Le Sénat a voté ce 22 novembre une proposition de loi par laquelle la République reconnaît sa "responsabilité" dans l'homophobie d'État mise en œuvre par la France jusqu'en 1982. Son auteur, le sénateur Hussein Bourgi, appelle les associations à davantage de mobilisation d'ici l'arrivée du texte à l'Assemblée nationale.
À l'unanimité des voix exprimées, ce mercredi 22 novembre 2023, le Sénat a voté une proposition de loi reconnaissant la "responsabilité" de la République française dans la persécution, couverte par la loi, des homosexuels jusqu'en 1982. Le texte a été approuvé par la droite après qu'elle en a retiré plusieurs mesures, en particulier le principe d'une indemnisation financière des victimes encore vivantes des lois homophobes. L'auteur du texte, le sénateur socialiste de l'Hérault Hussein Bourgi, livre à têtu· sa réaction au lendemain du vote de sa loi, qui doit encore être adoptée à l'Assemblée nationale.
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Votre proposition de loi a été adoptée au Sénat dans une version amoindrie par la droite. On sabre quand même le champagne ?
Même limitée dans son ambition, il faut se réjouir d’une avancée quand elle est là. Ce qu’il s’est passé au Sénat est un moment important pour toutes les personnes qui ont été victimes de ces lois discriminatoires. Nous avons réussi à avoir un débat sur un sujet que personne n’avait placé à l’agenda politique, dont personne ne faisait une priorité. Il faut remercier les quelques acteurs qui ont mis leur énergie pour que cela advienne, je pense particulièrement à Michel Chomarat, qui a accepté d’incarner ce combat par son témoignage, et aux universitaires qui ont choisi un thème de recherche difficile.
La droite n’a-t-elle pas vidé substantiellement votre texte ?
Rendez vous compte : tout le monde s’est accordé sur la nature de ces lois, pour reconnaître qu’elles ont été scélérates, tout comme leur mise en œuvre pendant des décennies. Il n’y a pas eu une seule personne pour relativiser ou pour justifier une telle discrimination. Le texte a été voté à l’unanimité, ce qui est extrêmement rare, d’autant plus dans un hémicycle dominé par une droite réticente aux lois mémorielles.
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Et malgré tout, on reste un peu sur notre faim…
Effectivement, en refusant de faire démarrer la période de la loi en 1942, la droite est retombée dans un débat dont elle est incapable de sortir : la continuité entre le régime de Vichy et la République. Le débat est pourtant censé avoir été clos par Jacques Chirac en 1995 lors de la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv qui reconnaît la responsabilité de la France dans le concours apporté pour l’arrestation et la déportation des juifs. À la Libération en 1945, rien n’interdisait au gouvernement d’abroger ces dispositions anti-gay. Au contraire, le ministre de la Justice de l’époque, François de Menthon, la reprend à son compte. En refusant les indemnités de réparation, la droite s’arrête également au milieu du guet. Au tribunal, les magistrats commencent par trancher sur la culpabilité de la personne et ensuite, les juges définissent comment réparer le préjudice. Ici, on a reconnu la responsabilité de la France, mais on ne veut pas réparer le préjudice…
L’article visant à créer un délit de négationnisme de la déportation d'homosexuels a également été rejeté.
Le rapporteur Francis Szpiner estime que la loi définit déjà ce délit. Sauf que Christian Vanneste, député homophobe du même camp politique que lui jusqu’en 2012, a été relaxé en appel pour avoir qualifié la déportation des homosexuels de “légende”. Aujourd’hui, Éric Zemmour tient les mêmes propos et il est poursuivi par des associations. Lors des auditions au Sénat, leur avocat a affirmé que le droit actuel lui permettait d’obtenir la condamnation d’Éric Zemmour. Ce n'est pas encore fait. Je souhaite sincèrement qu’il y parvienne mais si ce n’est pas le cas, il aura la responsabilité d’avoir empêché le vote de cette infraction. Pour servir la cause de son procès, il a empêché une évolution législative pour l’avenir.
Souhaitez-vous que le texte soit amélioré à l’Assemblée, quitte à ce que la promulgation prenne plus de temps alors que les personnes condamnées sont déjà vieillissantes ?
En effet, il faut aller vite. L’objectif n’est pas de soulager la conscience des vivants, mais bien de rendre justice à des personnes dont bon nombre sont déjà mortes. L’exécutif a la main sur l’agenda parlementaire : qu’il l’inscrive sur son temps parlementaire dans des délais rapides, cela montrerait son engagement autour de ce texte. Le débat au Sénat a duré deux heures, ce n’est pas grand-chose. D’ici à la fin de l’année 2024, on peut avoir terminé la navette parlementaire et promulguer la loi. Nous devons nous en donner les moyens.
Au-delà de l'appel de têtu· pour que la France reconnaisse les victimes de sa répression anti-gay, vous sentez-vous soutenu dans ce combat ?
Je suis effaré de constater l’absence des associations LGBTQI+ dans ce débat. Je n’ai pas vu d’initiative visant à interpeller les sénateurs. On a laissé des témoins de 70 à 80 ans mener seuls ce combat sans même les avoir invités à partager leur histoire. Si des associations existent aujourd’hui, c’est grâce à Arcadie, au FHAR, au CUARH, aux GLH… Je conçois bien que c’est un sujet que les associations d’aujourd’hui ne maîtrisent pas, mais nous devons prendre conscience de la chance qu’on a d’avoir des universitaires qui travaillent sur ces données. Nous devons absolument leur donner davantage de voix avant que le texte ne revienne à l’Assemblée.
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