flûte de champagne à la main, comme à l’époque où l’homme en bleu accueillait lui-même chaque client de son repaire montmartrois. À ses côtés, d’autres figures renaissent grâce au pouvoir suggestif de leurs seules toilettes : Jean-Marie Rivière, le prince du Paradis latin, s’incarne dans son fameux costume blanc, tandis que la veste queue-de-pie portée par Dalida au Palais des Sports en 1980 vole la vedette à la blouse chasuble qui habillait Barbara au Théâtre du Châtelet en 1993. De là, l’évocation d’une loge nous propulse dans un foisonnement d’accessoires, des plus luxueux aux plus foutraques. Casque à pointe couvert de plumes, coiffes "gourmandises" confectionnées à partir de tapis de yoga ont sollicité, en coulisses, les artisans les plus renommés ou un art consommé de la débrouille. Passé cette mise en condition s’ouvre un voyage patrimonial. Moulin Rouge, Lido, Crazy Horse, etc., chaque institution a droit à sa vitrine. Quant au petit conservatoire du transformisme Chez Michou, il assure la transition entre les maisons historiques et un cabaret plus intimiste qui préfigure les scènes actuelles. 

L’exploration des thèmes "freaks" puis "fantastique" s’appuie sur de nombreuses panoplies queers, pour certaines déjà cultes. L’irrésistible fourrure de Nana l’Ours – que La Big Bertha portait dans la première saison de Drag Race France en référence au doudou d’enfance de Jean-Paul Gaultier et à aux seins (i)côniques du créateur – éclipserait presque le long manteau noir qui l’enveloppait lors de la cérémonie des têtu· Awards 2023. Autres pièces maîtresses : la robe imaginée par le couturier pour Conchita Wurst, guest-star du Crazy Horse en 2014, ou plusieurs des looks de Miss Knife, le célèbre double d’Olivier Py. 

Les seins coniques dorée d'un bustier de Jean-Paul Gaultier

Fidèle, comme le cabaret, à la tradition de soigner son final, le CNCS clôt l’immersion par un feu d’artifice. Face à de petites tables éclairées, une cape de la taille d’un appartement parisien (60 m²) bordée d’un clavier de piano se déploie sur un escalier digne de Vegas. Si ce dernier tableau très Liberace conclut la visite sur une note dansante, c’est aussi grâce à sa playlist et à ses pépites comme le pugnace Bats-toi comme une fille, mon fils de Martin Dust ou le pragmatique Con-vain-cu interprété (avec la langue…) par Carmen Maria Vega. Il était temps, d’ailleurs, que la musique se fasse entendre, car sa présence reste beaucoup trop discrète dans les salles. Autre bémol : la mise en scène est globalement trop sage, trop muséale au regard de la folie potache et de l’audace subversive du cabaret. L’ensemble est de belle tenue(s), mais on en espérait plus de culot. 

Une énorme cape de 60 m² au motif de touche de piano se déploie sur un escalier

Régine avalée par son boa

Coup de chapeau, en revanche, à la mise en lumière d'artistes indépendants dont certains se produisent "sans aucune structure, parfois avec leur seule valise", rappelle Delphine Pinasa, la directrice du CNCS. Belle idée que ce mur de portraits qui permet à L’Oiseau joli de se pavaner aux côtés d’Armand Songe, Lola Dragoness von Flame, Corine, Tante Françoise, Jean Biche, Monsieur K ou Patachtouille. David Noir, lui, est évoqué devant cette table de maquillage qui lui offre d’improviser, sur les planches, toute une galerie de personnages : "Vite fait mal fait, mais percutant !" Au fil des découvertes, chacun prend la mesure de l’inventivité de tous ces sacrés numéros. "À l'origine, on devait avoir le boa de Régine. On ne l’a jamais eu", s’amuse François Gauthier-Lafaye. Qu’à cela ne tienne ! Il a remplacé le colifichet de la grande Zoa par un modèle géant, bidouillé en crochet et laine de récup.

Si le CNCS rend un hommage appuyé aux interprètes qui contribuent à la vitalité actuelle du cabaret, Delphine Pinasa hésite, pour autant, à parler de renouveau. "Ce qui change, c’est peut-être le regard que le public et la presse portent sur lui ainsi que l’appétence qu’il suscite auprès d’artistes qui, à l’origine, n’avaient pas forcément une formation de chant ou de théâtre. Aujourd’hui, toute une frange contemporaine, indépendante se produit dans des formes et des lieux tout à fait insolites comme Le Cabaret de poussière, Le Secret, La Bouche ou Madame Arthur."  Quelque 200 cabarets émaillent la France, et, depuis quinze ans, deux à trois fleurissent chaque année en région. L’une des vertus de l’expo moulinoise ? Donner follement envie de s’y encanailler ! 

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Crédit photo : CNCS